Comment gouverner un peuple-roi ?

Une « vraie » question en effet, selon la formule à la mode, tant la difficulté de gouverner rencontrée par ceux qui exercent aujourd’hui le pouvoir dans les démocraties occidentales semble désormais devenue la norme.

Question un tantinet provocatrice aussi. Un « peuple-roi » ! Alors qu’à cette époque de « gilets jaunes », ce sont plutôt la défiance vis-à-vis des gouvernants et la dénonciation du mépris, réel ou supposé, dont ils feraient preuve à l’égard du peuple, qui dominent. Alors « peuple-roi »…

Et pourtant ! L’expression est un condensé de la définition que formulait en 1863 le Président Lincoln dans un discours célèbre : la démocratie c’est, disait-il, « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple», discours que rappelle P-H Tavoillot au début de son ouvrage.

Pierre-Henti Tavoillot dresse d’abord le diagnostic de l’état actuel de la démocratie : « La démocratie libérale souffre d’une terrible crise de la représentation, d’une grave impuissance publique, et d’un profond déficit de sens. Autrement dit, elle aurait perdu, en cours de route, à la fois le peuple qui la fonde, le gouvernement qui la maintient et l’horizon qui la guide ».

C’est bien, en effet, la question même de la démocratie qui est posée dans ce livre. De la démocratie dans le sens où nous l’entendons généralement et que connaissent de nombreux pays d’Europe. Cette démocratie, pour laquelle P-H Tavoillot reprend le terme de « démocratie libérale », est le modèle dont l’Union européenne se revendique.

Certes, le sujet de ce livre n’est pas la démocratie européenne, même si son auteur évoque l’Europe en souhaitant notamment que celle-ci « soit conçue comme une « puissance » et pas seulement comme un « marché » ou comme un « droit » ».

Alors, comment gouverner ?

Pierre-Henri Tavoillot énonce lui-même le défi : « Entre le cauchemar de l’impuissance publique et le spectre de l’autoritarisme, comment réconcilier la liberté du peuple et l’efficacité du pouvoir ? ».

Gouverner, c’est d’abord connaître le peuple dont on a la charge. Un peuple auquel l’auteur-philosophe donne plusieurs « visages » : « peuple-société », mais aussi « peuple-Etat », « peuple-opinion », « peuple-récit »… Et c’est de la combinaison subtile de ces différentes facettes du peuple que dépendent la stabilité et la cohérence du système de gouvernance. C’est, au contraire, du déséquilibre qui peut s’installer en faveur de certaines d’entre elles qu’apparaissent des « pathologies démocratiques » [1] et des dérives que l’auteur estime au nombre de trois principales : la « démocratie radicale », qui a aujourd’hui le vent en poupe, mais dont l’auteur dénonce la tentation anarchiste et individualiste, la démocratie dite « illibérale » qui subordonne l’exercice des libertés à l’idée que se font les dirigeants du « bonheur collectif », et enfin la « théodémocratie », étonnant néologisme qui rend compte de la façon dont certains fondamentalistes utilisent les références à la démocratie contre la démocratie libérale.

A partir de ces constats, P-H Tavoillot énonce de « nouvelles règles d’art politique ».

Ces règles sont d’abord celles de l’accession au pouvoir, à partir d’une réflexion sur les différents modes d’élection. Elles sont ensuite celles de la délibération, des méthodes les plus traditionnelles aux nouvelles possibilités offertes par les technologies. Elles sont celles, bien sûr, de la prise de décision et enfin de la restitution, que l’auteur formule de la façon suivante : « Comment rendre des comptes ? ».

Si l’« art politique » c’est l’art « de gouverner », il est aussi celui « d’être gouverné ». Car le devenir de la démocratie libérale repose aussi sur les épaules du citoyen. Celui-ci a, en effet, un devoir d’« obéissance volontaire ». Une formule détournée de celle de La Boétie et dont P-H Tavoillot reconnaît le caractère provocateur.

L’auteur tord en particulier le cou à des postures à la mode, comme celle, par exemple, qui affirme « qu’être libre, c’est être contre ».

Comment gouverner un peuple-roi ?  [2] est le livre d’un homme libre, un philosophe qui inscrit son analyse et ses propositions dans une connaissance minutieuse du passé, mais aussi des situations les plus contemporaines.

Une pensée démocratique revigorante, et probablement indispensable à une époque où la démocratie elle-même, y compris à l’intérieur de l’Union européenne, est parfois remise en question.

 


[1] Comme la propagande qui sert les tentations totalitaires ou dictatoriales, le repli sur le « privé » qui « grignote l’espace public », et enfin, plus curieusement, l’excès de transparence dont l’auteur dénonce les dérives actuelles.

[2] Editions Odile Jacob. 2019. 22,90 euros.

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