L’Allemagne à la veille de sa présidence du Conseil de l’Union

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Le 1er juillet, l’Allemagne succédera à la Croatie à la présidence tournante du Conseil de l’Union. Près de 13 ans après sa première expérience (2007), marquée, dans la lancée de l’organisation réussie de la coupe du monde de football, par de beaux succès sur la scène européenne (avancées sur la réforme institutionnelle, élargissement à la Roumanie et à la Bulgarie …), Angela Merkel fait face, en Allemagne et dans l’Union, à une crise inédite qui a bouleversé ses plans de présidence comme elle l’a déclaré fin avril : « La pandémie du coronavirus a bouleversé notre monde et ainsi, nos ambitions pour cette présidence du conseil de l’Union européenne qui durera 6 mois à partir du 1er juillet prochain. La gestion de la crise est désormais au centre de toutes les attentions ». A la veille de la présidence allemande, quelle situation sanitaire, économique et sociale, le pays connaît-il ? Sur quelles bases, l’Allemagne entend-elle fonder la relance de son  économie ?

Souveraineté oblige, à l’instar des autres États-membres, en Allemagne, la lutte contre l’épidémie de Covid-19 a été une affaire nationale.

Dans la gestion allemande de la crise sanitaire, le pays a fait montre d’une efficacité remarquée parce que supérieure à celle de ses grands voisins en particulier la France : fin mai, 8 600 décès en Allemagne contre 28 370 en France pour un nombre de contaminés proche (180 300/182 700) et une chronologie de l’épidémie semblable. Les explications avancées de cette mortalité limitée sont multiples : qualité du système de soins en terme de forte capacité d’accueil en nombre de lits de soins intensifs, de réseau dense d’établissements de santé ; campagne de tests précoce et large rendue possible par le tissu de PME ; pilotage au plus près du terrain  par les Länder compétents pour la santé en concertation permanente avec l’Etat fédéral ; enfin, confinement assez strict (fermeture des commerces, restaurants, écoles, interdiction des regroupements mais maintien de la liberté de circulation) reposant davantage sur l’appel à la discipline individuelle que sur l’injonction ou la contrainte administrative voire policière. Malgré les réticences de la chancelière, mais sous la pression des milieux économiques relayés par certains Länder et d’une partie de l’opinion, un plan de déconfinement progressif a été négocié entre le gouvernement fédéral et les Länder. Débuté le 23 avril, il a permis la réouverture sous conditions des commerces, puis début mai, des écoles, des aires de jeux, des musées, des zoos, et la reprise des offices religieux [1].

La gestion des conséquences économiques et sociales du Covid-19 s’annonçait d’autant plus difficile que l’économie allemande fortement exportatrice a été, en 2019, très fragilisée par les tensions commerciales internationales. Au 1er trimestre 2020, le PIB a chuté de 2,2 % et, au 2ème trimestre, de près de 10 % sur un an. Selon les prévisions gouvernementales, la baisse en 2020 devrait être de 6,3 %. Dans le même temps, le chômage a explosé avec fin mai 2,87 millions de demandeurs d’emploi soit un taux de 6,3 % et les entreprises du pays ont déposé des demandes de chômage partiel pour près de 12 millions de salariés entre mars et mai. Afin d’amortir le choc, l’État fédéral après avoir annoncé qu’il renonçait à la règle de l’équilibre budgétaire a arrêté, fin mars,  un plan de sauvetage avoisinant les 1100 milliards € représentant près du tiers du PIB. Le plan comporte 3 éléments principaux :

  • un budget complémentaire de 156 milliards couvert par l’emprunt qui permet de financer de nombreuses mesures : une aide supplémentaire au système de santé ; un assouplissement du recours au chômage partiel ; des aides aux PME, aux travailleurs indépendants ou encore aux locataires et propriétaires immobiliers ; un filet social élargi avec recours simplifié et assoupli aux allocations sociale et familiale.
  • la création d’un fonds de stabilisation de l’économie à destination des grandes entreprises et grosses start-up doté 600 de milliards € avec plusieurs interventions possibles : prises de participation publique temporaire, garanties d’emprunts ou refinancement
  • une rallonge de 357 milliards d’euros pour la banque publique d’investissement KfW lui permettant de garantir près de 822 milliards de prêts.

