
© Union européenne, 2021
La Moldavie et la Géorgie, deux Etats d’Europe orientale candidats à l’adhésion à l’Union européenne (UE), ont été le cadre d’élections à l’automne 2024. Des votes en forme de referendum sur l’UE, avec des résultats différents, mais contestés dans les deux cas.
Ces deux petits pays (Moldavie : 33 850 km², 3,6 Mh ; Géorgie : 69 700 km², 3,7 Mh), ex républiques socialistes soviétiques, indépendantes depuis 1991, sont toujours dans la sphère d’influence russe.
La Moldavie est une construction fragile, partagée entre roumanophones, qui regardent vers l’ouest et souhaitent rejoindre l’UE (de nombreux Moldaves ont obtenu la nationalité roumaine, ce qui fait d’eux des citoyens européens), et russophones, qui préféreraient renforcer les liens avec Moscou : la Transnistrie, à l’est, qui a fait sécession au début des années 1990, et la Gagaouzie y sont particulièrement favorables. Le partage de l’Eglise orthodoxe moldave (une partie favorable au Patriarcat de Moscou, l’autre au Patriarcat de Bucarest et de Constantinople), est le reflet de la tension géopolitique entre Orient et Occident.
La Géorgie, Etat tampon entre la Turquie au sud et la Russie au nord, se trouve au débouché de l’axe transcaucasien reliant la Caspienne à la mer Noire. Depuis 2008, la Russie contrôle 20 % du territoire géorgien : les républiques séparatistes d’Abkhazie, sur la côte de la mer Noire, et d’Ossétie du sud, au centre nord du pays, ont été reconnues comme indépendantes par Moscou. En 2008, la tentative du gouvernement géorgien de reprendre la région séparatiste d’Ossétie du sud s’est soldée par un fiasco militaire.
Les deux Etats ont déposé leur candidature à l’entrée dans l’UE. Pour le parlement moldave (mars 2024), l’adhésion est le « projet national prioritaire ». Depuis 2005, plusieurs accords ont été conclus entre l’UE et la Moldavie. Après la demande d’adhésion déposée le 3 mars 2022, les négociations ont été ouvertes en novembre 2023. La Présidente de la République, Maia Sandu, espère que la Moldavie pourra rejoindre l’UE en 2030. Elle a lancé des réformes pour accélérer le processus d’intégration, la lutte contre la corruption et la réduction de la dépendance au gaz russe.
La Géorgie s’est rapprochée de l’UE dans les années 1990. Un accord bilatéral de coopération a été signé en 1999, puis un accord d’association en 2016. Le 3 mars 2022, l’acte de candidature de la Géorgie a été suivi d’un avis négatif de la Commission en raison de l’orientation prorusse du gouvernement et d’atteintes à l’état de droit. Cependant la Commission est revenue sur sa position le 8 novembre 2023 et a accordé, le 14 décembre 2023, le statut officiel de candidat à la Géorgie.
Dans les deux cas, les élections organisées à l’automne 2024 ont pris la forme d’un référendum sur l’adhésion à l’UE, les résultats sont contestés et la Russie accusée d’interférence dans les scrutins.
En Moldavie, la séquence électorale de l’automne regroupe un référendum sur l’adhésion à l’UE et une élection présidentielle. Le 20 octobre 2024, les proeuropéens enregistrent une fragile victoire au référendum avec 50,39 % des voix. La diaspora aura joué un rôle essentiel dans ce résultat avec 77 % des votes favorables au « oui ». Seulement un quart des inscrits a voté en faveur du oui à l’Europe ; l’opposition, qui avait appelé au boycott, a permis paradoxalement la victoire du oui.
L’élection présidentielle a eu lieu sur deux tours. Le 20 octobre, Maia Sandu arrive en tête (42,5 % des voix) devant Alexandre Stoianoglo (26 %). Le 3 octobre, au second tour, la mobilisation des électeurs s’est renforcée (54,3 % de participation contre 51,6 % au premier tour). Maia Sandu est élue avec 55,3 % des voix, grâce à la forte mobilisation d’un électorat jeune et diplômé et à l’implication de la diaspora (328 000 voix sur 1,695 million de votes). Mais, sur le territoire moldave, c’est Stoianoglo qui l’emporte avec 51,2 % des voix. Géographiquement, le sud et le nord du pays sont plus favorables à la gauche moldave prorusse. Si, à l’étranger, Maia Sandu bénéficie d’une image positive, elle a pâti du rejet d’une partie significative des gens vivant en Moldavie. Stoianoglo, en conflit avec la Présidente, s’est présenté en « victime » de celle-ci ; s’il condamne l’agression russe en Ukraine, il estime que la Moldavie n’aurait pas dû se joindre aux sanctions antirusses.
