© The Chancellery of the Prime Minister and PAP S.A.
Le 31 décembre 2024 la Hongrie a passé le flambeau de la présidence du Conseil de l’Union européenne à la Pologne. Durant le second semestre de l’année, le pays sortant a travaillé à mettre en œuvre le programme de 18 mois (1er juillet 2023 – 31 décembre 2024) défini avec l’Espagne et la Belgique. Ce programme comportait plusieurs axes stratégiques :
- développer notre base économique : le modèle européen pour l’avenir ;
- protéger les citoyens et les libertés ;
- construire une Europe neutre pour le climat, écologique, équitable et sociale ;
- promouvoir les intérêts et les valeurs de l’Europe dans le monde ;
- contribuer à la préparation du prochain programme stratégique.
A la mi-juin 2024, la Hongrie sur le point de succéder à la Belgique a dévoilé le slogan de sa présidence : “Make Europe great again” ou “Rendre à l’Europe sa grandeur” et exposé 7 priorités pour l’Union :
- la compétitivité ;
- la défense européenne ;
- une politique d’élargissement fondée sur le mérite ;
- l’immigration illégale ;
- la politique de cohésion ;
- une politique agricole commune centrée sur les agriculteurs ;
- les défis démographiques.
En raison des rapports tendus des autorités hongroises avec la Commission européenne résultant des divergences profondes sur la démocratie et les valeurs[1], de la « poutinophilie » d’Orban et de son goût pour la provocation, la présidence hongroise suscitait des craintes sérieuses[2]. Mais le rôle politique somme toute limité de la présidence tournante du Conseil dont la mission consiste avant tout à assurer le bon fonctionnement de l’institution, à aider à forger des compromis et le fait que le semestre hongrois correspondait à la mise en place des nouveaux pouvoirs (Parlement européen, Commission), pouvaient laisser espérer une présidence maîtrisée. Au sortir de cette présidence, le bilan est mitigé. Plusieurs dossiers ont avancé : l’intégration complète, au 1er janvier 2025, de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen suite à la levée du veto autrichien ; le 8 novembre, lors du sommet de Budapest, l’adoption par les chefs d’Etat et de gouvernement de « la déclaration de Budapest », un pacte de compétitivité. Des accords ont été trouvés sur « une politique agricole commune après-2027 tournée vers les agriculteurs », sur la santé avec une déclaration commune sur les maladies cardiovasculaires et les dons d’organes. D’autres dossiers n’ont pas abouti comme le programme européen d’investissement dans le domaine de la défense (EDIP) ou le projet de texte législatif visant à lutter contre le contenu pédopornographique en ligne.
Mais le bilan de la présidence hongroise restera avant tout marqué par l’activisme à l’étranger du premier ministre. Comme il l’a déclaré quinze jours avant le terme de sa présidence du Conseil, Victor Orban a voulu une « présidence politique » et refusé une « présidence bureaucratique ».
Dès le début, il s’est installé dans le rôle de « faiseur de paix » entre la Russie et l’Ukraine : du 2 au 8 juillet, sans concertation avec les autres Etats membres et sans mandat des instances européennes, il a effectué ce qu’il a appelé « une mission de paix », de Kiev à Moscou et à Pékin. Cette initiative a « “exaspéré ses homologues de l’Union qui, à l’exception du Slovaque pro-russe Robert Fico, s’accordent pour soutenir l’Ukraine et ne pas traiter avec Moscou en l’absence de Kiev” [La Libre Belgique] et a été dénoncée comme un « comportement destructeur ». Elle a donné lieu à des mesures de rétorsion : ainsi à la première réunion du Conseil de l’Union sous présidence hongroise, vingt ministres d’Etat étaient absents, certains gouvernements n’étant même pas représentés et la Commission a demandé aux commissaires de ne pas participer aux réunions informelles organisées par la présidence hongroise. Par ailleurs, fin août la réunion des ministres des Affaires étrangères qui devait se tenir à Budapest fin août, a été déplacée à Bruxelles.
