Le Destin de Babel de Laurent Wirth: une conférence et un livre

© MDE Limousin

Le 11 mars 2022, la Maison de l’Europe – EUROPE DIRECT Limousin accueillait pour une conférence, dans l’amphithéâtre Emmanuel Clancier de la BFM de Limoges, Laurent Wirth, auteur d’un essai paru récemment : LE DESTIN de BABEL Une histoire européenne [i], préfacé par l’historien de renom Patrick Boucheron.

C’est le même propos que développaient la conférence et le livre : une relecture, sur le temps long, de l’histoire européenne, depuis l’antiquité grecque jusqu’à l’actualité récente, une relecture guidée par une réflexion sur la dualité de cette histoire, entre union et division. Laurent Wirth a choisi comme titre une métaphore de cette dualité, le mythe biblique de Babel : cet épisode de La Genèse raconte comment des hommes qui s’étaient rassemblés dans un projet commun, celui de l’édification d’une ville, Babylone, et d’une tour « dont le sommet atteigne le Ciel », ont vu leur projet contrarié par la volonté divine qui brouilla leur langue et les dispersa sur toute la terre.

Ainsi, l’histoire de l’Europe serait-elle faite successivement ou concomitamment de « moments communs » et de périodes de divisions et d’affrontements parfois tragiques. Le XXe siècle en a fait une triste et parfaite démonstration : au sortir de la guerre de 1914-1918, conflit qui avait déchiré l’Europe, – ce « continent des ténèbres », – alors que des voix s’élevaient pour l’engager dans une démarche d’union pacifique, se préparait une autre entreprise de division et de destruction au coût encore plus exorbitant. Et c’est dans les années qui ont immédiatement suivi cette Seconde Guerre mondiale, que le projet d’une construction européenne commune voyait le jour.

L’Europe a donc vécu, au cours de son histoire, des périodes de relative unité, d’abord par le fait d’une langue commune, le latin, et d’une culture partagée, puis sous la bannière d’un christianisme, facteur de cohésion et de développement des sociétés européennes, avant que les idées des humanistes et des hommes des Lumières ne viennent tisser un lien d’esprit entre les élites occidentales.

Mais à l’intérieur de chacune de ces périodes couvent des facteurs de divisions et de ruptures dont la guerre est le résultat récurrent au cours de l’histoire, que ce soient les guerres de religion au XVIème siècle, les guerres « de souveraineté » au XVIIème ou les guerres de conquêtes napoléoniennes, avant les deux déflagrations mondiales du siècle dernier, conséquences de ce que Laurent Wirth appelle « le grand choc des nations ».

C’est donc sur ce terreau, mélange de sensibilité commune et d’égoïsmes identitaires ou nationaux, qu’a germé puis s’est développée au milieu du XXème siècle, au tout début d’une Guerre froide qu’allait matérialiser pendant près de quarante ans un infranchissable « rideau de fer », l’idée inédite d’une construction européenne qu’avait préparée depuis la fin de la Première Guerre mondiale l’émergence dans des esprits précurseurs d’une « conscience européenne » ou plus précisément, selon les mots de l’auteur, d’un sentiment « d’appartenance à une même collectivité ». Une construction « difficile » sur les bases posées par Schuman, Monnet et les autres pères fondateurs, et qu’une succession de soubresauts, ont, jusqu’à nos jours, menacée sous les coups de boutoir des replis souverainistes ou nationalistes.

L’Union européenne c’est en effet le défi d’une « identité européenne » qui doit « se construire sur l’intégration de l’altérité », fédérer des peuples, des cultures historiques et politiques diverses et plus de vingt langues… Un chantier de construction inachevé sur lequel pèsent encore, soixante-dix ans après, de lourdes incertitudes.

C’est la conclusion, elle aussi mélange d’une conviction européenne forte et d’une inquiétude mesurée, que Laurent Wirth a développée aussi bien dans la conférence alerte à laquelle nous avons assisté que dans un ouvrage dense, mais parfaitement accessible, agrémenté de cartes et d’une grande quantité de notes et de références. L’occasion aussi pour ses lecteurs, dont certains ont peut-être oublié des pans importants de l’histoire européenne, de s’offrir une agréable et efficace séance de « révision ».

Par ailleurs, le fil conducteur auquel se tient avec rigueur Laurent Wirth tout au cours de son exposé, l’idée d’une dualité « babélique », donne à cette relecture de l’histoire européenne une véritable et nécessaire cohérence.

 


[i]  Editions Armand Colin. Septembre 2021. 411 pages.

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