En février 2023, au Conseil européen à Bruxelles, V. Zelensky, le Président ukrainien, a révélé que l’Ukraine a « intercepté un plan russe de destruction de la Moldavie », pour arrêter le processus d’intégration européenne et pour utiliser la Moldavie dans la guerre contre l’Ukraine. Le site internet de la commission électorale moldave a été l’objet d’une cyberattaque massive. Le conseiller de la Sécurité nationale moldave a indiqué que Moscou avait injecté plus de 100 millions d’euros pour perturber le scrutin, en achetant les votes de 300 000 personnes, soit plus de 10 % de la population. La victoire de Maia Sandu est une bonne nouvelle pour l’Ukraine, ce qui éloigne le risque d’être pris à revers par un nouvel allié de Moscou, sur une frontière de 600 km.
En Géorgie, les élections législatives ont eu lieu le 26 octobre 2024. Le parti « Rêve géorgien », déjà au pouvoir, emporte ce scrutin avec 54,08 % des voix, le taux de participation étant de 58 %. Selon les sondages, 80 % du peuple géorgien serait partisan d’adhérer à l’UE : il est parmi les plus europhiles du monde. La Présidente de la République, Salomé Zourabichvili, opposée au gouvernement, est favorable à l’entrée de son pays dans l’UE. Pour le Premier ministre Irakli Kobakhidzé, l’intégration européenne resterait la principale priorité. Mais le parti Rêve géorgien, auquel le chef de gouvernement appartient, entretient la confusion sur le sujet pour ne pas perdre ses électeurs. Emmené par l’oligarque Bidzine Ivanichvili (qui a fait fortune en Russie dans les années 1990, fortune évaluée à 4,5 milliards € équivalent à 25 % du PIB de la Géorgie), le parti dispose de moyens financiers importants, d’un fort ancrage dans les provinces et d’un secteur public où les fonctionnaires sont sommés de voter pour le parti au pouvoir. Plusieurs lois, adoptées récemment, rapprochent le pays de la Russie et restreignent les libertés des citoyens : en mai 2024, une loi controversée sur « l’influence étrangère », calquée sur une loi russe de 2012, vise à réduire au silence les médias indépendants et la société civile ; la littérature, par exemple, est devenue un enjeu politique : plusieurs écrivains ont quitté le pays depuis 2020. Le gouvernement de Tbilissi refuse de condamner l’agression russe en Ukraine, rejetant la faute sur Kiev et assure qu’il pourra renouer avec l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. La victoire du parti prorusse aux élections est contestée. La Présidente Salomé Zourabichvili refuse de reconnaître les résultats. L’ONG « My Vote » réclame l’annulation des résultats dans 246 bureaux de vote et un rapport de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) dénonce des manipulations des listes électorales. Une déclaration commune de quinze Etats de l’UE demande une enquête impartiale sur ce scrutin et l’opposition géorgienne la tenue de nouvelles élections. Le 25 novembre, les élus d’opposition ont boycotté la session inaugurale du Parlement géorgien, laissant seuls les 89 membres de Rêve géorgien sur les 150 que compte l’institution, alors que des milliers de manifestants étaient massés devant le parlement pour défendre « l’avenir européen » de la Géorgie.
Selon le rapport annuel sur la politique d’élargissement de l’UE, publié le 30 octobre 2024, la Cour européenne ne sera pas en mesure de recommander l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Géorgie avant qu’elle ne change de cap. Le gouvernement géorgien a annoncé, le 28 novembre, le report à fin 2028 des négociations sur sa demande d’adhésion ; mesure de rétorsion face à l’adoption d’une résolution du Parlement européen rejetant les résultats des élections législatives du 26 octobre, entachés « d’irrégularités importantes ». Depuis plusieurs jours, des milliers de manifestants se rassemblent devant le parlement à Tbilissi pour défendre « l’avenir européen » de la Géorgie. Le mouvement de contestation s’est étendu à 42 villes du pays. Le Premier ministre géorgien, Irakli Khobadidzé, soutient que les manifestations sont financées depuis l’étranger, accuse l’Occident de fomenter une révolution et de vouloir entraîner la Géorgie dans une guerre avec Moscou.
Dans les deux pays, la lutte est de plus en plus forte entre intérêts russes et sociétés civiles favorables à une intégration européenne[1]. L’intégration à l’UE va prendre du temps.
Cartes Géoconfluences :
Quels élargissements futurs pour l’Union européenne ?
Publié le 29/08/2022
Auteur(s) : Pascal Orcier, professeur agrégé et docteur en géographie, cartographe, enseignant en CPGE – lycée Dumont d’Urville à Toulon (83)
[1] En Roumanie, l’élection douteuse du premier tour du scrutin présidentiel, le 2 novembre 2024, a vu un candidat prorusse, Calin Georgescu, sorti de nulle part, obtenir près de 23 % des voix après avoir fait campagne uniquement sur Tik Tok. C’est le fruit d’une opération de manipulation, ayant coûté plusieurs centaines de milliers d’euros, menée par la Russie. Le 6 décembre, la Cour constitutionnelle roumaine a annulé l’intégralité du processus électoral, à deux jours du second tour de l’élection présidentielle.