Le monde du sport de nouveau à l’épreuve du droit européen

© pexels – Tembela Bohle

On se souvient qu’en 1995 avec l’arrêt BOSMAN la Cour de justice de l’Union européenne avait rendu une décision qui avait révolutionné le monde du ballon rond en décidant que le principe de libre circulation des travailleurs était applicable aux joueurs professionnels de football, permettant ainsi aux clubs européens d’engager autant de joueurs ressortissants de l’UE qu’ils le souhaitaient.

Le 21 décembre dernier, cette même cour a rendu 3 arrêts tout aussi importants pour les acteurs du sport professionnel, rappelant en effet que même si l’exercice économique du sport est marqué par d’indéniables spécificités, il reste soumis au droit européen.

  • Dans le premier de ces arrêts « European Superleague Company », le plus médiatisé, la Cour a estimé notamment que les règles édictées par l’Union des associations européennes de football (UEFA) et la Fédération internationale de football (FIFA) sur l’autorisation préalable des compétitions de football interclubs, telles que la Superleague, violaient le droit de l’Union parce que contraires au droit de la concurrence et à la libre prestation de services.

Rappel des faits : douze clubs européens de football ont souhaité en 2021 mettre en place, par le biais de la société espagnole European Superleague Company, un projet de nouvelle compétition de football : la Superleague. La FIFA et l’UEFA se sont opposées à ce projet et ont brandi la menace de sanctions aux clubs et aux joueurs qui décideraient d’y participer.

European Superleague Company a saisi le tribunal de commerce de Madrid  d’une action contre la FIFA et l’UEFA, car elle estime que leurs règles sur l’autorisation des compétitions et l’exploitation des droits médias violent le droit de l’Union. Ayant des doutes à ce sujet au regard, notamment, du fait que la FIFA et l’UEFA se trouvent en situation de monopole sur ce marché, le tribunal espagnol a interrogé la Cour de justice au travers de la procédure de renvoi préjudiciel[1].

Dans son arrêt, la Cour constate que l’organisation des compétitions de football professionnel interclubs est, à l’évidence, une activité économique. Bien que constituées sous forme d’associations dotées de pouvoirs de réglementation, de contrôle et de sanction, la FIFA et l’UEFA sont considérées comme des entreprises au regard du droit européen dès lors qu’elles conduisent une activité économique. Elles doivent donc respecter les règles de concurrence ainsi que le principe de liberté de circulation, même si le domaine du sport peut présenter certaines spécificités.  D’autant que la Cour constate que, parallèlement à l’exercice de leurs pouvoirs, la FIFA et l’UEFA organisent elles-mêmes des compétitions de football.

Dès lors la Cour a estimé que, lorsqu’une entreprise en position dominante a le pouvoir de déterminer les conditions dans lesquelles des entreprises potentiellement concurrentes peuvent entrer sur le marché, ce pouvoir doit, compte tenu du risque de conflit d’intérêts qu’il engendre, être assorti de critères propres à en assurer le caractère transparent, objectif, non discriminatoire et proportionné. Or, les pouvoirs de régulation de la FIFA et de l’UEFA ne sont encadrés par aucun critère de cette nature. De ce fait la FIFA et l’UEFA se trouvent donc en situation d’abus de position dominante.

De même, la Cour a jugé que les règles d’autorisation, de contrôle et de sanction de ces deux associations devaient être qualifiées, compte tenu de leur caractère, de restriction non justifiée à la libre prestation de services.

Mais on notera que la Cour, interrogée sur les règles édictées par la FIFA et l’UEFA, ne prend pas pour autant directement position sur le projet spécifique de Superleague. Tout comme on notera que ce n’est pas le pouvoir de régulation de l’UEFA et de la FIFA qui est remis en cause, mais le manque de caractère transparent, objectif, non discriminatoire des mesures d’interdiction applicables.

  • Dans le deuxième arrêt « International Skating Union/Commission », la Cour a considéré que les règles de l’International Skating Union (ISU) sur l’autorisation préalable des compétitions de patinage de vitesse sur glace violaient le droit de l’Union en ce qu’elles avaient pour objet de restreindre la concurrence au détriment, notamment, des athlètes et du public.

Rappel des faits : l’ISU est l’unique association sportive internationale reconnue par le Comité international olympique dans le domaine du patinage sur glace. Elle réglemente, gère et promeut ce sport à l’échelle mondiale. Elle exerce, en parallèle, une activité économique consistant à organiser des compétitions internationales et à exploiter les droits liés à celles-ci.

