Jacques DELORS : regard d’un jeune européen

© EC – Audiovisual Service – Xavier Lejeune – 2024

« Allons, courage, le Printemps de l’Europe est toujours devant nous ! »

C’est par ces mots que Jacques DELORS clôt son dernier discours en tant que Président de la Commission européenne devant le Parlement en 1995. Un phrasé à l’image de sa décennie passée à la tête de la Commission : ambitieux et optimiste.

Jacques DELORS, homme politique français et européen né en 1925 s’est éteint le 27 décembre 2023 à l’âge de 98 ans. Connu à l’échelle nationale comme un fervent syndicaliste, Ministre de l’Economie de François MITTERRAND et père de Martine AUBRY, la trace la plus marquante de son passage doit être indubitablement observée à l’échelle du Vieux Continent.

Lorsqu’il entre en fonction le 14 janvier 1985 en tant que Président de ce qui était encore appelé la « Commission des Communautés Européennes », l’Europe est parcourue d’un sentiment de malaise profond. En effet, l’économie européenne est alors en pleine stagnation – « l’eurosclérose » – et le pessimisme quant à l’avenir de la construction européenne est palpable. Qui plus est, son prédécesseur, le luxembourgeois Gaston THORN, n’a pas réussi à faire respecter son autorité et termine son mandat sur un bilan décevant alors qu’outre-Manche, Margaret THATCHER affiche ouvertement son euroscepticisme.

Pour faire face à cette ambiance défaitiste, Jacques DELORS répond par des mesures aussi audacieuses qu’ambitieuses.

Dans le domaine économique tout d’abord, plutôt que de freiner l’intégration européenne face aux difficultés, la Commission DELORS projette la création d’une Union Economique et Monétaire qui, plus tard, aboutira à la monnaie unique qu’est l’euro. Elle promeut également l’Acte Unique Européen qui met en place la libre-circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes (ce qui se concrétisera finalement avec la naissance de l’Espace Schengen). Au-delà de l’intégration, Jacques DELORS prône également la création d’une Europe sociale et à l’écoute des régions. Mais l’une de ses réalisations les plus notables est l’incarnation de l’Europe, non plus comme une simple communauté économique mais comme une véritable union politique.

Ayant connu les ravages de la Seconde guerre mondiale, Jacques DELORS était conscient que la famille européenne avait cruellement besoin d’une identité commune. Cette identité passe par exemple par la création du drapeau européen ou encore la naissance du programme d’échange Erasmus : en permettant les partenariats et les échanges éducatifs, scientifiques et culturels, les Européens se découvrent ainsi dans la richesse de leur diversité et dans la force de leur complémentarité. Ce passage vers une véritable Union Européenne sera couronné par le Traité de Maastricht de 1992, qui établit une citoyenneté européenne et forme la base de l’Union d’aujourd’hui.

La question se pose alors : quels enseignements peut-on tirer de la vie de Jacques DELORS ?

Rappelons que les réalisations de la Commission DELORS s’inscrivent dans un contexte particulièrement troublé. Si outre-Atlantique comme outre-Manche, les néo-conservateurs THATCHER et Ronald REAGAN adoptent une politique internationale plus agressive, sur le Vieux Continent, les dictatures sclérosées s’effondrent les unes après les autres et emportent le Mur de Berlin puis tout le Rideau de Fer avec elles dans leurs chutes. Les défis se multiplient sous les mandats de Jacques DELORS : la famille européenne, divisée depuis un demi-siècle, découvre la complexité de se recomposer ; tandis que la Yougoslavie se déchire et qu’une fois encore, le sol de l’Europe est souillé par les obus et le sang des massacres.

Les circonstances dans lesquelles la Commission DELORS a donné un souffle nouveau au projet européen trouvent un écho glaçant avec les défis et les enjeux qui assaillent l’Europe en 2024. Aujourd’hui même, l’Europe n’est pas à court de difficultés : la crise climatique, la transformation de l’économie mondialisée, le tout numérique, l’émergence de l’intelligence artificielle, les incertitudes à l’égard des Etats-Unis, l’agressivité croissante de la Chine et bien évidemment, le retour de la guerre avec la violente agression de l’Ukraine par le régime de Poutine.

Néanmoins, si une leçon peut être retenue par les jeunes Européens de la vie de combat qu’a menée Jacques DELORS, c’est la force de l’ambition et de l’optimisme.

Là où toutes les crises ont mené à un accroissement du pessimisme et du scepticisme à l’égard de la construction européenne, Jacques DELORS a montré que la seule réponse à apporter était de montrer de l’audace, de la ténacité mais aussi, et surtout, de garder espoir.

Le 9 juin 2024 se dérouleront les prochaines élections pour le Parlement européen. Ce scrutin, souvent boudé ou ignoré par les électeurs sera pourtant l’occasion pour les citoyens européens de faire entendre leurs voix et de choisir le futur de l’Union européenne. En ces temps troubles où chacun est inquiet pour son futur, Jacques DELORS nous a montré qu’il faut faire de ce trouble une force de changement. Là où l’on parle de crise, il faut voir un défi. Là où l’on a peur, il faut redoubler de courage.

Enfin, si l’on doute de l’Europe unie dans la diversité, bâtissons une Europe unie dans l’adversité.

Témoignage de Mathieu Cordeau, étudiant en droit à la Faculté de Limoges et bénévole à la Maison de l’Europe – EUROPE DIRECT Limousin.

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