Le Nouveau Pacte sur la migration et l’asile et les colégislateurs

Le 20 avril 2023, quelque deux ans et demi après la présentation par la Commission européenne du Pacte sur la migration et sur l’asile, le Parlement européen a arrêté sa position sur les textes-clés de ce projet. Le 8 juin, en Conseil de l’Union, les ministres de l’intérieur ont validé un accord politique. Se trouve ainsi lancé le processus législatif d’adoption du nouveau Pacte sur la migration et l’asile dont il convient de rappeler les principaux éléments[1].

En septembre 2020, cinq ans après la crise migratoire, la Commission européenne a proposé un projet de réforme de la politique migratoire : le « Nouveau Pacte sur la migration et l’asile » (NPMA). Ce 3ème pacte après ceux de 2008 et 2014, a fait l’objet de longues discussions entre les vingt-sept avec en mémoire le double échec du plan de répartition des migrants de 2015 et des négociations du « Paquet asile » de 2016. Plusieurs fois repoussé en raison de la priorité donnée au plan de relance, il a été présenté par la Commission sous forme d’une simple communication annonçant un paquet législatif de 5 propositions (3 règlements et 2 propositions amendées). Il comprend aussi, des textes non législatifs sous forme de trois recommandations et d’une feuille de route. Le « Pacte sur la migration et l’asile » n’est pas un traité mais un engagement sur des principes communs de gouvernance des migrations et de l’asile en Europe.

 Marqué du sceau du pragmatisme, le nouveau pacte entend, par une approche équilibrée, concilier deux impératifs : la sécurité et la solidarité.

La sécurité s’inscrit dans la surveillance des frontières sous deux volets. Le premier volet consiste en un renforcement des contrôles aux frontières extérieures. Une procédure de filtrage (« screening ») doit permettre d’effectuer dans les 5 jours suivant l’arrivée une vérification d’identité, un contrôle sanitaire et un enregistrement dans la base de données Eurodac. Cette procédure simplifiée et accélérée est assortie des garanties indispensables en termes d’évaluation de la situation des personnes et de non refoulement. Les demandes des migrants peu susceptibles d’obtenir une protection internationale parce que venant de pays dont le taux de réponse positive est inférieur à 20 %, doivent être traitées en accéléré dans un délai de 12 semaines. Afin d’obtenir une information plus complète sur les demandeurs d’asile, le règlement Eurodac sera amendé pour permettre l’interconnexion avec le fichier Schengen de données sur les mouvements secondaires c’est-à-dire les demandes d’asile formulées par des migrants qui ont déjà effectué une demande dans un autre Etat, au moment de leur arrivée. Par ailleurs,  des moyens accrus sont attribués à Frontex afin qu’elle renforce les contrôles externes aux frontières.

Le deuxième volet vise une accélération des reconductions des migrants exclus de l’asile par l’activation des accords de réadmission avec les pays tiers en échange d’une coopération plus étroite en matière de développement. Pour inciter ces pays à accepter leurs ressortissants reconduits, le plan propose diverses mesures : délivrance de visas, facilité commerciale… Par ailleurs, l’Union s’engage à fournir une aide financière conséquente aux pays tiers en lutte contre les réseaux de passeurs.

Concernant le second impératif, le pacte réaffirme le principe de solidarité entre Etats. Cependant, en raison du refus catégorique de certains pays de partager l’accueil, le projet prévoit de laisser chaque Etat membre choisir : soit, avec le soutien financier de l’UE, l’accueil de demandeurs d’asile en attente dans leur pays d’entrée, soit l’organisation du retour dans leur pays d’origine des migrants en situation irrégulière avec prise en charge financière partielle de ce retour. La reconduite doit s’effectuer dans un délai de 8 mois et, s’il y a dépassement du délai, le pays doit relocaliser les migrants sur son sol. Mais, en cas de forte pression migratoire dans un Etat membre, la solidarité devra jouer obligatoirement sous la forme d’une relocalisation effectuée selon une clé de répartition (PIB, population, effort consenti antérieurement). Cependant, et contrairement à ce que la présidente avait laissé entendre à l’issue de son discours sur l’état de l’Union, le règlement de Dublin qui stipule que le traitement du dossier incombe au pays d’entrée, n’est pas aboli. Même si de nouveaux critères d’exception pour son application sont introduits comme la maladie, l’intérêt des enfants, le « fardeau » repose toujours sur les Etats de première entrée c’est-à-dire principalement les Etats méditerranéens.

Le 20 avril 2023, les eurodéputés ont donné mandat de négociation sur 5 textes-clés : 4 règlements et une directive. Ils se sont prononcés :

  • en faveur d’un règlement portant sur le filtrage aux frontières extérieures des ressortissants des pays tiers ;
  • en faveur d’un règlement pour un système centralisé d’information sur les casiers judiciaires ;
  • en faveur d’un règlement portant sur la gestion de l’asile et de la migration qui définit l’action conjointe des Etats et propose des critères améliorés pour déterminer la responsabilité des États membres dans le traitement d’une demande d’asile et assurer un partage équitable des responsabilités ;
  • en faveur d’un règlement ayant trait aux situations de crise correspondant à des arrivées soudaines et massives dans un pays, situation qui, après évaluation par la Commission, déclencherait des relocalisations obligatoires de nouveaux venus dans d’autres Etats membres ;
  • en faveur d’une directive modifiée sur les résidents de longue durée permettant l’octroi accéléré d’un permis de longue durée européen après trois ans de résidence légale et de la possibilité d’intégrer les personnes bénéficiant d’un statut de protection temporaire.

Chacun des textes a recueilli une confortable majorité et seuls, les groupes eurosceptiques CRE (conservateurs et réformistes européens)[2] et ID (identité et démocratie)[3], ont rejeté tous les textes. Ils ont été rejoints pour deux dossiers des plus sensibles, la gestion des situations de crise et des résidents longue durée par les élus français du PPE en divergence de position avec leur groupe[4].

Un mois et demi plus tard, le Conseil de l’Union en formation « Affaires intérieures » a voté à la majorité qualifiée le mandat de négociation. Il a fallu convaincre plusieurs Etats membres très réticents (Grèce, Italie, Espagne). Au final seuls deux Etats ont rejeté l’ensemble de la législation : la Hongrie et la Pologne mais quatre autres se sont abstenus : Malte, la Bulgarie, la Slovaquie et la Lituanie.

Les discussions en trilogue (Commission, Conseil et Parlement) peuvent débuter pour une adoption du Nouveau Pacte sur la migration et l’asile espérée avant les élections européennes de juin 2024.


[1] Une analyse « à chaud » dans la Lettre d’information CIED Limousin n°41, septembre/ -octobre 2020.

[2] Le groupe CRE (ECR en anglais) compte 63 députés issus d’une vingtaine de partis  parmi lesquels : Droit et justice (PiS) Pologne, 27 sièges, Fratelli d’Italia (FDI), 7 sièges, Vox (Espagne), Démocrates de Suède etc.

[3] Le groupe ID compte 63 députés issus de 9 partis parmi lesquels, la Ligue pour Salvini, Italie, 23 députés, le Rassemblement national, 18 députés, l’Afd allemande, 9 députés etc.

[4] Bellamy, Colin-Oesterlé, Danjean, Evren, Hortefeux, Morano, Sander. Didier n’a pas pris part aux votes.

Crédits photo: © European Union, 2020, EC – Audiovisual Service