Élections en République tchèque

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Les 3 et 4 octobre 2025 ont eu lieu des élections législatives en République tchèque. Elles conduisent à un changement de majorité politique avec le retour au pouvoir d’Andrej Babis à la tête du parti ANO (« Oui » en tchèque, l’Action des citoyens insatisfaits).
Comment s’explique cette victoire de la droite ? Quelles peuvent en être les conséquences pour la République tchèque et ses rapports avec l’Union européenne (UE) ?

La République tchèque est un jeune État européen. L’ancienne Tchécoslovaquie, indépendante en 1918, s’émancipe de la tutelle russe en 1989 par la « Révolution de velours ». Avec une superficie de 78 871 km², peuplé de 10,9 millions d’habitants (2024), né en 1993 de la séparation d’avec la Slovaquie, le pays est membre de l’UE depuis le 1er mai 2004.
C’est une République parlementaire. Le Président de la République, Petr Pavel, élu le 28 janvier 2023, est considéré comme plutôt européen. Le Parlement comprend la Chambre des députés (200 membres élus tous les quatre ans) et le Sénat (81 sénateurs élus pour six ans).
Les élections des députés ont lieu au scrutin proportionnel dans quatorze circonscriptions correspondant aux régions administratives. L’électeur peut accorder quatre « votes préférentiels » à des candidats précis, ce qui peut influencer leur place sur la liste. Ce système favorise la représentation d’une large palette politique, mais rend souvent nécessaire la formation de coalitions gouvernementales. Pour la première fois, les Tchèques résidant à l’étranger (environ 500 000 personnes) ont été autorisés à voter par correspondance.

La campagne électorale a été dominée par deux tendances principales. Petr Fiala, Premier ministre actuel, à la tête de la majorité sortante, composée de la coalition des Démocrates civiques (ODS) et du Centre droit (TOPO9), avait, en 2021, devancé de peu le parti ANO soutenu par le Parti pirate et celui des Maires et indépendants.
Les dépenses de défense ont été relevées rapidement pour atteindre 2 % du PIB en 2025, et la République tchèque s’est engagée dans l’Europe de la défense. P. Fiala souhaite faire sortir le pays de sa dépendance aux hydrocarbures russes. Sa position est plus réservée pour le Pacte européen concernant l’asile et la migration.
Il soutient l’élargissement de l’UE à l’Ukraine, à la Moldavie et aux Balkans occidentaux. Le gouvernement Fiala a apporté un soutien résolu à l’Ukraine en accueillant plus de 500 000 réfugiés et en accordant une aide humanitaire et militaire à ce pays.
Au contraire, A. Babis, qui se définit comme « trumpiste », promet de remettre en cause les aides à l’Ukraine. Il a transformé ANO, à l’origine libéral, centriste et proeuropéen, en un parti populiste opposé à l’octroi de l’aide à l’Ukraine, prêt à abandonner les engagements de défense par rapport à l’OTAN. Il dénonce les « sommes inconsidérées » versées aux groupes d’armement du pays, qui prospèrent depuis le début de la guerre en Ukraine. A. Babis promet des réductions d’impôts et des augmentations de salaires et de pensions (mesures qui pourraient entraîner une augmentation du déficit public). Sur le plan européen, il suit une ligne populiste classique, en s’opposant aux politiques vertes et au pacte de migration ; un rapprochement avec la Hongrie de V. Orban est envisagé.
Babis est une des plus grandes fortunes tchèques ; son premier mandat a été marqué par des conflits d’intérêt permanents entre ses affaires privées et celles du gouvernement. Un procès est encore en cours en raison d’une fraude aux fonds européens ; c’est l’affaire dite du « Nid de cigognes », une entreprise que Babis a sortie de son empire commercial sur le papier pour recevoir d’importantes subventions de l’UE, avant d’en redevenir le propriétaire. Alors que ces dérives avaient provoqué sa chute en 2021, quatre ans plus tard, elles lui valent d’avoir le vent en poupe et de remporter les élections législatives de 2025.

La droite l’emporte aux élections, mais devra s’appuyer sur une coalition pour gouverner.
Le parti ANO obtient 34,5 % des suffrages, devant la majorité sortante, SPOLU (Ensemble), 23 % des voix. STAN (les Maires et indépendants) 11 %, le Parti pirate 9 %, SPD (Liberté et démocratie directe) 8 %, Motoristé sobé (les automobilistes pour eux-mêmes) 8 %, complètent le palmarès.
Le résultat du parti ANO doit lui assurer 80 des 200 sièges à la chambre des députés. Pour obtenir une majorité, il lui faut envisager une alliance avec les Motoristes (ultra conservateurs, hostiles au pacte vert européen et défenseurs des véhicules à moteur conventionnel) et avec le SPD d’extrême droite.
ANO a obtenu ses meilleurs scores parmi les électeurs âgés, défavorisés, des régions rurales. Dans les grandes villes, la population jeune et plus éduquée lui était moins favorable, mais la participation y a été plus faible. Ce parti a tiré profit de la lassitude et de la fatigue de la population tchèque face à la guerre en Ukraine, à la hausse du coût de la vie et des prix de l’énergie, avec des promesses chiffrées à plusieurs millions d’euros, financées par une administration plus efficace, l’abandon de la réforme des retraites et la lutte contre la corruption… L’arrivée au pouvoir de ce parti présente certains risques : menaces sur l’État de droit et la démocratie, corruption, virage pro-russe, dénoncés par la coalition sortante qui n’a pas été entendue. Appuyée sur plusieurs comptes Tiktok, relais des discours pro-russes qui soutiennent la formation d’extrême droite SPD favorable à la sortie de la République tchèque de l’UE et de l’OTAN, l’ampleur de la désinformation a aussi joué un rôle. Cependant A. Babis exclut d’organiser un referendum sur ce sujet et envisage de former une majorité avec les nationalistes du parti Liberté et démocratie et du parti crypto communiste Stacilo, deux formations anti UE et anti OTAN.

Les entreprises d’A. Babis sont trop liées à l’UE pour qu’il se risque de rompre avec Bruxelles. La nouvelle majorité sera eurosceptique, et des difficultés sont à prévoir avec l’UE dans les domaines de la transition énergétique et du contrôle de l’immigration.
Ainsi qu’en témoignent les résultats d’élections dans d’autres États européens, le trumpisme gagne du terrain dans l’UE.