La Croatie et Schengen

Entretien entre Ursula von der Leyen, à gauche, et Andrej Plenković à l’occasion de l’entrée de la Croatie dans l’esapce Schengen et la zone euro
© EC – Service audiovisuel – UE, 2023 – Christophe Licoppe

Union européenne et Espace Schengen

Ces deux entités sont parfois confondues. Pour mémoire :

  • l’Union européenne est un ensemble de 27 pays qui coopèrent politiquement et économiquement ;
  • l’espace Schengen, lui, est un espace de circulation composé de 27 pays situés en Europe.

Néanmoins, il est important de rappeler que :

  • Les 27 Etats membres de l’UE ne sont pas tous dans l’espace Schengen[1] ; actuellement, c’est le cas de la Bulgarie, de Chypre, de l’Irlande et de la Roumanie ;
  • Les 27 Etats de l’espace Schengen ne sont pas tous membres de l’UE[2]; c’est le cas de l’Islande, du Liechtenstein, de la Norvège et de la Suisse.

La Croatie : donner du temps au temps

Beaucoup d’eau de la rivière Moselle a coulé depuis la signature de l’accord de Schengen, petit village du Luxembourg, le 14 juin 1985 et l’entrée de la Croatie dans l’espace Schengen le 1er janvier 2023[3] !

Fondé sur le principe de la libre circulation des personnes, l’espace Schengen permet de franchir ses frontières intérieures sans montrer son passeport ; mais encore faut-il répondre à des standards ou à des critères draconiens comme, par exemple, aux éléments relatifs à la sécurité des frontières…

  • La Croatie a sollicité son adhésion à l’Union européenne en 2003 mais la Slovénie a bloqué sa demande en raison de conflits frontaliers anciens ; après l’arbitrage des Nations Unies, la Slovénie ne s’est plus opposée à cette adhésion. Ensuite, les négociations se sont poursuivies pendant huit ans entre la Croatie et l’UE pour aboutir à un traité d’adhésion en 2011 ; en janvier 2012, 66 % de la population croate a répondu « oui » au référendum d’adhésion ; enfin, l’UE a accueilli la Croatie comme nouveau membre le 1er juillet 2013, soit dix ans après sa demande initiale.
  • L’évaluation de la Croatie pour adhérer à l’espace Schengen a été drastique et a duré de 2016 et 2020 ; ce pays a dû satisfaire à 281 recommandations dans huit domaines de l’Acquis de Schengen[4], dont 145 recommandations concernant le contrôle aux frontières extérieures. Certains pays ont exprimé des réserves quant à l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen. En effet des réunions bilatérales ont eu lieu avec plusieurs Etats qui mettaient en doute les compétences croates ; il fallait donc obtenir de Zagreb de fortes garanties pour prouver qu’allaient être respectées de nombreuses lois comme la protection des données à caractère personnel, ou celles sur les armes à feu, mais surtout que le pays avait la capacité de surveiller les frontières de Schengen et les entrées des ressortissants des Balkans occidentaux[5] voire toutes les migrations. Cette surveillance accrue englobe les frontières intérieures terrestres et maritimes mais aussi les frontières intérieures aériennes qui, elles, ne seront supprimées qu’à partir du 26 mars 2023.
  • Appartenir à l’espace Schengen donne à la Croatie le droit d’utiliser totalement le système d’information Schengen et de délivrer les visas Schengen ; un visa Schengen est obligatoire pour les pays non-européens qui n’ont pas signé d’accord d’exemption de visa (Maghreb, Afrique, Asie, Moyen-Orient, Russie, Inde, par exemple) ; ce visa donne le droit de circuler dans l’espace Schengen pendant moins de 90 jours.
  • Le contrôle aux frontières d’un Etat Schengen peut être rétabli selon des circonstances spécifiques comme ce fut le cas lors de la pandémie du Covid-19 et maintenant lors de la guerre en Ukraine.
  • Le 1er janvier 2023, la Croatie a aussi bénéficié de son entrée dans la Zone euro (parfois appelée Eurozone) ; elle est ainsi devenue le vingtième Etat à abandonner sa monnaie nationale, la kuna (qui fut en circulation du 30 mai 1994 au 31 décembre 2022), au profit de  l’Euro. Le Danemark et la Suède n’ont pas choisi l’Euro ; la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Roumanie ne satisfont pas encore aux critères économiques attendus.  

