Juillet 2023, les élections législatives espagnoles : pari gagné pour le président du gouvernement sortant, mais pour l’Union européenne ?

© European Union, 2023 Source: EC – Audiovisual Service -Dati Bendo

Fin mai, à un mois de l’entrée de l’Espagne en présidence du Conseil de l’Union européenne, l’autorité politique du président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sanchez à la tête d’une coalition de gauche, a été fortement affaiblie par le « tsunami » de la droite conservatrice (le PP, Parti populaire) et de l’extrême droite post franquiste (Vox) lors d’élections régionales et municipales.

Au soir du 28 mai, des neuf régions autonomes qu’ils dirigeaient sur les douze en jeu, les socialistes, n’en sauvent que 2 (Asturies et Castille-La Manche). Ils perdent des bastions majeurs (Estrémadure, Aragon, région de Valence…)[1]

Par ailleurs, la gauche perd onze des vingt-deux capitales de province qu’elle gouvernait parmi lesquelles Valence mais aussi sept des huit capitales de provinces andalouses. Même si le parti de Pedro Sanchez, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), ne s’effondre pas en voix, la sanction est sévère et à quelque 6 mois de l’échéance législative nationale (novembre 2023), l’arrivée au pouvoir de la droite espagnole, le Parti populaire sous la conduite de Alberto Núñez Feijóo, paraît d’autant plus inéluctable que les alliances avec Vox de Santiago Abascal vite nouées dans les régions et villes conquises préparent les esprits à une éventuelle coalition gouvernementale. Pour les observateurs, la dynamique politique est telle que, à la fin de l’année 2023, six mois avant les élections européennes, l’Espagne, après la Finlande, la Suède et l’Italie, déroulera le scénario d’une convergence des droites.

Mais, quelques heures seulement après l’annonce de la déroute électorale, le chef du gouvernement, Pedro Sanchez, prend de court toute la classe politique espagnole, en convoquant des élections législatives anticipées pour le 23 juillet.

Le pari est risqué : les sondages annoncent tous une victoire de la droite. Le pari est audacieux : il exige de remobiliser toute la gauche et, pour cela, de jouer sur la peur de l’extrême droite. La campagne qui débute s’annonce très violente.

Ces élections législatives espagnoles anticipées au cœur de l’été sont suivies avec une grande attention en Europe.

A Bruxelles, même si la thématique de l’Union européenne n’est guère présente dans la campagne des deux grands partis gouvernementaux (PP et PSOE), l’on s’inquiète des saillies antieuropéennes et populistes de Vox : dénonciation de la « religion climatique », de la « bureaucratie de la Commission européenne », rejet de certaines valeurs européennes comme le respect des minorités notamment LGBT+, critique des « élites progressistes », xénophobie etc.

Dans les pays européens, des dirigeants s’engagent et apportent leur soutien : en faveur de Sanchez, sous forme d’un manifeste signé entre autres par le chancelier allemand, Olaf Scholz et les premiers ministres du Portugal, Antonio Costa, du Danemark, Mette Frederiksen et de Malte, Robert Abela ; en faveur de la droite notamment de Vox, le Hongrois Orban et de façon appuyée, l’Italienne Georgia Meloni[2].

Le 23 juillet, le pari du barrage de la droite grâce à la mobilisation de la gauche est gagné. Certes le PP arrive en tête avec près de 33 % des voix et 136 députés (+ 47) mais il est très loin de la majorité absolue un temps envisagée (176 députés) et, Vox, son allié potentiel, en enregistrant un fort recul passant de 15 à 12 % des voix et de 52 à 33 députés, ne peut constituer l’appoint indispensable pour une alternance de droite au pouvoir. Le PSOE en progression de 2 points obtient plus de 31 % des suffrages (122 députés, + 2) et les scores de Sumar, formation de gauche radicale (33 députés) et des partis régionalistes galicien, basque et catalan (28 députés) lui permettent d’atteindre la barre des 50 % et ainsi d’espérer conserver le pouvoir.

Le résultat d’ensemble est accueilli avec soulagement à Bruxelles, notamment par les formations de la majorité au Parlement européen à l’exception du PPE dont le chef Manfred Weber voit sa stratégie de rapprochement progressif avec la droite d’opposition contrariée[3].

Mais si le vote du 23 juillet écarte la droite espagnole du pouvoir, il installe le pays dans une paralysie politique dommageable.

Au niveau national, pour obtenir une nouvelle investiture en septembre, le président du gouvernement sortant va devoir négocier le soutien des « petites » formations notamment catalanes[4]. De longues tractations s’ouvrent qui ne manqueront pas d’être dénoncées par l’opposition et qui, si elles échouent, déboucheront sur un nouveau scrutin en décembre.

Au niveau européen, si, dans un premier temps, le soulagement l’emporte, l’instabilité politique créée provoque l’inquiétude quant à l’efficacité de la présidence espagnole du Conseil de l’Union. Pour cette dernière, le pays affichait des objectifs ambitieux : « réindustrialisation, transition écologique et justice sociale ».  Après un semestre suédois plutôt terne, beaucoup espéraient une impulsion espagnole. Mais, à l’évidence, durant tout le semestre de présidence tournante, le gouvernement espagnol en sursis ne sera guère en mesure de peser fortement à Bruxelles.

A moins d’un an des élections européennes, le pari gagné de Sanchez de bloquer la montée au pouvoir des droites espagnoles infirme le caractère inéluctable de la droitisation des opinions nationales en Europe. Mais si les élections législatives espagnoles de l’été 2023 peuvent ouvrir un débat au sein des droites européennes, il n’est pas certain que cela suffise pour provoquer une révision de leur stratégie de rapprochement et à terme de convergence dans le futur Parlement européen.


[1] La gauche peut espérer après alliance diriger 2 autres régions (les Canaries et la Navarre)

[2] Georgia Meloni, hispanophone et amie personnelle d’Abascal, est intervenue en vidéo lors d’un meeting de Vox le 13 juillet à Valence en annonçant « le temps des patriotes ».

[3] Cette stratégie de collusion avec la droite eurosceptique et l’extrême-droite europhobe s’est manifestée dans leur vote négatif au projet « Restauration de la nature » le 12 juillet au Parlement européen.

[4] Et obtenir au moins l’abstention des 7 députés de Junts, la formation indépendantiste de droite de Carlos Puigdemont qui vient de perdre son immunité d’eurodéputé.

Répondre