« Deal !  » Charles Michel, 5h31, 21 juillet 2020

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Ursula von der Leyen et Charles Michel

Au petit matin du mardi 21 juillet, après plus de 90 heures (4 jours et quatre nuits) de discussions parfois tendues, le président du Conseil européen, Charles Michel a annoncé la conclusion par les 27 Etats membres d’un accord sur un plan de relance post Covid avancé par la Commission européenne fin mai 2020.  Un fois passé le moment des (auto) congratulations bien compréhensibles des chefs d’Etat et de gouvernement au sortir d’une telle épreuve physique, une fois éteints les projecteurs, il convient de se pencher d’un peu près sur l’accord, son contenu, ses leçons et son devenir.

► L’accord porte sur deux volets articulés : un plan de relance et le budget pluriannuel (CFP pour cadre financier pluriannuel) de l’Union auquel le plan de relance est adossé.

  • Le plan de relance est historique par son ampleur – le Fonds de relance doit pouvoir disposer de 750 milliards € sur sept ans – et par son financement – un emprunt de l’Union sur les marchés financiers synonyme de mutualisation des dettes[1]. Par rapport à la proposition de la Commission, il présente des différences non négligeables :

– d’une part, le volume des prêts remboursables par les pays bénéficiaires a été fortement augmenté (360 milliards € au lieu de 250 proposés par la Commission) et celui des subventions fortement diminué  (390 milliards € au lieu des 500 préconisés par la Commission). Si le principe de la solidarité n’est pas remis en cause, il est plus chichement mis en pratique !

– d’autre part, les subventions feront l’objet d’un droit de regard des Etats sur la manière dont les pays bénéficiaires les utilisent. Le déblocage des fonds sera lié à la réalisation d’objectifs avec possibilité d’en appeler au Conseil européen en cas de « déviance » du pays bénéficiaire par rapport à son plan national de relance.  Pas de  droit de veto certes, mais une vigilance inquiète de certains partenaires bien loin de la solidarité sereine parce que confiante.

Le plan de relance fondé sur l’endettement commun marque à l’évidence une étape dans l’intégration européenne mais il n’est pas certain que cela constitue un « tournant historique pour l’Europe » comme l’a déclaré Charles Michel.

  • Le budget pluriannuel que le plan de relance abondera a été fixé à 1 074,3 milliards sur la période 2021-2027. Ce montant est moindre que la proposition initiale de la Commission européenne (1 100 milliards) et très inférieur au montant souhaité par le Parlement européen (1 300 milliards). C’est le résultat du refus de nature idéologique de quatre pays (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède) dits « frugaux » parfois dénommés « austères » de doter l’Union d’un budget important et, a fortiori, d’envisager un accroissement de ce budget. Pays « radins », très attachés à réduire leur participation au budget de l’Union, ils bénéficient de rabais sur leur contribution. Pour obtenir de ces pays rejoints par la Finlande l’accord indispensable au plan de relance, il a fallu leur consentir le maintien et même la hausse des rabais sur leur contribution budgétaire[2]. Il s’ensuit une amputation d’autant du budget communautaire dont plusieurs programmes européens risquent de faire les frais : Erasmus + (éducation-jeunesse), Horizon Europe (recherche), EU4Health (santé), Fonds européen de la Défense…

Pour couvrir l’emprunt, la Commission européenne devra trouver des « ressources propres ». Mais à ce jour hormis la taxe sur les emballages en plastique non recyclé, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier prochain, les autres sources de revenus envisagées, « un mécanisme carbone d’ajustement aux frontières » et une taxe sur les géants du numérique, ne sont qu’à l’état de projets.

Dans la négociation du budget pluriannuel de l’Union, les Etats ne sont pas sortis de « la logique délétère du juste retour » et il est bien difficile d’affirmer que « l’Union européenne est maintenant un Etat »[3].

► Plusieurs constats politiques peuvent être tirés du marathon bruxellois.