Deux Etats déçus

L’entrée de la Croatie dans l’espace Schengen a plongé la Bulgarie et la Roumanie dans l’incompréhension, d’autant plus que ces deux Etats ont intégré l’UE avant la Croatie mais l’Autriche et les Pays-Bas s’opposent à leur entrée dans l’espace Schengen.

Mark RUTTER, Premier ministre des Pays-Bas, a souhaité obtenir « l’assurance qu’on ne peut pas franchir la frontière bulgare avec un billet de 50 € », déclarations qui ont entraîné le courroux de Sofia.

Le 23 janvier 2023, le Président bulgare Rumen RADEV a reçu Karl NEHAMMER, Chancelier autrichien, pour lui prouver à quel point la Bulgarie mettait tout en œuvre pour assurer les contrôles migratoires sur les 240 kilomètres de la frontière bulgaro-turque. De son côté, le Chancelier a demandé que l’Union européenne débloque deux milliards d’euros pour aider la Bulgarie à surveiller ses frontières et à entrer dans l’espace Schengen, l’Autriche estimant que l’UE ne protège pas assez rigoureusement les frontières européennes.

De leur côté, Galab DONEV, Premier ministre intérimaire bulgare et Nicolae CIUCA, Premier ministre roumain, ont décidé d’unir leurs forces afin d’assurer le soutien de tous les Etats Schengen et de réaliser une action cohérente et synchronisée de leurs deux pays pour mener à bien le processus d’adhésion avant la fin de l’année 2023. Les deux Premiers ministres sont convaincus que l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie contribuera à un meilleur fonctionnement de l’espace Schengen, assurera une coopération économique plus forte, mais aussi une meilleure protection des frontières extérieures, ce qui est dans l’intérêt de l’ensemble des Etats de l’Union européenne.



Sources :

[1] Pour certains territoires rattachés, la libre circulation ne s’applique pas ; c’est le cas du Groenland et des îles Féroé (pays constitutifs du Danemark), de la France d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie), de la République monastique du Mont Athos (Grèce), de Svalbard (Norvège), de Aruba et des Antilles néerlandaises  (Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Eustache et Sint-Maarten, la partie néerlandaise de l’île de Saint-Martin).

[2] Pour les micro-états européens de Monaco, de Saint-Marin et du Vatican, la libre circulation s’applique ; par contre, elle ne s’applique pas pour la Principauté d’Andorre.

[3] Le Conseil Justice et Affaires intérieures du 8 décembre 2022 a donné son feu vert pour l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen…mais l’a refusé à la Bulgarie et à la Roumanie.

[4] « Les Accords de Schengen (l’Accord signé le 14 juin 1985, ses protocoles ainsi que les accords d’adhésion des Etats) ont donné lieu à l’adoption d’une convention d’application (Convention Schengen du 19 juin 1990) puis à différentes mesures de mise en œuvre. L’ensemble de ces textes constitue l’Acquis de Schengen. En 1999, l’Acquis de Schengen est intégré dans le cadre de l’UE via un protocole annexé au Traité d’Amsterdam, et devient ainsi partie intégrante du droit communautaire. Différentes décisions du Conseil de l’UE du 20 mai 1999 reprennent les principales mesures de l’Acquis et définissent, pour chacune, la base juridique correspondante dans les traités européens » extrait du site Internet Le fonctionnement de l’espace Schengen – Touteleurope.eu .

[5] La Bosnie-Herzégovine, l’Albanie, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie.

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