Lendemain d’élections européennes

@Canva

Présentées comme des élections de second ordre boudées par les citoyens de l’Union car sans enjeux européens  identifiés, les élections européennes  ne peuvent avoir qu’une portée limitée ! Le scrutin de 2024 vérifie-t-il cette analyse convenue ?

A la veille du 9 juin, la première interrogation portait sur la participation.

La question était de savoir si 2024 allait retrouver le niveau de 2019 qui avait enregistré un gain de 8 points par rapport à 2014. C’est le cas puisque les 50,7 % de 2019 sont atteints et même légèrement dépassés avec 50,9 %. Le gain est trop modeste pour tenter une explication globale convaincante. Il faut aller voir pays par pays. Car les disparités sont fortes : 7 pays sont à plus de 58 % de participation : il s’agit de la Belgique avec près de 90 %, du Luxembourg, de Malte,  de l’Allemagne (64,8 %), de la Hongrie, de Chypre, du Danemark (58,2 %). Outre le vote obligatoire, la pluralité d’élections le même jour a sans doute favorisé la participation : c’est le cas de la Belgique. Un 2ème groupe comprend 8 Etats  dont le niveau de participation avoisine les 51 % : de 54,1 % au plus pour l’Autriche jusqu’à 46,2 % au moins pour les Pays-Bas. En plus de ces 2 pays, on trouve la Roumanie, la France (51,5 %), la Suède, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie. Le 3ème groupe caractérisé par une faible participation comporte 12 pays : 4 d’entre eux sont juste au-dessus de 40 % : Grèce et Slovénie à 41,4 %, Pologne et Finlande à 40,6 et 40,4. 6 autres sont  entre 36,6 % et 31,8 avec par ordre décroissant le Portugal, la République tchèque, la Slovaquie, la Lettonie, l’Estonie, et la Bulgarie. Deux pays sont en deçà des 30 %, la Lituanie avec 28,3 % et la Croatie avec 21,3.

Par rapport à 2019, la participation 2024 connaît une évolution notable dans certains pays. Cette évolution se fait dans les deux sens. Parmi les 11 pays ayant enregistré une hausse de la participation supérieure à 1 point de pourcentage, 8 sont à plus de 3 points dont 4 à plus de 11: la Hongrie à 16, Chypre, Slovénie et Slovaquie. Notons le gain de plus de 3 points de l’Allemagne.

A l’inverse, parmi les 11 pays ayant enregistré une baisse de plus 1 point de pourcentage, 3 sont au-delà des 11 dont la Lituanie qui en perd 25, la Grèce 17 et l’Espagne plus de 11. Les 5 autres pays  se situent entre 5 et 10 points.

Au total, sans être mirobolante mais compte tenu de l’évolution continue à la baisse jusqu’en 2019, la participation d’un citoyen sur deux au scrutin européen conforte la légitimité populaire de l’institution parlementaire européenne. On peut cependant regretter que dans la moitié des pays, singulièrement de l’Europe ex communiste (Etats baltes, Europe centrale et orientale), la mobilisation ait été bien timide !

 Une deuxième interrogation concernait la composition du nouveau Parlement et son corollaire, le contrôle majoritaire de l’Assemblée. Sur la foi des derniers scrutins législatifs nationaux et de sondages nationaux et européens, une poussée des forces nationalistes et eurosceptiques était attendue  avec, émise par certains analystes, l’hypothèse d’une forte minorité d’obstruction voire  de blocage.

