L’Union européenne ne s’intéresse pas à l’industrie ! Vraiment ?

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En janvier 2023, lors du forum de Davos, la Présidente de la Commission européenne a présenté les grandes lignes d’un plan industriel de l’Union. N’en déplaise aux grincheux, les choses bougent en matière de politique industrielle.

L’industrie est une composante majeure de l’économie européenne. L’Union européenne est, aujourd’hui, au 3ème rang mondial des puissances industrielles avec 3 155 milliards $ derrière la Chine, 5 755 et les Etats-Unis 3 574. Elle possède des entreprises d’envergure mondiale et à forte réputation d’excellence dans les transports mais aussi dans la chimie et l’agro-alimentaire sans oublier les industries de la défense, de la sidérurgie, de la métallurgie et de l’énergie.
Pourtant, depuis plusieurs décennies, le poids relatif de l’industrie dans le PIB européen diminue. Entre 2000 et 2020 la part de l’industrie est passée de 25,5 % à 22,2 et elle fournit 22 % des emplois contre 27 % vingt plus tôt.  Cela résulte du développement des services mais aussi d’un phénomène de « désindustrialisation » très prononcé dans certains pays comme la France  au profit principalement de la Chine qui a, dès 2010, dépassé les Etats-Unis.
Par ailleurs, l’hétérogénéité des 27 situations nationales est très grande. Des pays ont conservé un secteur industriel important : en Irlande, 37 % du PIB, République tchèque 31 %. Pour la majorité des pays, c’est plus du quart du PIB : Slovaquie +28 %, Allemagne +27 % ; mais 9 Etats membres sont en dessous de 20 % dont les Pays-Bas, 17,8 % et la France, 16,4 %.
Enfin, le différentiel de puissance entre les 27 est énorme en termes quantitatif et qualitatif. Un pays, l’Allemagne,  exerce, depuis plusieurs décennies, une hégémonie par la puissance de sa production (près de 30 % de l’ensemble européen) construite sur de fortes spécialités et sur une production haut de gamme et  par sa stratégie commerciale d’exportation, certains économistes parlant de mercantilisme allemand. L’Italie 2éme et la France 3éme pèsent environ 11 % chacune.
En matière de politique industrielle, pour l’essentiel, la compétence appartient aux Etats. L’Union s’en tient, dans le cadre du marché unique et au nom de la protection des consommateurs, à limiter les interventions publiques susceptibles de fausser la concurrence (aide d’Etat, concentration monopolistique). Le traité de Maastricht précise que la Communauté peut certes décider de mesures spécifiques destinées à appuyer les actions menées dans les États membres mais à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres. Cette compétence dite d’appui est reprise dans le traité de Lisbonne.
Du fait de ces limites, le rôle de l’Union consiste à créer des conditions favorables à la compétitivité des entreprises industrielles en les intégrant dans d’autres politiques (commerce, marché intérieur, recherche et innovation, emploi,  protection de l’environnement et santé publique).
  • Dans  les années 1970 en raison du fossé technologique avec le Japon et bien que cela ne soit pas prévu dans les traités  une politique commune en matière de recherche et développement (R&D) et d’innovation se dessine.
  • Au milieu des années 1980, à l’initiative de la France et de l’Allemagne est lancé le programme intergouvernemental EUREKA de recherche pour la compétitivité et la productivité dans les technologies de pointe ; suivent dans le cadre du marché unique, d’autres programmes communautaires de recherche-développement et innovation : ESPRIT (technologies de l’information) ; RACE (technologies des  télécommunications) ; BRITE/EURAM (technologies industrielles et matériaux avancés)…
  • En 2000, avec la Stratégie de Lisbonne, l’Union affiche une forte ambition  industrielle : faire de l’Union, en une décennie « l’économie numérique la plus avancée » de la planète. Il s’agit, en coordonnant les efforts nationaux,  de développer la recherche-développement, de multiplier les investissements dans les secteurs numériques et de diffuser auprès des entreprises notamment les PME les nouvelles technologies.
En 2010, tirant la leçon du résultat très décevant de la Stratégie de Lisbonne et pour répondre à la double concurrence montante de la Chine et des Etats-Unis, l’Union élabore la Stratégie Europe 2020.
  •  Pour « soutenir la compétitivité » et  « encourager l’esprit d’entreprise », la Commission entend « créer un cadre propice » en simplifiant les formalités administratives, notamment pour les PME.
  • Pour stimuler l’innovation, elle propose de « collaborer étroitement avec les protagonistes des différents secteurs » dans le cadre de projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC).
  • Enfin, pour « aider les entreprises à « tirer profit » des défis de la mondialisation et du changement climatique, et pour lutter contre les pratiques de concurrence déloyale de la Chine et des Etats-Unis,  l’Union se dote d’instruments de défense commerciale : règles anti-dumping, mesures antisubventions et mesures de sauvegarde permettant de réduire temporairement les importations d’un produit dans l’Union.
2020 marque une forte inflexion stratégique de l’Union avec notamment la possibilité de constituer des « alliances industrielles sectorielles », plus de flexibilité en matière d’aides d’Etat pour les secteurs innovants, le filtrage des investissements directs étrangers et une protection renforcée de la propriété intellectuelle européenne.
En février 2023, la Commission lance le « Plan industriel du pacte vert pour l’ère du zéro émission nette » visant à revitaliser l’industrie européenne. Le plan repose sur 4 piliers :
  • rendre le cadre réglementaire plus favorable aux technologies « propres » en favorisant l’investissement dans les secteurs énergétiques clés : l’éolien, le solaire, les pompes à chaleur, l’hydrogène propre ou encore le stockage. Les procédures pour la création de nouveaux sites de production seront accélérées. En parallèle, le règlement sur les matières premières critiques indispensables pour la production de technologies clés, annoncé à l’automne 2022, doit aider à sécuriser les approvisionnements et permettre d’échapper au monopole chinois ;
  • afin de maintenir l’attractivité de l’industrie européenne et pour encourager l’investissement dans les technologies propres, les règles européennes en matière d’aide d’Etat aux entreprises seront assouplies en veillant toutefois à ce que cela ne pénalise pas les Etats les moins dotés. D’où la proposition complémentaire de créer un fonds de souveraineté européen, sans plus de précisions sur le processus et le financement de ce fonds ;
  • face au manque de travailleurs qualifiés dans de nombreux secteurs essentiels l’ingénierie, les technologies de l’information, la santé, 2023 a été déclaré Année européenne des talents avec pour objectifs de promouvoir les investissements dans la formation et le renforcement des compétences, de réduire la pénurie de main d’œuvre et de stimuler la compétitivité européenne ;
  • enfin, parce que le commerce international est “essentiel pour aider notre industrie à réduire les coûts, à créer des emplois et à développer de nouveaux produits”, le plan réaffirme qu’il faut garantir que ce commerce reste « équitable et ouvert ».
La pandémie, la guerre en Ukraine et la compétition internationale en  montrant la dépendance et la vulnérabilité industrielle de l’Union, imposent de dépasser les politiques nationales au profit d’une approche européenne intégrée, d’une PIC.