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L’Union européenne (UE) a développé sa propre politique en matière de défense depuis 1992. Mais dans le contexte géopolitique actuel, le sujet de « l’Europe de la défense » revient au premier plan. La réflexion s’accélère autour d’une volonté de réarmement en complément de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord).
La défense européenne est à l’ordre du jour depuis 1948. Le traité de Bruxelles, signé cette année-là entre la France, le Royaume-Uni et le Bénélux, doit permettre de faire face à la menace soviétique et à la question du réarmement allemand. Ce traité est vite supplanté par la création de l’OTAN en 1949. Le projet de création d’une armée européenne, en 1952, dans le cadre de la Communauté européenne de défense (CED), doit ménager les susceptibilités des anciens adversaires de l’Allemagne. Mais le Parlement français, où s’exprime l’opposition déterminée du parti communiste et des gaullistes, refuse de ratifier le traité. En conséquence, l’autorité américaine se renforce sur l’ensemble du dispositif militaire occidental en Europe et l’OTAN reste le fondement de la défense européenne.
Depuis 1992, l’UE a développé sa propre politique de défense, devenue, à partir de 1999, une réalité avec la création de la « Politique européenne de sécurité et de défense » (PESD), puis, en 2007 (traité de Lisbonne), la « Politique de sécurité et de défense commune » (PSDC), prolongement d’une politique étrangère plus unie et plus affirmée. Par le traité de Lisbonne (article 42), les États les plus engagés collaborent au sein de l’Agence européenne de défense, avec (art. 42.7) une clause de défense mutuelle : un État agressé reçoit aide et assistance des autres États. Mais le fondement de la défense collective, rappelé par les traités européens, reste une mission réservée à l’OTAN.
Le contexte géopolitique actuel provoque le réveil douloureux de l’UE. Deux éléments sont à la base de cette prise de conscience européenne.
En février 2022, la Russie attaque l’Ukraine. Cette « opération spéciale » voulue par le président Poutine a pour objectifs de « dénazifier » l’Ukraine et de mettre fin au « génocide » des habitants russophones du Donbass. L’agression de l’Ukraine inquiète les pays membres de l’UE, plus particulièrement la Pologne et les États baltes situés à l’est de l’Union.
Début mars 2025, « D. Trump fait exploser l’OTAN » (A. Frachon – Le Monde 7/03/ 2025). Le Président des Etats-Unis met en cause l’application de l’article 5 et le principe de défense mutuelle de l’OTAN pour les États « mauvais payeurs » ; les États européens sont appelés à investir à hauteur de 5 % de leur produit intérieur brut (PIB) dans leur armée. Les Etats-Unis auraient-ils l’intention de quitter l’OTAN ? Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État américain, a déclaré : « Le Président Trump a clairement indiqué qu’il soutenait l’OTAN. Nous allons rester dans l’OTAN ». Toutefois le débat sur l’avenir de l’Alliance n’est pas tranché ; pour le chef du Pentagone, Pete Hegseth, l’armée américaine doit s’en désengager rapidement pour être présente sur d’autres théâtres d’opération. Face à la menace de ce retrait militaire des Etats-Unis en Europe, l’UE affiche sa volonté de se réarmer et de devenir autonome dans ce domaine.
La situation géopolitique accélère la réflexion autour d’une véritable politique de défense européenne en complément de l’OTAN.
La « boussole stratégique » européenne, initiée en juin 2020, est articulée autour de quatre piliers :
- « Agir » pour gérer une crise ;
- « Assurer la sécurité » contre les menaces hybrides ;
- « Investir » pour développer les capacités de défense ;
- « Travailler en partenariat ».
La dernière boussole proposée par la Commission en 2025 doit guider l’UE jusqu’en 2030.
Le « livre blanc » de la défense, publié en mars, indique qu’après des décennies de sous-investissement, les pays de l’UE doivent faire plus, plus vite et mieux. L’industrie européenne de défense reste très fragmentée, sans planification des politiques d’acquisition des équipements. Pour créer des systèmes utilisables partout en Europe est proposée la création d’une centrale d’achat commune pour l’armement.
Le 11 mars 2025, un programme de financement « Re Arm Europe » a été présenté au Parlement européen par la Présidente de la Commission. Ce plan de 800 Mds d’euros comporte deux aspects : 150 Mds d’euros sous forme de prêts, 650 Mds d’euros à la charge des budgets nationaux, en partie exemptés des règles communes sur la dette et sur le déficit. Aujourd’hui, les armées européennes achètent plus de 60 % de leurs équipements aux Etats-Unis. Construire l’outil de défense est une opportunité pour créer des emplois, financer la recherche et retrouver une capacité industrielle.
Une telle politique demande l’unité des États européens. En Allemagne, le futur chancelier, F. Merz, est prêt à investir 100 Mrds d’euros par an dans la défense : c’est un renversement politique essentiel pour ce pays. Mais l’autonomie stratégique est difficile à accepter pour les États soucieux de ne pas rompre avec les Etats-Unis : en Italie, où le lien transatlantique reste très fort, en Hongrie, qui se démarque de ses partenaires européens. La création d’un marché commun de la défense pourrait se faire en collaboration avec des États non membres de l’UE : Royaume-Uni, Norvège, voire Turquie.
Si les Etats-Unis retirent leur appui militaire à l’Europe, la question nucléaire se pose sous un jour nouveau. Le Président français a proposé de mettre la dissuasion nucléaire française au service de la protection de l’Europe. Cette garantie nucléaire, si elle devait se substituer à la garantie américaine, assurerait-elle la même protection ? La France et le Royaume-Uni ont-ils suffisamment d’armes nucléaires pour protéger l’Europe ? Utiliser l’arme nucléaire demeurerait une décision nationale, mais la prise en charge du financement serait partagée par les Européens.
Si une majorité semble favorable au renforcement massif des armées européennes, certains pensent que rien ne sera résolu sans une organisation militaire intégrée et autonome. Le réarmement ne répondrait pas au défi russe, qui est autant idéologique que militaire. La réponse de l’Europe devrait passer ainsi par la promotion de son modèle de démocratie sociale et le soutien au droit international.