La poussée annoncée de l’extrême droite a bien eu lieu dans ses deux composantes : ainsi le groupe des Conservateurs et réformistes européens avec Fratelli d’Italia de Meloni (24 sièges), le PiS polonais (20) et quelques autres délégations nationales dont Reconquête de Zemmour (5), gagne 4 sièges à 73. Quant au groupe Identité et démocratie grâce à la performance du RN français (30 sièges), et malgré le recul de la Lega italienne de Salvini (de 28 à 8) et l’exclusion de l’AfD allemande, il enregistre un grain de 9 sièges à 58. A ces deux groupes peuvent s’agréger les 11 eurodéputés hongrois du Fidesz, les 15 eurodéputés allemands de l’AfD et des non-inscrits sans affiliation partisane. Le succès électoral est donc incontestable. Pourtant sa traduction politique est tout sauf évidente tant les positions des deux groupes diffèrent sur plusieurs grands dossiers notamment de politique étrangère : Ukraine, Poutine, OTAN…

D’autres groupes tirent leur épingle du jeu électoral.

C’est le cas du groupe vainqueur du scrutin, le PPE (Parti populaire européen) de la droite conservatrice qui, depuis 1999, domine le Parlement européen.  Avec des  élus dans tous les pays, le PPE enregistre un gain de 10 sièges à 189, les gros bataillons étant fournis par la CDU-CSU allemande  (29 sièges), le Parti populaire espagnol(22 sièges), la Coalition civique de Tusk en Pologne (21 sièges). Parmi les autres délégations nationales figurent Les Républicains français avec 6 sièges soit 2 de chute.

Se maintient comme 2ème force, et ce malgré une légère baisse de 139 à 135 sièges, l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D), avec plusieurs délégations nationales fournies : le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) avec 20 sièges, le PD italien (Parti Démocrate) avec 22 sièges, le PSD roumain (Parti social-démocrate) avec 21 sièges. En poussée la délégation française de 7 à 13, en léger recul, le SPD allemand de 16 à 14 sièges.

Malgré ces performances, les groupes du PPE et S&D ont besoin pour constituer l’axe majoritaire d’un appoint.

Cet appoint ne peut venir de la Gauche radicale, très critique voire eurosceptique pour certaines délégations nationales qui la composent. Avec 36 députés, elle perd un siège malgré le gain des 3 sièges français de LFI.

L’appoint devrait venir du groupe des libéraux de Renew Europe avec ses 79 élus. Mais, malgré l’apport des délégations tchèque, slovaque et bulgare, la perte de 23 députés dont 10 pour Renaissance risque de coûter au groupe sa place de 3éme force au sein du Parlement.

Sur les dossiers environnementaux, l’appoint pourra être assuré par le groupe des Verts bien qu’amputé d’un tiers de ses effectifs à 53 élus par leur déroute en France et en Allemagne.

Au total, nulle révolution à Strasbourg et pourtant,  dans plusieurs pays, des résultats susceptibles, à terme, de modifier la « donne européenne ».

Premier constat, une progression des forces eurosceptiques dans les pays fondateurs de l’Union européenne : poussée spectaculaire en France  avec plus de 30 points entre 2019 et 2024, forte aux Pays-Bas avec plus de 10 points, modérée dans trois autres pays, Allemagne, Belgique et Luxembourg. Seule l’Italie, avec une extrême droite, il est vrai à un haut niveau en 2019, enregistre, malgré le score élevé de Fratelli d’Italia,  une légère baisse en raison de la déroute de la Lega de Salvini qui, à 9 % perd 25 points et 14  de ses 22 sièges de 2019.

Deuxième constat, dans les deux pays à l’origine du projet européen, la France et l’Allemagne, le gouvernement en place sort de la séquence affaibli et contesté.  La capacité d’entraînement du couple franco-allemand déjà entamée s’en trouve davantage encore amoindrie et l’on ne voit pas que l’Italie, la Pologne ou l’Espagne, malgré leur légitime volonté de peser dans les affaires européennes, puissent constituer une alternative au moteur franco-allemand.

Au sortir du scrutin européen, un résultat paradoxal se dégage. En raison des situations nationales difficiles dans plusieurs des « grands » pays, c’est au Conseil européen et au Conseil de l’Union plus qu’au Parlement européen que le blocage risque de  survenir.