
© EC – Audiovisual Service – European Union, 2021 – Lukasz Kobus
Le 11 décembre 2019, dix jours seulement après l’entrée en fonction de la Commission européenne, sa présidente Ursula von der Leyen, expose lors d’une session plénière extraordinaire du Parlement européen, sa vision de l’avenir et le programme écologique qu’elle compte réaliser pendant les cinq années de son mandat. Si la préoccupation environnementale de l’Union n’est pas nouvelle[1], l’ambition dévoilée est tout autre : « Aujourd’hui, il s’agit de réconcilier l’économie avec la planète ». L’objectif est de faire de l’Europe le leader mondial en matière de lutte contre le réchauffement climatique et, pour cela, atteindre en 2050 la neutralité carbone. Cette ambition, la présidente l’inscrit dans le Pacte vert pour l’Europe ou Green deal comme stratégie de croissance de l’UE dont toutes les législations européennes doivent intégrer les objectifs.
Les propositions législatives, plans d’actions, stratégies, orientations, concernent des secteurs majeurs : l’énergie, l’industrie, les transports, l’agriculture, les sols, l’eau, la recherche, le commerce etc. Placée sous le pilotage du premier vice-président de la commission, une trajectoire de réduction des gaz à effet de serre doit être définie. L’Union s’engage à consacrer le quart du budget à la transition écologique.
Malgré la crise sanitaire et, à partir de février 2022, la crise énergétique consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le chantier du Pacte vert avance et, en moins de deux ans, suite à d’intenses négociations interinstitutionnelles, les colégislateurs (Parlement et Conseil) adoptent en avril 2023, les textes phares du Pacte vert avec une majorité politique confortable composée des conservateurs du PPE, des centristes de Renew, des sociaux-démocrates et des Verts.
Pour le volet climatique, le plan climat de 2021 pour une réduction de 55 % de GES (gaz à effet de serre) en 2030, la création d’un deuxième marché du carbone, des normes nouvelles pour le transport routier avec par exemple la fin, en 2035, de la vente des véhicules neufs à moteur thermique, la performance énergétique des bâtiments, la hausse des énergies renouvelables, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, etc.
Pour le volet écologique, biodiversité et restauration de la nature, l’extension des zones protégées maritimes et terrestres, la réduction d’ici 2030 de 50 % de l’usage des pesticides dans le cadre de la stratégie « De la ferme à la table ». Mais, en raison entre autres des réticences voire de l’opposition du monde agricole, un compromis difficilement forgé en novembre 2023 abaisse les objectifs de départ sans pour autant lever les oppositions déterminées des lobbies de l’agro-industrie et de l’agrochimie.
Ainsi, en quelque trois ans, plus de trente-deux législations sont adoptées qui concernent davantage la lutte contre le réchauffement climatique que l’environnement.
Pourtant avant même la fin de la mandature, la « mécanique du Pacte vert » se grippe [2].
Aux critiques immédiates émises par les pays à l’économie fortement carbonée tels que la Pologne ou la Hongrie s’ajoutent à la mi-année 2023 les appels de dirigeants nationaux à freiner la machine, à faire une « pause réglementaire »[3]. C’est que la situation économique dégradée avec le retour de l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et le ralentissement de l’activité, rend difficile la poursuite du Pacte vert[4]. Une petite musique anti écologie sur le thème de « l’écologie punitive » monte dans les opinions publiques nationales exploitée par des partis d’extrême droite comme l’AfD en Allemagne ou le RN en France. En juillet 2022, aux Pays-Bas, une véritable révolte paysanne contre le plan de réduction des émissions d’azote paralyse le pays et trouve une traduction politique spectaculaire avec le succès électoral du Mouvement agriculteur-citoyen[5]. Le compromis agricole, difficilement forgé à l’automne 2023, abaisse considérablement les objectifs de départ sans pour autant lever les oppositions du monde agricole et des lobbies de l’agro-industrie et de l’agrochimie.
