Coup d’œil : La Géorgie et l’Union européenne

Drapeau de la Geogie et de l’Europe

Le 3 mars 2022, quelques jours après l’Ukraine et en même temps que la Moldavie, la Géorgie a posé sa candidature d’entrée dans l’Union européenne. Le 14 décembre 2023, l’Union lui a accordé le statut de pays candidat à l’adhésion. A quelque 4 000 kilomètres de Bruxelles et sans continuité territoriale avec l’Union, cette candidature géorgienne a de quoi surprendre.

Petit pays de 69 700 km², soit l’équivalent de la région Auvergne-Rhône-Alpes, la Géorgie occupe, avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan, l’espace transcaucasien délimité à l’ouest par la mer Noire, à l’est par la mer Caspienne, au nord par la Fédération de Russie et au sud par la Turquie et l’Iran. Géographiquement, la Géorgie est à la fois européenne et asiatique, ou mieux encore, ni européenne ni asiatique.

Espace contact entre des mondes très différents, la Géorgie a subi, durant son histoire, de nombreuses invasions synonymes de domination : l’ont occupé successivement les Perses, les Romains, les Byzantins, les Turcs, les Mongols, les Ottomans et, enfin, au 18ème siècle, la Russie impériale.

La Géorgie relève d’un isolat linguistique : la langue officielle, le géorgien, est la plus parlée dans la famille des langues kartvéliennes[1] et comporte 18 dialectes mutuellement intelligibles. Langue maternelle de plus de 80 % de la population, le géorgien est la langue littéraire par excellence du pays. Le russe, dont l’apprentissage a longtemps été obligatoire, bien qu’en recul, reste néanmoins parlé par plus de la moitié de la population et constitue encore une langue de communication.

Culturellement, la Géorgie est considérée comme européenne : ses quelque 3,7 millions d’habitants sont chrétiens : orthodoxes à 84 %, de rite arménien pour 4 %, catholiques (0,8 %). Seuls 10 % sont musulmans.

Politiquement, le pays est intégré au monde russe en tant que protectorat établi en 1783 et, quelques décennies plus tard, comme territoire annexé. Au 20ème siècle, après une éphémère indépendance de 1918 à 1921, la Géorgie devient une république socialiste soviétique constituant avec l’Azerbaïdjan et l’Arménie, la République soviétique fédérative socialiste de Transcaucasie. Dans l’entre-deux-guerres, les révoltes paysannes ou nationalistes sont férocement réprimées par les deux Géorgiens hommes forts du régime communiste : Staline et Beria.

Avec la chute du mur et bientôt la désintégration de l’URSS, la Géorgie participe au mouvement des républiques soviétiques pour l’indépendance tout en faisant face à la montée en son sein des revendications nationalistes des Abkhazes et des Ossètes du sud. L’indépendance du pays est  officiellement proclamée après référendum en avril 1991 sans qu’un début de solution soit esquissé pour les minorités. Il s’ensuit trois années de guerre civile. Si la Russie conserve des bases militaires sur le sol géorgien, le pays opère à partir de 1996 un rapprochement avec l’Occident ; en 1999, accord de partenariat et de coopération avec l’UE et adhésion au Conseil de l’Europe ; en 2002, demande d’adhésion à l’OTAN. A cette date, la Géorgie est devenue un enjeu géopolitique entre Américains et Russes. Ces derniers répondent à la « révolution des Roses » de 2003 par un soutien aux régions séparatistes, par un blocus total de la Géorgie en 2006 et, à l’été 2008, par la guerre qui débouche sur la perte des deux régions sécessionnistes soit près de 20 % du territoire national[2].

Les combats ayant cessé avec, entre autres, l’entremise européenne de Nicolas Sarkozy, le rapprochement avec l’Union se poursuit : 2009, membre du Partenariat oriental ; 2014-16, accord d’association ; 2017, circulation dans l’UE sans visa pour court séjour ; 2018, élection à la présidence de la République d’une européenne convaincue, Salomé Zourabichvili[3]. Mais les tensions politiques internes s’exacerbent et l’emprise russe s’accentue : soutien au parti le « Rêve géorgien » de l’oligarque Bidzina Ivanichvili[4] et « frontiérisation » des provinces sécessionnistes.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie convainc, en juin 2022, le Conseil européen de reconnaître à la Géorgie « la perspective européenne » mais, à la différence de l’Ukraine et de la Moldavie, il refuse de lui accorder le statut de pays candidat et lui remet une liste de douze priorités à mettre en œuvre d’ici la fin 2023. Si quelques mesures sont prises, le gouvernement du Rêve géorgien entreprend de saper le rapprochement : propos anti-occidentaux insultants, atteintes à l’Etat de droit, violence de rue… En mars 2023, un projet de loi  » sur l’enregistrement des agents étrangers  » et la  » transparence de l’influence étrangère  » sur le modèle de la loi russe de 2012 est massivement dénoncé par la société civile géorgienne, notamment la jeunesse, et finalement retiré. Cela permet en décembre 2023 à la Géorgie de se voir accorder le statut de pays candidat à l’Union européenne assorti de conditions ayant trait au cadre démocratique et à l’État de droit. Mais en avril 2024, le gouvernement revient à la charge et, en dépit d’un mois de manifestations quotidiennes monstres des opposants, appuyés par la présidente du pays, la loi est adoptée fin mai malgré le veto présidentiel. Un mois plus tard, la Géorgie adopte une loi d’interdiction de la « propagande LGBT » sur le modèle russe.

Lors du Conseil européen des 27 et 28 juin, les Vingt-Sept ont constaté « un retour en arrière » et ont annoncé le gel du processus d’adhésion et la suspension de l’aide financière de 30 millions d’euros, imité en cela par les Etats-Unis.

Succès russe, échec de l’Occident ? Pour les Géorgiens très majoritairement pro-européens, l’espoir subsiste néanmoins avec les élections législatives qui se dérouleront le 26 octobre 2024.


[1] La famille des langues kartvéliennes (ou encore caucasiennes du sud) n’est liée à aucune autre famille linguistique du monde.

[2] Le territoire national se trouve ainsi amputé de près plus de 12 000 km² soit 18 % de la superficie du pays.

[3] Diplomate française, elle est ambassadrice de France en Géorgie au moment de la « révolution des Roses », puis ministre des Affaires étrangères de la Géorgie (2004-2005).

[4] Sa fortune, selon le magazine Forbes, s’élève à 4,5 milliards € et représente 26 % du PIB et 70 % du budget géorgien (2022).