
© EC – Audiovisual Service, European Union, 2020
La nouvelle élection de Trump a, c’est le moins que l’on puisse dire, plongé les dirigeants européens, à l’exception du Hongrois Orban, dans un océan d’anxiété et généré de vives interrogations sur la relation de l’Union avec le partenaire américain. L’espoir, mezzo voce, selon lequel Trump ayant enrichi sa connaissance et approfondi sa réflexion sur les réalités européennes, s’abstiendrait de toute manifestation d’hostilité anti-européenne a été vite douché.
Avant même l’entrée en fonction, le candidat républicain a enchaîné les propos provocateurs à l’égard des Européens : ainsi le 24 octobre 2024 à quelques jours du scrutin présidentiel, déclarait-il : « Ils ne prennent pas nos voitures, ils ne prennent pas nos produits agricoles, ils ne prennent rien« , ajoutant « Vous savez, l’UE c’est une mini Chine, mais pas si mini que ça« . Et d’annoncer un relèvement de 10 % des droits de douane sur toutes les importations. Autres promesses électorales, le retrait à nouveau de l’accord de Paris sur le climat adopté lors de la COP 21 que les Etats-Unis avaient réintégré avec Biden.
Dès sa prise de fonction, le nouveau président met l’Europe sous pression commerciale en multipliant les annonces tarifaires : le 11 février, il décide d’imposer des droits de douane de 25 % sur l’acier et sur l’aluminium entrant aux Etats-Unis avec effet à partir du 12 mars. Le 25 février, il déclare vouloir taxer à 25 % les produits importés de l’Union européenne avec pour argument fleuri : « L’UE a été conçue pour entuber les Etats-Unis. C’était l’objectif et ils y sont parvenus. Mais désormais je suis le président« . Le 26 mars, les voitures étrangères importées, notamment européennes, sont frappées de 25 % de droit de douanes et, le 2 avril, « jour de la libération pour les Etats-Unis », nouvelle étape dans l’escalade, l’administration américaine annonce de nouveaux droits de douane de 10 à 49 % imposés à 185 pays et territoires à travers le monde. Mais le 9 avril, après une semaine de chaos boursier doublé de la menace d’une crise financière, l’administration Trump opère une reculade spectaculaire en suspendant pour 90 jours les taxes décidées pour tous les pays à l’exception de la Chine. La trêve décrétée est fragile et le 23 mai, Trump menace : « Je recommande d’imposer 50 % de droit de douane sur l’UE à compter du 1er juin ».
La pression exercée par l’administration Trump sur l’Union européenne n’est pas que commerciale.
Depuis le 24 février 2022, l’invasion russe de l’Ukraine a ramené la guerre en Europe. L’administration Biden à l’instar de l’UE, a soutenu politiquement et militairement, non sans quelques limites, le pays agressé et son président Volodymyr Zelensky. Durant la campagne électorale de 2024, le candidat Trump n’a cessé de claironner que, arguant de « sa bonne relation » avec Poutine, il mettrait fin à la guerre en Ukraine en seulement 24 heures. Devenu président, Trump renoue, dès février, le contact avec la Russie pour des négociations desquelles seront écartés les Ukrainiens et les Européens. A la surprise générale, le président américain adopte l’argumentaire russe et fait de l’Ukraine agressée le déclencheur du conflit et l’obstacle principal à son règlement ! Le 28 février 2025, dans le bureau Ovale de la Maison blanche, en direct devant les caméras du monde entier, le président ukrainien est humilié et l’Union qui le soutient, désavouée.
Aux injonctions réitérées faites aux partenaires européens de l’OTAN d’accroître leur contribution financière, Trump ajoute la menace d’une remise en cause de l’engagement des Etats-Unis au sein de l’Alliance atlantique. Provoquant la stupeur dans le camp atlantique, outre la revendication sur le Canada, il s’arroge le droit d’annexer le Groenland, territoire sous la souveraineté du Danemark, un Etat membre de l’UE.
Enfin, l’administration Trump ne s’interdit pas de s’immiscer dans les affaires européennes : critiques du modèle et des valeurs promus par l’UE[1], soutien appuyé à l’extrême droite allemande lors des élections législatives[2] et, en Pologne, au candidat national conservateur, K. Nawrocki, lors de l’élection présidentielle[3]. Sans oublier, encouragée par l’administration Trump, l’intense pression des GAFAM, pour une forte atténuation des dispositifs de contrôle européen du numérique (DSA, DMA, etc).
Face à l’animosité de l’administration américaine à son égard, l’Union européenne, forte de l’expérience du premier mandat de Trump, propose une réponse visant à combiner fermeté et unité.
