
© Odile Jacob
En avril 2024, Enrico Letta, ancien président du Conseil italien et aujourd’hui président de l’Institut Jacques Delors, a présenté, à la demande des institutions européennes, le rapport Much More Than a Market dans lequel il soumet à ces dernières un certain nombre de propositions concernant l’avenir du marché européen.
Ce rapport, élaboré à partir du travail fourni par Enrico Letta et son équipe, s’il s’appuie sur l’expertise incontestable de l’Européen qu’il n’a cessé d’être, notamment aux côtés de Jacques Delors auquel il rend hommage dans un chapitre de son livre, s’est enrichi d’une expérience originale. Enrico Letta a entrepris en effet un voyage de huit mois dans toute l’Europe et même au-delà, au cours duquel il a participé à quatre cents réunions, visité de nombreuses villes, rencontré des responsables politiques, syndicaux ou associatifs, des étudiants et universitaires, de simples citoyens aussi, parmi lesquels certains ayant participé à la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Les échanges et la réflexion ont porté prioritairement sur la façon dont était vécu ce marché unique mis en place dans la seconde moitié des années 80 par la commission Delors, et dont son concepteur disait lui-même alors : « On ne tombe pas amoureux d’un marché unique ».
C’est donc ce tour d’Europe qui a nourri la réflexion d’Enrico Letta dans son ouvrage paru en novembre 2024 aux Editions Odile Jacob[1], Des idées nouvelles pour l’Europe, sous-titré Avec les femmes et les hommes qui la font.
La première partie intitulée Le tour d’Europe retrace en 16 chapitres l’expérience de ses rencontres, de Ljubljana à Amsterdam en passant, entre autres, par Varsovie, Nancy, Stockholm et, bien sûr, Bruxelles avec quelques escapades du côté de Washington et de Johannesburg. Ces différentes étapes sont pour l’auteur l’occasion de dresser un diagnostic de l’état actuel du marché unique européen, objet principal de son livre. Un diagnostic sans concessions, qui, s’il réaffirme « le caractère irremplaçable de l’Union européenne » et les avancées qu’ont permises le marché unique depuis sa création jusqu’aux décisions majeures de ces dernières années, au premier rang desquelles le plan de relance de 2020[2] et le soutien inconditionnel à l’Ukraine, ne dissimule en rien les insuffisances et les faiblesses de la politique européenne. Faiblesse et fragmentation du secteur des transports ou des télécommunications ; insuffisance en matière de financement et d’investissement et nécessité de redonner de la vigueur au dialogue social européen, sans parler, bien sûr de l’urgence de doter l’Europe des moyens de sa défense et de sa sécurité.
A ce diagnostic Enrico Letta répond par des propositions qui vont toutes dans le sens de plus d’intégration, ces idées nouvelles pour l’Europe présentes dès le sous-titre de l’ouvrage et qui constituent l’essentiel de sa deuxième partie : Bien plus que le marché : l’essentiel du rapport.
Les conditions (en termes de démographie et de géopolitique notamment) qui ont présidé à l’élaboration du marché unique dans les années 80, ne sont plus les mêmes aujourd’hui et l’Europe doit se doter d’un marché unique plus fort et plus intégré capable d’imposer ses propres normes. Le rapport d’Enrico Letta insiste sur le caractère « intrinsèquement politique » du projet avec, selon lui, trois engagements prioritaires : accentuer les efforts pour « transformer la société et l’économie européennes de manière durable et équitable » ; réinventer le fonctionnement des institutions en poursuivant le processus d’élargissement mais surtout renforcer la sécurité de l’UE face aux menaces impérialistes d’où qu’elles viennent.
Le marché unique doit ainsi être repensé et approfondi afin de prendre en compte les impératifs de la transition énergétique et d’accélérer les capacités européennes d’innovation et de réindustrialisation.
[1] 22,90 €.
[2] Ce plan intitulé « Next generation UE » à hauteur de 750 milliards de subventions et de prêts vise à aider les 27 membres dans leur lutte contre les effets de la crise sanitaire.