La transition énergétique de l’Union européenne est socialement injuste ! Vraiment ?

© Frauke Riether de Pixabay

Réchauffement climatique accéléré oblige, la nécessité de réaliser la transition énergétique est, sauf aux marges climatosceptiques de l’opinion, peu contestée dans l’Union européenne. En décembre 2019, quelques jours seulement après l’entrée en fonction de la Commission, les chefs d’Etat et de gouvernement ont approuvé l’objectif de neutralité climatique en 2050 avancé par Ursula von der Leyen.

En juillet 2021, l’exécutif européen a présenté le Paquet climat : « il devra permettre   aux citoyens de profiter le plus rapidement possible des bénéfices de l’action climatique, ainsi que soutenir les foyers les plus vulnérables »[1]. Or depuis cette présentation, nonobstant l’engagement réitéré plusieurs fois, les critiques enflent et alertent sur le risque d’exaspération populaire voire de révolte type « gilets jaunes ». L’argument principal est que, si la faisabilité technique et économique des mesures proposées ne pose pas de difficultés insurmontables,  leur acceptation sociale est plus que problématique : la marche est trop haute et, pour nombre de citoyens, notamment les plus vulnérables, impossible à franchir. En somme, selon ses détracteurs la transition énergétique de l’Union européenne présenterait un défaut rédhibitoire : elle ignore le social, pire, pour certains d’entre eux, elle est antisociale !

Rappelons que le Paquet climat ou Ajustement à l’objectif 55 (réduction de 55 % des émissions nettes de gaz effet de serre à l’horizon 2030), constitue pour l’Union le palier indispensable sur la voie de la neutralité carbone en 2050. Pour atteindre cet objectif, il convient de réduire de façon drastique la consommation d’énergies fossiles au profit des énergie renouvelables. A cette fin, plusieurs mesures ont été proposées qui, toutes, ont une incidence financière et, pour certaines, un fort impact social.

Parmi ces dernières, la plus « lourde » consiste dans la création d’un deuxième marché du carbone soit un système d’échanges de droits d’émission de gaz à effet de serre (GES) entre entreprises qui concernera à partir de 2026, le chauffage des bâtiments et le transport routier. Le mécanisme est le suivant : chaque année, les entreprises des secteurs concernés reçoivent un quota de droits à polluer. En cas de dépassement du plafond, elles achètent sur le marché des droits auprès d’entreprises qui n’ont pas utilisé le montant de quotas alloués. L’effet probable d’un tel mécanisme pour les consommateurs sera une hausse du prix du carburant à la pompe et de la facture de chauffage en raison de la répercussion par les entreprises distributrices du surcoût engendré par l’achat de droits à polluer. Ce « nouveau » marché du carbone appliqué aux bâtiments et au transport routier entrera en vigueur de manière progressive, à partir de 2027[2] avec un prix du carbone plafonné à 45 euros la tonne, au moins jusqu’en 2030.

La mesure a d’emblée été critiquée au motif qu’elle risque  d’aggraver la précarité énergétique des 34 millions d’Européens qui ont du mal à régler leur facture d’énergie. Cette crainte a été exprimée par des personnalités à l’attachement européen incontestable comme P. Lamy et par des ONG environnementales. Elle a été  relayée par de nombreux parlementaires européens et débattue vivement, semble-t-il, au sein de la Commission. Plusieurs Etats membres, dont la France, ont fait part de leurs réserves , d’autres, comme la Pologne, ont proclamé leur franche opposition mais davantage pour des raisons économiques que sociales[3]. Néanmoins, en avril 2023, soit deux ans après son annonce,  le texte-clé portant création du deuxième marché carbone a été adopté. Il est devenu applicable et juridiquement contraignant en mai.

C’est qu’en mai 2023, après deux ans de discussion, un règlement a « institué un Fonds social pour le climat » (FSC).  Comme son nom l’indique, il constitue le volet social de la transition énergétique.

Pour la période 2026-2032, le FSC sera doté de 65 milliards d’euros issus de la vente aux enchères de quotas d’émission de GES aux entreprises du transport routier et du bâtiment. Chaque Etat membre bénéficiera d’une enveloppe pour financer un plan climat social qui comportera un ensemble de mesures en réponse à la précarité  énergétique et aux difficultés de mobilité. Ainsi, la France doit-elle recevoir 7 milliards d’euros. Avec le cofinancement assuré par les Etats à hauteur de 25 %, l’ensemble représente un total de 86,7 milliards d’euros.

Le FSC, via les Etats,  fournira aux ménages précaires une aide au revenu, directe, temporaire et limitée (35,5 % maximum du plan). Il permettra d’aider les ménages aux ressources modestes et les micro-entreprises vulnérables à financer les investissements indispensables pour réduire la dépendance aux énergies fossiles : rénovation énergétique des bâtiments, décarbonation du chauffage, promotion des véhicules à faibles émissions, des transports publics et de services de mobilité partagée.

Le FSC a été plutôt bien accueilli et même si certaines voix regrettent un manque d’ambition, il est reçu comme une  mesure essentielle de justice sociale. En cela, il répond au souhait d’Ursula von der Leyen, réitéré dans son dernier discours sur l’état de l’Union, de « garantir une transition juste et équitable ».


[1] F. Timmermans, vice-président de la Commission en charge du Pacte vert.

[2] Son établissement est susceptible d’être repoussé à 2028 en cas de flambée des prix de l’énergie.

[3] 85 % de l’énergie polonaise provient du charbon dont 70 % de l’électricité consommée. La Pologne a annoncé la fermeture de ses mines de charbon en 2049.

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