
© Maison de l’Europe du Limousin, Doan Quoc-Tuan
L’offre touristique européenne est riche et variée ; le tourisme culturel, moins popularisé, relève de la responsabilité des Etats. Une des initiatives de l’Union européenne (UE) dans ce domaine est l’instauration en 1985 du label « capitale européenne de la culture » et, plus récemment en 2013, d’un « label du patrimoine européen » mettant en valeur des sites emblématiques de l’histoire et de la culture européennes ? Mais qu’en est-il des « villes musées » ?
Le label européen de « ville musée » n’existe pas. La ville musée peut-être définie comme « une ville riche en monuments de valeur et en œuvres d’art » (Larousse), ou comme « une collectivité qui préserve son patrimoine, l’exploite comme une ressource économique » (Revue géopolitique). La muséification est un processus visant à donner un caractère de musée à un lieu urbain ; les villes sont « touristifiées » par des élus, des journalistes.
Cette dénomination présente une connotation péjorative, renvoyant l’image d’une ville figée, au passé cristallisé, sous cloche, avec une idée d’immobilité et de conservation plutôt que celle d’effervescence censée caractériser les espaces urbains.
La loi est au cœur de la protection et de la valorisation de la ville musée ; mais les réactions des villes européennes sont différentes face au processus de patrimonialisation de leur centre historique. La ville de Paris est très attachée à son tissu et à ses monuments historiques. La législation portant sur cet aspect est ancienne en France : ses prémices remontent à la fin du XIXe siècle : depuis 2016, tous les zonages de protection sont regroupés sous l’appellation de « site patrimonial remarquable ». Quant au processus de muséification, il ne concerne que des quartiers de taille limitée : certains secteurs de Venise par exemple, le grand centre de Prague.
Le tourisme a une responsabilité dans la transformation de quartiers historiques centraux, dans des espaces urbains aujourd’hui à valeur foncière élevée (quartier du Marais à Paris). Mais plus importante encore est la séparation fonctionnelle dans les centres des métropoles investis par les bureaux et désertés la nuit (phénomène de City).
Les groupes sociaux sont inégaux devant la popularisation du goût pour le patrimoine.
Ainsi la plateforme AirBnB contribue à vider certains quartiers de leurs habitants dans le centre des villes. A Venise (20 millions de visiteurs en 2023), les commerces de proximité disparaissent au profit de boutiques pour touristes. Barcelone a reçu 12 millions de touristes en 2023 ; les loyers ont augmenté de 18 %, provoquant l’exode des résidents, la transformation du tissu commercial avec l’ouverture de boutiques plus lucratives. En juillet 2024, des manifestations contre le surtourisme ont amené la municipalité à repenser le modèle de développement (interdiction progressive des locations d’appartements touristiques d’ici à 2028).
A Venise encore, les énormes bateaux de croisière menacent le site et sa lagune. Depuis le 1er août 2024, la taille des groupes touristiques y est limitée à 25 personnes, avec un droit d’entrée de 5 € par personne et par jour. Cependant, « les habitants manifestent leur crainte de voir leur ville devenir une ville musée » (Le Figaro 26/04/2024).
La mise en avant du patrimoine des villes musées est un objet de compétition avec d’autres villes et entre leurs habitants. L’activité marchande bénéficie des flux générés par la présence d’un élément patrimonial attractif, mais la réussite marchande peut permettre la pérennisation patrimoniale.
Sources :
- https://www.revuepolitique.fr/la-ville-musee-entre-preservation-du-passe-et-enjeux-davenir/
- https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/museification
- Nicolas Lebrun, « Regard géographique. Les liens entre la fonction marchande et la valorisation patrimoniale : au-delà du tourisme », Géoconfluences, février 2024.