
@ European Union 2025 – Source : EP
Le 10 septembre 2025, la présidente de la Commission européenne prononce devant le Parlement européen en session plénière à Strasbourg le discours sur l’état de l’Union[1]. Dans une conjoncture difficile, ce discours prend un relief particulier.
Le discours sur l’état de l’Union européenne, inspiré du modèle états-unien, a été instauré par le traité de Lisbonne et inauguré en 2010.
En une heure environ, la présidence de la Commission dresse un bilan de l’année écoulée et annonce les chantiers prioritaires de l’année à venir. A l’issue du discours, les présidents des groupes parlementaires interviennent selon un ordre et une durée dictés par l’importance du groupe. Ils commentent, questionnent, appuient ou critiquent le propos présidentiel.
Evénement majeur de l’année politique européenne, le discours, s’il est analysé de près par les acteurs et les observateurs des affaires de l’Union est peu rapporté auprès des opinions nationales par la presse généraliste, notamment audio-visuelle. C’est particulièrement le cas en France.
Le discours sur l’état de l’Union 2025, sur la forme, était peu attendu, Ursula von der Leyen, forte de quatre prestations antérieures, maîtrisant parfaitement l’exercice. Sur le fond, plus que le bilan d’une année réduite à 8 mois[2], ce sont les priorités qui ont été mises en avant. Il est vrai que le contexte est plus que difficile pour l’Union : crises géopolitiques majeures, compétitivité industrielle dégradée, transition écologique en question, poids renforcé des groupes eurosceptiques dans le nouveau Parlement et surtout relation transatlantique incertaine.
« L’Europe se bat » constitue le fil conducteur du discours de la présidente de la Commission. L’Union européenne, rappelle-t-elle, est un projet de paix et de liberté. Or l’évolution actuelle du monde menace ce projet et exige que l’Europe lutte pour défendre son indépendance, sa liberté, ses valeurs démocratiques. Pour mener ce combat, la présidente de la Commission en appelle à l’unité des Européens.
Unité dans les crises géopolitiques en premier lieu l’Ukraine.
Lors du Conseil européen du 26 juin, l’UE a réaffirmé son soutien sans faille à l’Ukraine dans la défense de son indépendance, de sa souveraineté et de l’intégrité de son territoire.
Ursula von der Leyen avance plusieurs projets parmi lesquels :
- un 19ème train de sanctions pour lutter contre la flotte fantôme russe, pour exclure de nouvelles banques du système de paiement swift etc. ;
- une aide financière et technique pour la production de drones ;
- une hausse du financement européen de l’effort de guerre ukrainien grâce à un prêt de réparation assis sur les avoirs russes gelés ;
- l’organisation d’un sommet international pour le retour des enfants ukrainiens enlevés par la Russie.
La guerre en Ukraine soulignant la nécessité urgente de construire une défense européenne autonome, plusieurs propositions sont faites parmi lesquelles :
- la réalisation du plan « Préparation pour une défense européenne autonome pour 2030 » d’un montant de 800 milliards d’investissements privés et publics ;
- le programme SAFE pour des achats d’armes en commun (19 pays) ;
- la nécessité de renforcer la défense du flanc oriental de l’Union grâce à l’édification d’un « mur de drones » ;
- le souhait de l’élargissement de l’Union à l’Ukraine, à la Moldavie et aux Balkans occidentaux.
S’agissant de la guerre à Gaza, l’Union renouvelle son engagement en faveur de la paix.
La présidente rappelle que l’UE soutient les efforts déployés pour la solution à 2 Etats, qu’elle refuse l’extension de la colonisation en Cisjordanie et qu’elle condamne l’utilisation de la famine comme arme de guerre. Elle propose l’adoption de sanctions contre les ministres israéliens extrémistes et les colons violents ainsi que la suspension de l’accord d’association avec Israël pour sa partie commerciale. Sans certitude de l’obtenir en raison de la division des Etats.
Unité dans le combat pour la compétitivité dans un monde économique fortement concurrentiel.
En janvier 2025, la Commission a présenté une boussole pour la compétitivité comportant plusieurs priorités :
- investir massivement dans le numérique et les technologies propres en soutenant l’innovation et la recherche au service de la souveraineté technologique : giga fabrique IA, batteries… par l’intermédiaire du futur fonds pour la compétitivité et le doublement du financement alloué au programme Horizon Europe ;
- faciliter la vie des entreprises en simplifiant les règles et en luttant contre la bureaucratie ;
- travailler à achever le Marché unique en éliminant les entraves nationales qui subsistent pour la finance, l’énergie, les télécommunications… ;
- retenir les entreprises en Europe en accélérant la mise en place du Pacte pour une industrie propre et en créant un critère Made in Europe pour la passation des marchés publics ;
- maintenir le cap sur les objectifs climatiques et environnementaux et proposer des mesures de sauvegarde pour les industries difficiles à décarboner comme la sidérurgie.
