L’UE, un nain géopolitique ! Vraiment ?

 

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En juillet 2019, dans son discours de candidate à la présidence de la Commission, Ursula von der Leyen déclarait devant les députés européens : « Je vois dans les cinq prochaines années une chance pour l’Europe : celle de se montrer plus ambitieuse chez elle afin de prendre le leadership sur la scène mondiale ». Si certains analystes ont vu dans cet engagement  une façon de se différencier de son prédécesseur,  la majorité des observateurs ont salué la volonté de prendre en compte une situation internationale tendue et instable : en interne, le Brexit, la crise migratoire ; en périphérie, l’instabilité en Méditerranée, les tensions avec la Russie ; au plus large, le doute généré au sein de l’OTAN  par les initiatives trumpiennes (Iran par exemple) sans oublier l’activisme chinois… Restait, cependant, une interrogation sur la stratégie à privilégier : géoéconomique, avec le maintien de l’ouverture et la défense du multilatéralisme en tant que chef de file d’un commerce libre et équitable garanti par une Organisation mondiale du commerce réformée, ou géopolitique avec l’affirmation d’une Europe puissance, souveraine et autonome pour faire entendre dans le monde une voix plus forte et plus unanime, appuyée sur la construction d’une défense commune.

Durant les cinq années de la mandature, l’amplification du désordre mondial a imposé des réponses marquées par l’urgence et parfois l’improvisation.

Début 2020, la crise sanitaire a mis le monde sous cloche. La pandémie de Covid-19 a provoqué un bouleversement sans précédent de l’économie et du commerce international. Au deuxième trimestre 2020, les échanges de marchandises ont subi la plus forte baisse jamais enregistrée sur une telle période et l’Europe a connu une chute d’un quart de ses exportations. La dégradation du commerce des services a été aussi prononcée et des secteurs se sont effondrés, comme le transport aérien.

Face à la fragmentation du monde, l’Union européenne a défendu les principes du multilatéralisme et de la solidarité. Alors que les Etats-Unis de Trump quittaient l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Union a contribué à lancer dans le cadre de l’OMS, en avril 2020, l’initiative Access to Covid Tools Accelerator (ACT-A), un dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la COVID-19  par la mise au point et la production de produits de diagnostic, de traitements et de vaccins. En direction des pays à faible revenu, elle a activé le mécanisme européen de protection civile et participé au programme COVAX de partage des vaccins de l’OMS pour 450 millions de doses et 3 milliards d’euros de contribution.

Mais en révélant au gré des pénuries de masques, d’équipements de santé (comme les respirateurs), de médicaments ou de vaccins, la forte dépendance de l’Union à l’égard de l’extérieur (Chine et Inde), la pandémie a mis en débat la souveraineté sanitaire de l’UE, débat bientôt étendu à l’économie en général et aux nouvelles technologies en particulier. Réduire les dépendances en relocalisant, en contrôlant les investissements étrangers, en stimulant la recherche-développement, en protégeant les données dans un cadre de concurrence loyale et sans céder au protectionnisme, c’est l’objet du Plan industriel du Pacte vert présenté par la Commission au début de l’année 2023 en réponse à l’IRA américain (Inflation réduction act) et au 14ème plan quinquennal chinois.

Deuxième secousse majeure, quelques mois après le pic de la crise sanitaire, la guerre russe en Ukraine a constitué, pour l’Union européenne,  un choc géopolitique.

Dans l’année 2014, le soutien russe aux séparatistes du Donbass et, en mai, l’invasion puis l’annexion de la Crimée avaient tendu les rapports de l’UE avec la Russie sans que soit remis en cause l’approvisionnement européen en hydrocarbures russes. L’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022 a, par contre,  provoqué le « réveil géopolitique » de l’Union. L’UE a dénoncé « une guerre d’agression non provoquée et injustifiée menée par la Russie contre l’Ukraine », et, tout en veillant à éviter la cobelligérance, a apporté son soutien immédiat, massif et multiforme à l’Ukraine. En adoptant à l’unanimité des sanctions lourdes et réitérées à l’encontre de la Russie, en finançant la livraison massive d’armes à l’Ukraine, l’UE s’est assumée en tant que puissance déterminée à défendre ses valeurs. En se privant presque intégralement d’énergies fossiles russes, elle a accéléré sa transition énergétique et a ainsi travaillé à construire sa souveraineté.  Par ailleurs, en mars 2022, quelques jours après l’agression russe, l’Union a adopté une nouvelle « boussole stratégique », cadre stratégique pour son action en matière de sécurité et de défense en complément du rôle principal joué par l’OTAN.

Le 23 juin 2022, les 27 chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne ont à l’unanimité décidé d’accorder à l’Ukraine le statut de pays candidat à l’adhésion. Quelque trois ans après le début de la guerre, malgré les tentatives d’obstruction de la Hongrie et une lassitude d’une partie de l’opinion publique européenne, la solidarité avec l’Ukraine tient. A l’incertitude et à l’inquiétude créées par le retour de Trump à la Maison blanche, l’Union a répondu en serrant les rangs comme l’a montré, début février,  la réunion des ministres de la défense des 27 élargie au Royaume Uni et avec la participation du secrétaire général de l’OTAN.

Mais la crise au Proche-Orient déclenchée le 7 octobre par l’attaque terroriste du Hamas a mis en valeur la difficulté de l’Union à exister sur la scène internationale.

D’une part, tout en condamnant le terrorisme, les Etats membres ont réagi en ordre dispersé (visite de soutien à Israël immédiate ou décalée, discours de soutien à Israël intégral ou conditionnel, etc.) et, bientôt, des divisions sont apparues notamment sur la question du cessez-le-feu. D’autre part, des tensions se sont fait jour entre les présidences de la Commission et du Conseil européen. Par ailleurs la parole du Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, n’a guère porté. Mais il est vrai que dans ce dossier, la capacité d’influence de l’Union comme celle des Etats membres est, depuis longtemps, quasi-nulle.

Par sa défense du multilatéralisme et du principe de solidarité internationale,  l’Union européenne est un acteur qui compte sur la scène mondiale.

Avec l’invasion russe de l’Ukraine, elle a accédé au statut d’acteur géopolitique majeur. Certes son rôle reste régional et frappé de nombreuses fragilités : en interne, la tentation nationaliste et illibérale hostile au renforcement de l’intégration de l’Union ; à sa périphérie, la difficile gestion  de son voisinage et, à l’échelle mondiale, bien sûr, la faiblesse de ses capacités militaires et  diplomatiques.

Elle n’en est pas moins décidée à « endosser une plus grande responsabilité » comme le déclare le nouveau président du Conseil européen, Antonió Costa. L’Union européenne, n’est plus « un nain géopolitique ».