Le cinéma hongrois, un inconnu

© Pexel, Bence Szemerey

Les noms de Miklós Jancsó, István Szabó ou Béla Tarr, réalisateurs hongrois pourtant parmi les plus respectés, notamment du fait des récompenses obtenues dans des festivals prestigieux, ne sont, à l’évidence, pas les plus familiers des publics européens et occidentaux si ce n’est d’un cercle étroit de cinéphiles. La cinématographie hongroise, inconnue ou mal connue donc, figure néanmoins parmi les plus intéressantes d’Europe centrale.

Un cinéma hongrois qui, ici, comme dans d’autres pays voisins, mais peut-être plus encore, a, depuis son apparition, été très lié à l’histoire nationale dans un siècle marqué par des gouvernances autoritaires et des « terreurs » successives : à la « terreur rouge » de la République des Conseils de Béla Kuhn à l’issue de la Première Guerre mondiale a succédé, en effet, dans les année 20 et jusqu’à 1944, la « terreur blanche » du régime pronazi de l’Amiral Horty avant que ne s’installent jusqu’à la  chute de l’URSS, des gouvernements prosoviétiques. Un monde du cinéma qui sera, comme d’autres secteurs de l’art et de la culture hongrois, très impliqué dans la transition démocratique de 1956 à laquelle mettra fin la brutale répression de l’armée soviétique.

Le cinéma a donc d’abord servi d’outil de propagande et a été en particulier un lieu d’expression privilégié du « réalisme socialiste » avant de connaître un véritable renouveau dans les années 60, du fait d’un relatif assouplissement de la politique culturelle du Parti communiste hongrois ainsi que du talent et de la ténacité de quelques réalisateurs d’avant-garde proches de la Nouvelle vague française. Cela a été le cas notamment de Miklós Jancsó, cinéaste novateur dans sa façon de mettre en scène les affrontements que le peuple hongrois a connus, depuis les révoltes politiques et sociales du XIXème siècle dans Les Sans Espoir (1967) ou Psaume Rouge (1972) jusqu’aux luttes fratricides du XXème  siècle dans Rouges et Blancs en 1967 ou Ah ! Ça ira en 1969.

Une histoire, non seulement hongroise mais plus largement européenne, dont István Szabó a fait le cadre, dans les années 80, d’une trilogie tournée en allemand avec l’acteur autrichien Klaus Maria Brandauer : Méphisto, Colonel Redl et Hanussen, montrant combien les circonstances historiques peuvent déformer l’existence des individus et leur faire jouer des rôles qui les dépassent.

La période du nazisme et les persécutions dont les Juifs ont été victimes hanteront particulièrement les réalisateurs hongrois : dans La Juste Route, sorti en 2015, Ferenc Török aborde, à travers le quotidien d’un village hongrois, le thème de la spoliation de leurs biens ; la même année, l’insoutenable réalité des camps de concentration est au cœur du Fils de Saul de László Nemes.

Mais c’est aussi à la misère sociale hongroise que le cinéma national s’est très tôt intéressé : dès la fin de la guerre, la situation dramatique des enfants livrés à eux-mêmes et à l’hostilité de la société est montrée dans Quelque part en Europe de Géza von Radványi ; en 1955, la question de la collectivisation des terres sert de décor à une histoire d’amour contrariée dans le très sensible Un Petit Carroussel de Fête de Zoltán Fábri. Une réalité rurale d’ailleurs présente dans de nombreux films hongrois, comme dans Dix Mille Soleils de Ferenc Kósa (1967) et jusqu’à la tragédie vécue par la minorité tsigane dans l’implacable Just the Wind de Bence Fliegauf en 2012.

La figure emblématique du cinéma hongrois qui s’est imposée dès les années 90 est pourtant celle de Béla Tarr, cinéaste de la pénombre et de l’âpre réalité dans des films qualifiés de « métaphysiques », à l’esthétique exigeante et tous tournés dans un noir et blanc somptueux, que ce soit le très long et sombre Satantango en 1994 ou le sublime Cheval de Turin en 2011, dernier film d’un Béla Tarr qui décide alors de mettre fin définitivement à sa carrière de réalisateur.

 Le cinéma hongrois, soumis depuis plus d’une décennie, comme d’ailleurs les autres secteurs de la culture, aux exigences idéologiques du pouvoir autoritaire de Viktor Orban, affiche pourtant une réelle vitalité. Multi récompensé dans les grands festivals européens (Ours d’Argent à Berlin pour Le Cheval de Turin ou Grand prix du Jury à Cannes pour Le Fils de Saul, entre autres), le cinéma hongrois reste néanmoins mal connu des publics occidentaux du fait de son caractère souvent austère et des sombres réalités dont il se fait l’écho et il est perçu, hors de ses frontières nationales, essentiellement comme un cinéma de cinéphiles.