Unité dans la défense du modèle européen.
Dans le domaine social, un règlement à venir pour des emplois de qualité, un plan pour éradiquer la pauvreté notamment des enfants en 2050, des mesures pour le coût de la vie en touchant à l’énergie, au logement, à la mobilité et à l’alimentation. Ce dernier aspect lui permet d’aborder la question de la concurrence agricole en défendant les accords commerciaux signés dont celui signé avec les Etats-Unis qu’elle qualifie de « meilleur accord possible ». Elle préconise de multiplier et de diversifier les partenariats internationaux.
Dans le domaine politique, l’Union a besoin de se doter d’un bouclier de la démocratie pour protéger l’Etat de droit et les libertés dont le respect conditionne l’octroi des fonds européens. A partir de l’exemple sanitaire des vaccins, la Présidente entend lutter contre la désinformation, protéger les médias et leur indépendance, développer l’éducation aux médias et encadrer l’usage des réseaux sociaux par les jeunes.
Dans le domaine de la migration, l’accent est mis sur la protection des frontières avec le double engagement de lutter contre les passeurs et de favoriser le retour des migrants illégaux dans leur pays de départ.
L’évocation des incendies de l’été et des interventions de l’Union souligne que la solidarité est une valeur cardinale de l’Union.
Dans sa conclusion la Présidente rappelle qu’elle reste favorable à deux réformes institutionnelles : le droit d’initiative du Parlement et l’extension de la majorité qualifiée au Conseil.
A l’issue du discours présidentiel les chefs de groupes parlementaires se sont exprimés dans un éventail de réactions allant de l’opposition radicale à l’adhésion avec réserve plus ou moins marquée.
Les deux groupes d’extrême droite (le Pfd avec pour orateur J. Bardella, l’ESN avec R. Raust), dressent un réquisitoire à vocation principale de politique intérieure[3]. La condamnation de la Gauche radicale porte sur l’accord commercial avec les Etats-Unis qu’elle qualifie de capitulation et sur l’impuissance à ramener la paix… à Gaza. Parmi les autres intervenants, N. Procaccini, orateur conservateur et nationaliste, s’il soutient l’accord avec les Etats-Unis, demande l’abandon du Pacte vert et attend une meilleure protection des chrétiens dans le monde. D’accord sur nombre de propositions, sur Gaza, sur l’indépendance énergétique, au nom des Verts, B. Eickhout attend une plus grande détermination à les mettre en cohérence pratique notamment en matière énergétique. Renew, par la voix de Valérie Hayer, souscrit à tous les points du discours, réclame une action urgente et en appelle à la volonté politique des acteurs, notamment de la présidente de la Commission. Pour le PPE, M. Weber salue le travail de la Commission dans un contexte compliqué, en particulier l’accord du Mercosur et dénonce l’attitude des socialistes comme étant des fauteurs de division et d’immobilisme dans nombre de dossiers, les migrations en particulier. I. Garcia Perez, pour les socialistes débute en reprochant à Ursula von der Leyen d’avoir cédé à la pression du PPE au détriment des intérêts européens avec l’accord commercial avec les Etats-Unis. Elle poursuit en déplorant la passivité sur les dossiers de Gaza et de l’Ukraine.
A l’évidence, l’unité que la présidente de la Commission appelle de ses vœux n’est guère d’actualité. Dans la majorité, les propos accusateurs réciproques des socialistes et des conservateurs risquent de laisser des traces. Quant aux extrêmes, elles ont annoncé déposer deux motions de censure contre Ursula von der Leyen : une d’extrême droite par les Patriotes, l’autre d’extrême gauche par la Gauche radicale.
[1] LCP youtube.com, Discours sur l’état de l’Union européenne 10 septembre 2025.
[2] La Commission von der Leyen 2, investie le 27 novembre par le Parlement européen, a pris ses fonctions le 1er décembre 2024.
[3] PfD ou Patriotes pour l’Europe (RN, Lega…), ESN ou Europe des nations souveraines (AfD, Reconquête…)