Chypre, l’île de la désunion

© European Communities, 2004

L’île de Chypre (9.250 km², 970 000 habitants) se situe à l’extrémité orientale de la mer Méditerranée, dans le bassin Levantin.
Entrée dans l’Union européenne (UE) en 2004, partagée depuis 1974, c’est l’île de la désunion. Revendiqué en raison de sa situation stratégique, son territoire, au cœur des tensions entre la Grèce et la Turquie, est doté d’un statut complexe.

Chypre est divisée depuis 1974 ; à la suite d’un coup de force du gouvernement militaire grec qui entraîne la chute du Président Makarios, l’intervention de l’armée turque entraîne la partition de l’île. La République Turque de Chypre du Nord (RTCN), sur moins d’un tiers de l’île méditerranéenne, proclame son indépendance le 15 novembre 1983. La communauté internationale et le Conseil de l’Europe considèrent comme occupé ce territoire, reconnu uniquement par le régime turc.
Un espace divisé, malgré l’unité du milieu méditerranéen, chaud et sec en été, où les céréales, la vigne, les oliviers et les agrumes sont la base de l’agriculture. La contrainte de l’approvisionnement en eau est forte. Le massif du Troodos, au sud, en fournit une part, mais 79 % de la ressource provient du dessalement de l’eau de mer. En 2025, la Turquie édifie un aqueduc de 105 kilomètres (dont 80 kilomètres sous la Méditerranée) entre Anamur et la partie nord de l’île. Ce milieu est en revanche favorable au développement du tourisme balnéaire, qui se combine avec les activités culturelles : site néolithique de Choirskoitia, le site archéologique de Tamassos et, bien entendu, inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco depuis 1980, le parc archéologique de Paphos et les magnifiques mosaïques romaines de ses villas sans oublier à proximité le Rocher d’Aphrodite.
La zone nord, peu viable, est sous perfusion économique, financière et militaire d’Ankara, la capitale turque. Cette région connaît un retard de développement par rapport au sud ; utilisant la monnaie turque, elle subit les effets de la crise économique de ce pays.
Dans la partie méridionale de l’île, argent sale et fortunes russes continuent de narguer l’Europe. Grâce à une convention fiscale avantageuse, la Russie est le second plus gros investisseur à Chypre. De 2013 à 2020, des passeports de complaisance ont été octroyés à certains riches hommes d’affaires. Les visas dorés (certificats de résidents permanents en contrepartie d’un investissement de 300 000 euros sur l’île) donnent encore à Chypre une place de choix pour rendre respectables des flux financiers sulfureux. De nouvelles activités peu régulées (cybersurveillance, jeux en ligne, pornographie) sont aussi développées. Le secteur financier représente 8 % du PIB et fait de Chypre une plaque tournante de l’argent sale.

La partition de l’île est liée à sa position géostratégique : au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, ce territoire a été l’objet de nombreuses convoitises au cours de l’histoire. Après Byzance, Venise, l’Empire ottoman, Chypre est administrée, à partir de 1878, puis annexée, en 1914, par le Royaume-Uni. La lutte de la population grecque, majoritaire (82 %), se confondait avec l’idéal de l’union avec la Grèce (Enosis), que la minorité turque ne pouvait accepter. L’indépendance, acquise en 1960, s’accompagne d’un compromis fondé sur des garanties accordées à la minorité turque.
A la suite de la partition de l’île en 1974, le nord de Chypre est considéré, par la communauté internationale et par le Conseil de l’Europe, comme un territoire occupé. Les Chypriotes grecs sont regroupés au sud ; les Chypriotes turcs, rejoints par de nombreux migrants venus de Turquie, sont installés au nord.

L’île est partagée en quatre zones aux statuts politiques différents :

  • Au sud, la République de Chypre (RdC), peuplée de Chypriotes grecs, occupe presque 60 % de la superficie de l’île. C’est une république dont le Président, Nikos Christodoulides, est aussi le chef du gouvernement. Le Parlement, monocaméral, est élu pour cinq ans.
  • Au nord, la République Turque de Chypre du nord (RTCN), est la zone occupée par la Turquie.
  • La « ligne verte », frontière entre les deux entités, est avant tout une ligne de cessez-le-feu, sous contrôle des forces de l’ONU. Neuf points de passage sont ouverts depuis 2003. Cette ligne, matérialisée par un « mur » jalonné de neuf points de contrôle, partage également la ville de Nicosie.
  • Deux bases britanniques, Akrotiri et Dhekelia, sous souveraineté du Royaume-Uni, ont leur propre administration.

Territoire divisé, Chypre est intégralement membre de l’UE. La RdC refuse de voir dans la ligne de partage une quelconque frontière internationale : ce serait reconnaître la partition de l’île en deux entités étatiques. Le Nord étant considéré comme territoire occupé, l’application de l’acquis   communautaire européen y est suspendue. Les Chypriotes turcs sont exclus des nombreux droits et avantages liés à la citoyenneté européenne : pas de liberté de circulation, pas de participation aux élections européennes, ni d’accès aux fonds structurels et de cohésion de l’UE.
La division de l’île et les enjeux du gaz naturel sont au cœur des tensions entre la Grèce et la Turquie. Les ressources en gaz du bassin levantin sont estimées à 2 500 milliards de m³, mais aucun gisement ne se trouve dans les eaux territoriales turques. Ankara cherche à étendre sa zone économique exclusive, un moyen pour le Président turc de flatter son électorat nationaliste.

Au nord (RTCN), l’élection de Tufan Erhüman (62,76 % des voix, le 19 octobre 2025), devant le candidat nationaliste Ersin Tatar soutenu par la Turquie, représente un espoir de réunification de l’île en un État fédéral. Le nouveau Président adopte une attitude constructive, tout en souhaitant maintenir le dialogue avec Ankara.
La RdC prendra la présidence du Conseil de l’UE au premier semestre 2026, avec pour base de travail le programme (« une Europe plus forte dans un monde en changement ») du trio qu’elle compose avec la Pologne et le Danemark.

 

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