Début juillet, sa participation à la réunion de l’Organisation des Etats turciques[3] à laquelle était présente la République de Chypre du Nord, non reconnue par l’Union européenne a valu à Orban un recadrage sévère du Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité J. Borrell.
Enfin, outre plusieurs visites et déclarations de soutien au candidat Trump, la rencontre, début décembre, avec le président élu des Etats-Unis aux propos menaçants pour l’UE, a agacé les chancelleries. Quant à sa proposition de « cessez-le-feu » avant Noël si l’Ukraine veut bien accepter de négocier, elle a été reçue avec consternation à Bruxelles.
Le 20 janvier 2025, le Premier ministre hongrois lors d’une conférence intitulée « Une présidence hongroise réussie en 2024 – une chance pour l’Union européenne », a déclaré que « l’homme malade de l’Europe aujourd’hui, c’est l’Union européenne ». Il n’est pas certain qu’une majorité de Hongrois partagent cette assertion. Réponse en avril 2026.
Le 1er janvier, la Pologne, en ouverture du trio avec le Danemark et Chypre, a pris le relais de la Hongrie. Associé à ce dernier dans la contestation de l’ordre juridique communautaire, le pays, par la volonté d’une majorité d’électeurs polonais, en octobre 2023, a tourné la page de huit années de pouvoir du PiS (parti Droit et justice), nationaliste et conservateur, évincé par une coalition centriste pro-européenne conduite par Donald Tusk, président du Conseil européen de 2014 à 2019. Il est peu de dire qu’à Bruxelles et dans les capitales européennes, à l’exception de Budapest et de Bratislava, la présidence polonaise du Conseil de l’Union est accueillie avec soulagement et apaisement.
A la thématique trumpienne et incantatoire d’Orban, Tusk substitue celle très concrète et prégnante de la « Sécurité en Europe » déclinée en 7 dimensions :
- la défense et la sécurité ;
- la protection des personnes et des frontières ;
- la résistance à l’ingérence étrangère et à la désinformation ;la sécurité et la liberté d’entreprise ;
- la transition énergétique ;
- une agriculture compétitive et résiliente ;
- la sécurité sanitaire
Dans le discours prononcé lors du gala de lancement de la présidence polonaise, le chef du gouvernement a risqué : « L’Europe a de la chance qu’en ce moment difficile de notre histoire, la Pologne assure la présidence ». Nulle forfanterie dans ce propos mais le constat que, face à la menace russe, au risque de retrait des Etats-Unis et alors que la France et l’Allemagne connaissent des difficultés internes sérieuses, la Pologne se tient prête : « Faisons tout notre possible pour que l’Europe et la Pologne n’aient pas à payer le prix ultime de la liberté, de la force et de la souveraineté » (Euractiv 6 janvier 2025)
La présidence polonaise débute à peine. Puisse António Costa, président du Conseil européen, avoir raison quand, aux côtés de Donald Tusk, il déclare à propos de la Pologne : « C’est le meilleur investissement géostratégique que l’Europe ait fait pour garantir la liberté et la démocratie après de longues périodes de totalitarisme ».
[1] Depuis 2022, la Hongrie est sous le coup de plusieurs procédures européennes en raison des multiples dérives du gouvernement Orban en matière de corruption, d’atteintes à l’Etat de droit, de restriction de la liberté académique et des droits des minorités sexuelles et des entorses au droit d’asile… En l’absence de réforme, le 1er janvier 2025, le pays vient d’être privé définitivement de 1 milliard d’euros sur la trentaine gelée.
[2] Début janvier 2024, quelque six mois avant le début de la présidence hongroise, une pétition demandant que la Hongrie soit privée de présidence a circulé au Parlement européen. Sans effet.
[3] Fondé en 2009, le Conseil turcique devenu Organisation des Etats turciques compte cinq pays turcophones : l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, , le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et la Turquie. Le Turkménistan et la Hongrie sont Etats observateurs.