  • Si le couple franco-allemand a mis tout son poids dans la balance et affiché durant les quatre journées une cohésion sans faille jusqu’à tenir symboliquement une conférence de presse commune au sortir de la négociation, les cinq pays composant le camp des « frugaux » ont fait montre d’une résistance et d’une pugnacité qui ont surpris. La défense des intérêts nationaux a certes joué mais la détermination de ces pays s’explique surtout par leur refus d’une intégration fédérale de l’Union. L’alliance qui s’est scellée autour des Pays-Bas risque de rejouer très vite.
  • Bien que l’initiative de l’accord lui revienne, la Commission a peu pesé dans la négociation et la décision lui a largement échappé. L’intergouvernemental a effacé le pouvoir communautaire mais l’épisode a montré aussi les limites d’un mode de décision fondé sur l’unanimité qui revient à conférer à chaque pays un droit de veto. Le corollaire d’une telle règle en est le marchandage (cf. les rabais) voire la solution rhétorique comme l’attribution des fonds de relance liée au respect de l’Etat de droit mais sans réelle possibilité de sanctionner le manquement du pays.

Au lendemain de ce « jour historique » selon E. Macron, difficile de savoir ce que le citoyen européen retient de l’épisode : le verre à moitié plein de la solidarité face à la crise ou le verre à moitié vide de la division, des tensions et des « arrangements » d’Etats ?

► L’accord « historique » du 21 juillet pour entrer en application doit franchir plusieurs obstacles d’ici la fin de l’année.

  • Le passage devant le Parlement européen (PE) s’annonce délicat. Si le PE ne se prononce pas sur le plan de relance, il vote pour approuver ou rejeter le CFP ou budget pluriannuel et ça n’est qu’après son approbation que le Conseil (de l’Union) adopte à l’unanimité le CFP.

Or, comme l’a montré, le 23 juillet, la résolution adoptée à une très large majorité (465 voix pour, 150 contre et 67 abstentions), le PE, s’il salue le principe du plan de relance et les 750 milliards du Fonds de relance, « conteste néanmoins l’accord politique sur le CFP 2021-2027 sous sa forme actuelle ».

A l’appui, il formule plusieurs critiques à l’encontre du budget pluriannuel : enveloppe insuffisante, coupes importantes dans les programmes communautaires, ressources propres floues, recul sur l’Etat de droit… Et d’annoncer que l’Assemblée n’approuvera pas le budget pluriannuel en l’état, ce qui provoquerait, par là même, le gel du plan de relance. Les eurodéputés demandent donc une révision de l’accord budgétaire dans le cadre d’une discussion avec le Conseil (de l’Union).

  • Dans une majorité de pays (23 / 27), le plan de relance au travers du mécanisme qui permet à la Commission d’emprunter sur les marchés financiers doit être ratifié par le Parlement national. L’opération s’annonce compliquée pour plusieurs Etats membres. Les critiques essuyées à leur retour par les dirigeants des « pays frugaux » accusés d’avoir trop cédé laissent augurer de vifs débats. Dans les pays blâmés pour leur respect très limité de l’Etat de droit (Hongrie, Pologne), la tentation sera grande chez les dirigeants de jouer de la fibre nationaliste auprès des parlementaires nationaux.

Si l’on en juge par les commentaires consacrés principalement dans chaque état membre à calculer coûts et avantages pour le pays, l’étape cruciale de la ratification risque de « nationaliser » encore un peu plus l’approche européenne des citoyens.

« Evolution copernicienne ? Une nouvelle manière d’appréhender les relations entre l’Union européenne et les Etats membres »[4]. Le propos est très optimiste ! Mais rêvons un peu : si, à l’automne, les citoyens européens se mobilisaient pour rappeler à leurs dirigeants que l’Europe  a une obligation de résultat et qu’ils en sont comptables, alors là, il s’agirait d’une révolution copernicienne !


[1] https://www.consilium.europa.eu/media/45125/210720-euco-final-conclusions-fr.pdf et infographie

[2] Pour 2021-2027, l’Autriche bénéficiera d’un rabais de 565 millions (+ 138 %), le Danemark de 377 millions € (+ 91 %),  la Suède d’1,07 milliard € (+ 34 %),  les Pays-Bas de 1,92 milliard

[3] Sylvain Kahn, dans le Monde du 12 juillet 2020

[4] Charles Michel, entretien Le Monde du 26-27 juillet 2020.

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