
© European Union, 2025 – EC – Audiovisual Service – Fred Guerdin
Le dimanche 27 juillet la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et le président des États-Unis, Donald Trump, ont scellé un accord commercial qui vaut à la première un flot de critiques. Que valent ces critiques ?
« Ce n’est pas Donald Trump qui a conclu un accord avec Ursula von der Leyen, c’est plutôt Donald Trump qui a mangé Ursula von der Leyen au petit déjeuner » Une telle déclaration-exécution du premier ministre hongrois Orban relevant davantage de l’animosité personnelle que de l’analyse de l’accord ne mérite pas qu’on s’y arrête.
Les critiques formulées à l’encontre de la Commission portent sur la forme et sur le fond.
Sur la forme, de nombreux observateurs se sont étonnés de la mise en scène de la négociation finale de l’accord. Le lieu de la rencontre tout d’abord : la Présidente de la Commission européenne a rejoint le Président des Etats-Unis en terre britannique dans une enceinte privée, un golf écossais propriété de l’hôte. En somme avancent-ils, une convocation plutôt qu’une invitation. Remarquons néanmoins que le sommet organisé le 24 juillet à l’occasion du 50e anniversaire des relations diplomatiques entre la Chine et l’UE et quelque 47 ans après le premier accord commercial sino-européen, s’est tenu sur décision de Xi Jinping à Pékin au lieu de Bruxelles et sur un jour au lieu de deux comme prévu !
Sans surprise la conférence de presse s‘est déroulée selon le dispositif médiatique trumpien du bureau Ovale de la Maison blanche : temps de parole inégal au profit du président hôte, autosatisfaction, langage hyperbolique : « le plus grand accord jamais conclu en matière de commerce » avec une nouveauté cependant, la lecture hésitante de quelques mesures griffonnées sur une feuille brouillon sortie de la poche intérieure trumpienne. La présidente de la Commission a écouté sans réaction particulière mais elle a surpris en paraissant entrer dans le jeu de son interlocuteur : propos complaisants : « You’re known as a tough negotiator and dealmaker… »[1], autosatisfaction quelque peu surjouée : « Cet accord va nous rapprocher », « Nous avons un accord entre les deux plus grandes économies du monde. Félicitations et merci ».
A l’évidence malgré la poignée de main entre les deux dirigeants la scène n’a pas été à l’avantage de l’Union et l’image symbolique de cette dernière s’en trouve abimée. Cependant, est-ce suffisant pour parler de « soumission » voire de « vassalisation de l’Europe »[2] ?
Pour répondre, il convient de considérer le fond de l’accord.
Précisons que ce dernier est intervenu le 27 juillet soit 4 jours avant la date-butoir du 1er août fixée par les Etats-Unis pour taxer les produits européens à hauteur de 30 %. L’accord prévoit que la majorité des produits européens exportés vers les États-Unis seront taxés à 15 %, y compris les produits pharmaceutiques et les semi-conducteurs. Si plusieurs produits « stratégiques », équipements aéronautiques, certains produits chimiques et agricoles, certains médicaments et certaines ressources naturelles… seront exonérés, les droits de douane sur l’acier et l’aluminium, d’ores et déjà taxés à hauteur de 50 %, sont maintenus.
Par ailleurs, l’UE s’engage à acheter aux Etats-Unis, dans les trois prochaines années pour un montant de 750 milliards de dollars de produits énergétiques, pétrole et gaz ainsi que du matériel militaire. Enfin, l’UE déclare vouloir investir 600 milliards de dollars supplémentaires aux États-Unis dans le même laps de temps.
Dès les termes connus, les dirigeants des Etats-membres, s’ils saluent dans l’ensemble l’accord, réagissent de façon contrastée aux deux arguments principaux avancés par la Commission. Le « Je suis sûr à 100 % que cet accord est meilleur qu’une guerre commerciale avec les États-Unis »[3] ne fait guère question comme le déclare le chancelier allemand Merz « : L’accord permet d’« éviter une escalade inutile dans les relations commerciales transatlantiques ». Par contre, le « C’est clairement le meilleur accord que nous pouvions obtenir dans des circonstances très difficiles » ne convainc pas. Une taxe de 15 % au lieu des 10 % espérés, qui plus est sans réciprocité, c’est, comme le qualifie le ministre délégué chargé de l’Europe français un accord « déséquilibré ». Hormis le Hongrois Orban, la réaction la plus sévère émane du chef de gouvernement de la France : « C’est un jour sombre que celui où une alliance de peuples libres, rassemblés pour affirmer leurs valeurs et défendre leurs intérêts, se résout à la soumission ».
Un tel propos, s’il a le mérite de rappeler la dimension politique de l’Union européenne, a été jugé excessif par de nombreux analystes et n’a pas été repris par les responsables politiques dans les autres Etats-membres. Plusieurs raisons à cela. D’une part, si comme l’a rappelé, dans son entretien, la présidente de la Commission, l’UE est le premier marché mondial, elle n’en demeure pas moins dépendante des Etats-Unis. Une dépendance multiforme : géopolitique et militaire (OTAN, Ukraine, défense), énergétique (hydrocarbures), technologique (numérique)… D’autre part, après analyse, peu d’experts soutiennent que 15 % de droit de douane suffisent pour crier au « racket »[4]. Enfin et surtout, la messe n’est pas encore dite. Car l’accord commercial du 27 juillet reste flou et relève davantage d’une plate-forme que d’un engagement contraignant signé en bonne et due forme. Ainsi s’agissant de l’engagement européen à investir massivement aux Etats-Unis, les décisions relèvent des entreprises et non de l’UE ou des Etats nationaux.
Dans les prochains jours et semaines, il va falloir négocier secteur par secteur le régime douanier des produits, les échéances et modalités d’application. Et en bout de course, la décision européenne reviendra aux Etats-membres à travers le Conseil qui devra approuver à la majorité qualifiée : 55 % des Etats représentant au moins 65 % de la population. Comme le note Elie Allan correspondant du journal Le Monde à Bruxelles, « L’accord de Turnberry n’est pas encore écrit, son avenir non plus »[5]. Ses effets, non plus.
« Honte » (RFI et PS), « Fiasco politique, économique et moral » (RN), autant de formules assassines de dirigeants politiques français pour un accord qui, à ce stade, reste à construire[6]. Mais, il est vrai que la cible véritable parait être moins l’accord que la Commission et sa présidente.
[1] « Vous êtes connu comme un négociateur coriace et un négociateur acharné ».
[2] « Face à la vassalisation de l’Europe, sursaut ou postures ? », Rémi Bourgeot, IRIS, 1er août
[3] Marcos Sefcovic, commissaire européen chargé du Commerce, conférence de presse
Bruxelles, le 28 juillet.
[4] « Ce n’est pas un accord, c’est du racket ! » L. Wauquiez, 28 juillet
[5] Le Monde, mercredi 30 juillet.
[6] Le 7 août, jour d’entrée en application des nouveaux droits américains, les mesures de représailles européennes d’avant accord, n’ont été que suspendues…