Une politique européenne de la concurrence nouvelle, ça marche !

© Union européenne, 2024

La politique européenne de la concurrence est l’une des cinq compétences exclusives de l’Union. Seule la Commission établit des règles de concurrence nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur, règles qui, sur tel ou tel dossier, peuvent jouer contre l’intérêt national de tel ou tel Etat membre. Toutefois, la Commission exerce cette compétence exclusive en collaboration avec les autorités nationales de la concurrence et avec les juges nationaux.

La politique européenne de la concurrence ne cesse pas d’être analysée et discutée dans les milieux économiques et académiques.

Cependant avec la crise sanitaire, la donne a changé. En mettant en difficulté de nombreuses entreprises, elle a ébranlé l’économie dans son ensemble. La réponse de l’UE a consisté en 2020 en une série de mesures parmi lesquelles l’autorisation temporaire des aides d’État qui a permis aux États membres d’apporter un soutien nécessaire et proportionné aux entreprises qui en avaient besoin : ainsi, au cours des 18 mois de pandémie, la Commission a adopté plus de 670 décisions autorisant des aides d’État pour un montant de plus de 3 000 milliards d’euros dans l’ensemble des 27 États membres.

La crise et ses effets économiques et sociaux dépressifs s’éloignant, il s’agit de sortir du temporaire car la Commission reste convaincue que la concurrence contribue au dynamisme des entreprises en ce qu’elle les encourage à innover et à investir pour réussir sur le marché, tout en leur garantissant des conditions équitables et en assurant aux consommateurs de l’UE d’en bénéficier. Mais il convient aussi de prendre en compte de nouveaux enjeux en particulier la bataille mondiale pour la prééminence dans le développement des technologies d’avenir. Aussi, en novembre 2021, la Commission a intitulé une communication : « Une politique de concurrence adaptée aux nouveaux défis ».

Cela constitue-t-il une nouvelle politique de la concurrence ? La commissaire à la concurrence de l’époque, Margrethe Vestager, déclarait : « Nous procédons à des changements ciblés ». Pour faire face aux nouveaux défis, il s’agit de s’assurer que « chacun des instruments de la politique de concurrence (contrôle des concentrations, pratiques anticoncurrentielles et aides d’État) reste adapté à sa finalité », avec deux impératifs : d’une part, supprimer progressivement l’encadrement temporaire des aides d’État afin que les Etats membres dans le contexte de la reprise puissent créer des incitations directes à l’investissement privé notamment en direction des PME et, d’autre part, s’appuyer sur la politique de la concurrence pour rendre le marché unique, vert, numérique et résilient en jouant pour chacune des trois composantes avec les deux outils que sont les aides d’Etat et la règlementation.

Le marché unique vert, c’est le soutien à la transition écologique. Il s’agit de combler le déficit d’investissement écologique. Pour cela la Commission avance plusieurs propositions :

  • la révision des règles concernant les aides d’État en faveur du climat, de l’énergie et de l’environnement au service par exemple de la décarbonation de l’industrie ;
  • la mise en cohérence avec les principes applicables au Pacte vert par exemple le principe du pollueur/payeur ;
  • la mise en place d’incitations appropriées en faveur de l’innovation et de la fourniture aux consommateurs de produits plus propres par exemple des aides à l’acquisition de véhicules à émission de carbone nulle/à faible ;
  • l’encouragement de l’innovation de rupture au travers des Projets importants d’Intérêt européen commun (PIIEC). Ces projets transnationaux comportant des risques financiers qui ne peuvent pas être assumés par une seule entreprise voire un seul pays bénéficieront de l’aide active de l’Union comme par exemple le PIIEC pour l’hydrogène ou celui sur la santé à 16 Etats membres ;
  • de nouvelles règles concerneront les aides d’Etat à finalité régionale en faveur des régions les moins favorisées ou connaissant des défis liés à la transition ;
  • enfin, tout en appliquant rigoureusement les règles en matière de pratiques anticoncurrentielles et en matière de concentrations, la réglementation devra permettre des coopérations d’entreprises respectueuses de l’environnement à l’exclusion de toute opération d’éco blanchiment.

Le marché unique numérique, c’est le soutien à la transition numérique avec 3 objectifs :

  • combler le déficit en termes d’infrastructures de télécommunications et de réseau de connectivité. En plus de faciliter la coopération entre opérateurs privés pour un partage de réseau sans restriction de concurrence, la Commission a entrepris une révision des règles des aides d’Etat relatives au haut débit qui doit permettre de réduire la fracture numérique en particulier dans les zones rurales ;
  • contrôler le pouvoir de marché des plates-formes dominantes afin de lutter contre les discriminations pour l’accès de tiers aux données et contre l’abus de leur rôle de contrôleurs d’accès auprès des entreprises plus petites ; c’est l’objet du DMA (Digital markets Act) ;
  • établir des règles de concurrence prenant en compte les spécificités des marchés numériques en termes d’acquisitions d’entreprises, de partage d’informations.

Le marché unique résilient, cela passe par le contrôle des concentrations qui doit aider à garantir la diversification des chaînes d’approvisionnement et ainsi prévenir les dépendances. Par ailleurs, la politique de concurrence n’interdit pas aux entreprises d’unir leurs forces dans la recherche-développement, voire la commercialisation de produits et services. Enfin des règles en matière d’aides d’Etat s’appliquent pour faire face à des situations d’urgence par exemple sanitaire (production de vaccins) ou pour renforcer des secteurs essentiels comme celui des microprocesseurs jusqu’à la possibilité, pour les semi-conducteurs,  d’autoriser des aides publiques afin de combler d’éventuels déficits de financement au sein de l’écosystème des semi-conducteurs en vue de la mise en place, notamment, d’installations européennes inédites.

Mais deux événements de l’année 2022 vont contrarier le « retour à la normale » : la guerre russe en Ukraine et le plan américain pour favoriser l’investissement écologique (Inflation Reduction Act, IRA) auxquels l’Union répond, en 2023, par le dispositif du « cadre temporaire de crise et de transition » (TCTF). Il s’agit d’autoriser les gouvernements à fournir une aide aux entreprises touchées par la crise énergétique et à accorder des subventions pour financer les investissements de la décarbonation (fabrication de batteries, éoliennes…).

Aujourd’hui, la nouvelle politique de la concurrence en rapport plus étroit avec l’industrie est largement soutenue par les acteurs. Il est vrai que la bataille est d’autant plus rude pour l’Union que son décrochage d’avec ses deux grands « concurrents » est net.