Bien que l’épidémie sévisse encore dans le pays, la situation sanitaire paraît aujourd’hui sous contrôle et ses effets économiques et sociaux pour partie contenus. Les sondages le montrent, ce résultat est porté au crédit de la chancelière et des forces politiques qui la soutiennent.

Pour l’étape cruciale suivante de la relance économique, A. Merkel opère un tournant « historique » correspondant à un double choix : national et européen.

Le choix national consiste en un plan ambitieux âprement négocié entre les trois partis de la coalition qui rompt avec la rigueur budgétaire, fiscale et sociale allemande. Annoncé le 3 juin, ce plan plus ample qu’attendu, 130 milliards € pour 2020 et 2021 soit 4 % du PIB, combine demande et offre en plusieurs mesures fortes : pour relancer la consommation, une baisse temporaire, du 1er juillet au 31 décembre, de la TVA de 19 à 16 % et de 7 à 5 % pour le taux réduit, une baisse du coût de l’électricité, une « prime » pour les parents (300 € par enfant) et un  bonus doublé pour l’achat d’un véhicule électrique ; pour soutenir les petites entreprises et les indépendants, notamment du secteur de la culture, des aides à hauteur de 25 milliards € ; pour soulager les communes durement touchées par la perte de taxe professionnelle consécutive à la fermeture d’entreprises et par l’augmentation des charge financières liées aux allocations chômage, un transfert de dettes vers l’État fédéral ; enfin, pour moderniser et verdir son économie, près de 50 milliards € destinés aux investissements publics et au soutien à la recherche et à l’innovation avec par exemple, le développement d’usines de production d’hydrogène.

Le choix européen d’A. Merkel a été énoncé en deux temps. Interrogée par un député AFD (extrême-droite) sur l’arrêt critique de la Cour Constitutionnelle allemande rendu le 5 mai à l’encontre de la politique de la BCE, la chancelière a répondu : « Cela va nous inciter à faire davantage en matière de politique économique afin de faire progresser l’intégration de la zone euro ». Quelques jours plus tard, le 18 mai, elle a inscrit cette volonté dans le plan de relance franco-allemand sous la forme d’un Fonds de relance temporaire et ciblé doté de 500 milliards € en dépenses budgétaires de l’UE. En acceptant la mutualisation des dettes publiques, en se ralliant à l’idée de transferts budgétaires entre États membres qu’elle refusait jusque-là, A. Merkel effectue un virage  à 180 degrés et permet d’enclencher la dynamique européenne aboutissant au plan de relance européenne de la Commission dévoilé le 27 mai[2].. Deux raisons principales, ont, semble-t-il, joué dans ce choix européen de l’Allemagne : la profondeur de la crise notamment en Europe du Sud, susceptible de faire éclater l’Union avec des dégâts  majeurs pour l’économie allemande et l’isolement politique du pays certes soutenu par les « frugaux » (Autriche, Pays-Bas, Suède et Danemark) mais critiquée ailleurs pour sa solidarité minimale.  Si l’on en croit les sondages, malgré les réticences exprimées par les plus conservateurs de son parti et les critiques virulentes de l’extrême droite (AFD), la chancelière a réussi à convaincre une majorité de ses concitoyens.

A la veille de la présidence allemande de l’Union, le doute n’est plus permis : la détermination de la chancelière à reconstituer les forces de son pays par et pour l’Europe est forte. Pour l’un de ses derniers chantiers, nous ne pouvons que lui souhaiter de réussir comme en 2007.


[1] Cet assouplissement est jugé insuffisant par une minorité d’Allemands qui protestent en manifestant au nom de la liberté dans plusieurs métropoles (Berlin, Munich, Stuttgart..). Dans les cortèges, se mêlent des extrémistes de gauche et de droite, des anarchistes, des complotistes, des anti-vaccins, des supporteurs de football…

[2] Voir l’article ci-dessous : Le plan européen de relance économique.

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