Dans le discours sur l’état de l’Union de septembre 2023, si le premier dossier évoqué par la présidente de la Commission est bien le Pacte vert, c’est pour annoncer qu’il convient d’ouvrir une « nouvelle phase ». Le programme économique doit reposer sur le binôme modernisation et décarbonation, sa mise en œuvre sur un dialogue permanent avec les différents acteurs économiques :
- discussion avec les différentes filières industrielles pour gérer la transition énergétique avec en particulier un soutien à l’industrie des technologies propres ;
- « moins de polarisation » avec le monde agricole invité à participer à la défense de la biodiversité tout en continuant à assurer la sécurité alimentaire des Européens.
S’il ne constitue pas un bouleversement stratégique, cet appel au dialogue, prend en compte, à l’évidence, les réticences voire les résistances des milieux économiques productifs aux mesures environnementales et, à Strasbourg, les critiques de plus en plus ouvertement exprimées par la droite européenne et amplifiées par des responsables gouvernementaux dans des pays de plus en plus nombreux.
A la veille du scrutin européen de juin 2024, malgré une transition verte, agricole et alimentaire très en retrait des objectifs, le bilan législatif du Pacte vert est considérable[6].. Pourtant, l’avenir du Green deal est fragile.
Lors de la campagne des européennes, le thème de la crise écologique est éclipsé par les dossiers de la vie quotidienne, vie chère, immigration, sécurité et le scrutin de juin tourne en défaveur des défenseurs du Pacte vert. En premier lieu, les Verts qui perdent un tiers de leur représentation, à un degré moindre les centristes. Sortent renforcés les partis d’extrême droite irréductibles opposants au Pacte et au projet européen dans son ensemble. En gagnant des sièges, les conservateurs du PPE se retrouvent en situation de faiseurs de majorité pour poursuivre ou détricoter le Pacte vert.
Le 18 juillet 2024, dans son discours d’investiture la présidente reconduite de la Commission expose ses orientations politiques pour 2024-2029. La première des sept s’intitule « Un nouveau plan pour une prospérité et une compétitivité durables de l’Europe ». Alors qu’en 2019, la transition écologique était au cœur du programme, en 2024, le mot d’ordre de la mandature devient compétitivité. Quelques semaines plus tard, faisant sien le diagnostic alarmiste établi par l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi sur l’état économique de l’Union, Ursula von der Leyen annonce comme première initiative majeure de la mandature, « une boussole pour la compétitivité ». Et « propre » se substitue à « vert » comme l’atteste le Pacte pour une industrie propre présenté en février 2025 qui postule que « compétitivité et décarbonation » ne s’opposent pas.
Mais l’entrée en application de mesures adoptées tarde comme le règlement sur la déforestation ou les nouvelles règles sur le développement durable des entreprises, la pression sur la Commission s’accentue pour obtenir la révision de mesures comme la mise en place en 2027 d’un marché du carbone pour le transport et le chauffage ou la fin annoncée en 2035 de la vente de voitures neuves à moteur thermique voire l’abandon de mesures comme certaines contraintes environnementales en lien avec le versement d’aides agricoles directes[7].
Le Pacte vert a-t-il vécu ? Ursula von der Leyen le répète : « l’UE maintient ses objectifs du Pacte vert« . Il lui faut convaincre que ce propos n’est pas que rhétorique.
[1] Paquet énergie-climat de la commission Barroso adopté en 2009 et Paquet énergie propre de la commission Juncker adopté en 2019.
[2] Article dans le Monde, le 28 septembre 2023, collectif de journalistes.
[3] C’est le cas du président Macron en mai 2023 et du PPE dans une déclaration début juillet 2023.
[4] En septembre, la présidente du Parlement européenne, Roberta Metsola, fait part de ses réserves jugeant que par son impact sur la vie quotidienne des citoyens et des entreprises, le Pacte vert nourrit le populisme.
[5] Lors d’élections provinciales, en mars 2023, le parti BBB (Mouvement agriculteur-citoyen) est devenu la première force politique néerlandaise.
[6] Voir Le Pacte vert européen – Un bilan par Ophélie Risler dans Terra Nova, février 2024.
[7] Par exemple l’obligation de mise en jachère de 4 % des terres arables pour favoriser la biodiversité.