Selon les règles de l’ISU, l’organisation des compétitions internationales est soumise à son autorisation préalable et les athlètes qui participent à une compétition non autorisée par l’ISU risquent d’être exclus de toute compétition pour une durée déterminée ou à vie. Enfin, les refus d’autorisation et les sanctions ne peuvent être contestés que devant le Tribunal arbitral du sport établi à Lausanne.

En 2017, la Commission européenne avait considéré que ces règles violaient le droit de l’Union et que les règles d’arbitrage privaient les athlètes d’un accès effectif au juge.

Un premier recours de l’ISU contre la décision de la Commission avait été en partie rejeté en 2020 par le Tribunal de l’Union européenne[2], jugeant illégales les règles d’autorisation et de participation mais estimant que la Commission avait eu tort d’incriminer les règles d’arbitrage,

Dans son arrêt, la Cour rejette le pourvoi introduit par l’ISU contre l’arrêt du Tribunal et confirme, elle aussi, l’illégalité des règles de l’ISU. En revanche, la Cour constate, à la différence du Tribunal, que la Commission avait eu raison d’incriminer des règles d’arbitrage qui réduisent l’accès à un juge en mesure d’appliquer le droit européen.

Comme dans le précédent arrêt, la Cour rappelle que l’organisation de compétions sportives constitue, à l’évidence, une activité économique qui doit donc respecter les règles de concurrence, même si l’exercice économique du sport est caractérisé par certaines spécificités, comme l’existence d’associations dotées de pouvoirs de réglementation, de contrôle et de sanction.

Elle souligne qu’une association sportive telle que l’ISU peut adopter et faire respecter des règles relatives à l’organisation et au déroulement des compétitions mais que ces règles doivent faire l’objet d’un encadrement propre à en assurer le caractère transparent, objectif, non discriminatoire et proportionné. Sans cet encadrement, ces règles sont de nature à permettre d’exclure du marché toute entreprise concurrente et de limiter la mise en place de compétitions nouvelles et d’empêcher les athlètes de participer à ces compétitions.

  • Dans le troisième arrêt « Royal Antwerp Football Club », la Cour a estimé que les règles de l’UEFA et de l’Union royale belge des sociétés de football association (URBSFA) sur les « joueurs formés localement » pourraient être contraires au droit de l’Union car susceptibles de violer à la fois les règles de concurrence et la libre circulation des travailleurs.

Rappel des faits : un footballeur professionnel et un club belge (le Royal Antwerp) ont contesté devant les juridictions belges les règles de l’UEFA et de URBSFA relatives aux « joueurs formés localement ». L’UEFA impose en effet aux clubs de football d’avoir un nombre minimal de « joueurs formés localement » dans leurs équipes. L’URBSFA a adopté des règles similaires. Dans les deux cas, ces règles définissent les « joueurs formés localement » comme ceux formés au niveau national, même si les règles de l’UEFA se réfèrent aussi aux joueurs formés au sein d’un club donné.

Le tribunal a décidé d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet[3].

Dans son arrêt, la Cour confirme tout d’abord que les règles de l’UEFA et de l’URBSFA relèvent du champ d’application du droit de l’Union. En effet, ces règles portent sur l’exercice d’une activité professionnelle, donc économique. Elles doivent par conséquent respecter les règles de concurrence et la liberté de circulation.  La Cour juge ensuite que les règles sur les joueurs formés localement pourraient avoir pour objet ou pour effet de restreindre la possibilité qu’ont les clubs de se faire concurrence en recrutant des joueurs de talent, quel que soit le lieu où ceux-ci ont été formés. S’agissant de la libre circulation des travailleurs, la Cour juge que les règles en question peuvent engendrer une discrimination indirecte en fonction de la nationalité, aux dépens des joueurs provenant d’autres États membres.

Cependant, la Cour considère que c’est au juge national qu’il appartiendra de déterminer si ces règles restreignent effectivement la concurrence et le principe de libre circulation des travailleurs en raison de leur objet même ou du fait de leurs effets actuels ou potentiels. Il restera à l’UEFA et l’URBSFA de démontrer que ces règles poursuivent un objectif légitime en encourageant le recrutement et la formation des jeunes joueurs et qu’elles sont proportionnées à cet objectif.

Ainsi, ces trois arrêts confirment le rôle prépondérant que joue désormais le droit européen dans la structuration et le fonctionnement du sport professionnel et dessinent les limites du pouvoir réglementaire des fédérations notamment internationales et de certaines associations sportives.


[1] Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige lui-même. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.

[2] La Cour de Justice est assistée depuis 1989 par le Tribunal qui juge en première instance.

[3] Cf. note 1.

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