Début mars 2025, la suspension de l’aide militaire des Etats-Unis, premier fournisseur d’armes et de renseignements à l’Ukraine constitue un défi existentiel pour le pays de Zelensky mais aussi pour l’Union européenne. Bien que conscients que l’UE en l’état n’est pas en capacité de remplacer les Etats-Unis, des Etats membres, principalement la France rejointe par le Royaume-Uni, réaffirment leur soutien politique et militaire au nom du respect du droit international et de la sécurité de l’Europe. Dans le même temps, la Commission dévoile un plan de 800 milliards d’euros pour « réarmer l’Europe » et facilite l’accroissement des dépenses nationales consacrées à la défense en assouplissant les règles budgétaires européennes.
Aux mesures de guerre tarifaire lancée par Trump, la Commission européenne dont le commerce extérieur est une compétence exclusive décide de répliquer par « des contre-mesures fortes mais proportionnées » à savoir des droits de douane à hauteur du montant des droits de douane américains (26 milliards d’euros pour 28 milliards de dollars) et portant sur des produits ciblés : motos, électroménager, bateaux, jus d’orange, volailles, tabac, Bourbon, chewing-gums…
Face à l’escalade engagée par Trump, avec la taxation supplémentaire des voitures importées notamment de l’Union européenne, la Commission, au contraire de la Chine, refuse la confrontation directe et s’en tient à une riposte tout en retenue : « Si nécessaire, nous apporterons une réponse ferme, proportionnée, robuste, bien calibrée et opportune aux mesures injustes et contre-productives prises par les États-Unis ». Pourquoi cette position que des analystes critiques qualifient de timide ? Une première explication réside dans la volonté de la Commission européenne de négocier avec l’espoir de faire revenir l’administration Trump à de meilleures dispositions. Surtout, l’Union se donne du temps pour essayer de comprendre la stratégie du président américain et d’analyser les réactions des autres pays concernés par l’offensive états-unienne. Il s’agit aussi de construire une réponse commune pour, malgré des intérêts nationaux différents, offrir un front uni. En somme maintenir la cohésion de l’UE.
Début avril, la suspension pour 90 jours de l’application des mesures tarifaires décrétée par l’administration américaine, paraît conforter l’Union dans sa stratégie de riposte sereine mais ferme. Ainsi fin mai à la menace de Trump de rompre la trêve l’UE rappelle sa volonté de négocier un accord bâti sur un respect mutuel : suite au refus de l’Allemagne d’un « deal » particulier[4] et au lendemain d’un échange téléphonique avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le président des Etats-Unis accède à la demande de l’Union européenne de revenir au calendrier initial du 9 juillet : « J’ai accepté cette extension – jusqu’au 9 juillet –, c’est mon privilège de le faire ».
Cinq mois de présidence Trump, ont fortement dégradé la relation transatlantique. En menaçant l’Union d’un retrait des Etats-Unis du dossier ukrainien et d’un désengagement de l’OTAN, en installant le doute sur la pérennité de la garantie de protection américaine en Europe, Trump II a sapé la confiance entre les deux partenaires. Mais en remettant en cause le principe de solidarité automatique, paradoxalement, le président des Etats-Unis a réveillé l’Europe. A charge pour elle de se doter des instruments de la puissance politique et militaire. Par ailleurs, en s’exonérant des règles internationales de commerce et de sécurité, il fait de l’Union européenne, un pôle de stabilité dans le monde. Enfin et surtout, il n’a pas réussi à fragmenter la « très méchante Union européenne » pour laquelle il ne cache pas son profond mépris[5].
Attachée à mettre « de l’ordre dans le désordre » et à défendre ses valeurs, l’Union européenne se tient à distance de la Chine et des Etats-Unis et rappelle ainsi qu’elle est acteur de paix et de coopération.
[1] Discours du 14 février 2025, du vice-président des États-Unis, lors de la conférence de Munich sur la sécurité
[2] 14 février en marge de la Conférence, rencontre de Vance avec la candidate d’extrême droite (AfD) Alice Weidel
[3] Quelques jours avant le second tour, la secrétaire à la sécurité intérieure des Etats-Unis en visite dans le pays déclare avec l’accord du Président Trump : « Je viens juste de rencontrer Karol (Nawrocki) et il faut qu’il soit le prochain président de la Pologne. Vous m’avez compris ? »
[4] Explication du secrétaire au commerce des Etats-Unis : « L’Allemagne voudrait faire un deal mais elle n’a pas le droit »
[5] Hormis Orban, malgré une proximité idéologique avec l’administration Trump (Meloni, en Italie, Fico en Slovaquie), aucun autre dirigeant n’a mis en péril l’unité européenne.