Le plan européen de relance économique

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La réponse à la profonde crise économique et sociale née du Covid-19 constitue une occasion pour l’UE de montrer que la solidarité européenne n’est pas un slogan comme l’affirment certains. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Comme nous l’avons analysé dans la lettre d’information précédente[1], l’Union n’a pas attendu la fin du mois de mai pour rappeler combien la solidarité constituait un des ressorts dans la lutte contre la pandémie ! S’agissant de la réponse aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire, outre le programme d’urgence et d’ampleur de la BCE (près de 1 000 milliards €), des mesures d’urgence ont été validées par le Conseil européen fin avril pour une entrée en application le 1er juin. Ces mesures comportent trois volets : un refinancement à hauteur de 100 milliards € sous forme de prêts des dispositifs de chômage partiel décidés dans les États membres; la garantie de 200 milliards € apportée par la Banque européenne  aux secteurs économiques les plus touchés et aux PME ; enfin, la mise en œuvre du mécanisme européen de stabilité (MES) pour 240 milliards €. Ces mesures constituent une première ligne de défense mais elles sont insuffisantes pour assurer la reprise économique tant la situation très dégradée de certains pays, notamment dans l’Europe du sud, prive ces derniers de toute marge de manœuvre budgétaire et rend indispensable la solidarité entre États-membres. Pour cette raison, le Conseil européen a souhaité que l’Union intervienne de façon complémentaire aux actions budgétaires nationales. C’est l’objet du plan de relance de la Commission dévoilé le 27 mai par sa présidente devant le Parlement européen.

Le plan baptisé « Next Generation EU » est censé débuter le 1er janvier 2021, après adoption par le Conseil et le Parlement européen. Il comporte deux éléments principaux :

  • le financement du plan repose sur l’émission d’un grand emprunt européen. La Commission emprunte en son nom sur les marchés financiers 750 milliards qui alimentent un fonds de relance complémentaire du budget pluriannuel. Ce fonds est composé de deux parties : des subventions qui sont redistribuées via le budget européen pour 500 milliards € et des prêts remboursables par les États bénéficiaires pour 250 milliards €. Compte tenu de sa bonne image auprès des marchés financiers,  la Commission doit pouvoir bénéficier de taux d’intérêt faibles.  Si le paiement des intérêts de la dette contractée par l’UE doit démarrer dès 2021, le remboursement de la dette elle-même ne débutera qu’à partir de 2028  pour s’achever en 2058 ;
  • par ailleurs, le plan prévoit une hausse du budget pluriannuel de l’Union qui atteindrait 1 100 milliards € pour la période 2021-2027. La question du financement de cette hausse n’est pas encore tranchée : augmentation des contributions nationales ? réduction des dépenses de l’Union ? ou nouvelles ressources propres ? Cette 3ème option a, semble-t-il, la préférence de Bruxelles où l’on évoque plusieurs pistes parmi lesquelles une taxe sur le digital, une part des recettes sur les droits d’émission de CO2, un prélèvement sur les plastiques non réutilisables, une taxe carbone aux frontières…

Le plan de la Commission présente deux aspects novateurs.

  • Avec l’emprunt européen, la Commission évite de creuser la dette nationale des États membres. Elle ne se contente pas comme avec le Mécanisme européen de stabilité (MES) de les protéger de la faillite, elle les aide à financer les investissements et les réformes inscrits dans les plans nationaux de relance[2]. Comme l’écrit Patrick Arthus, c’est de la « mutualisation offensive ». Ce rôle confère à l’Union un positionnement politique fort qu’elle n’avait jusqu’à ce jour jamais adopté.
  • Avec l’augmentation des ressources budgétaires indispensables pour assurer le remboursement de ses emprunts, l’Union se dote d’une marge de manœuvre budgétaire nouvelle d’autant que l’accroissement des ressources propres diminue quelque peu sa dépendance à l’égard des contributions nationales.

Mais ce plan, en l’état, n’est qu’un projet qui doit être adopté par les États. C’est le volet politique de l’affaire. Ne l’oublions pas, il a fallu l’initiative franco-allemande du plan Macron-Merkel, le 18 mai, pour que s’enclenche la dynamique européenne. C’est l’acceptation par Angela Merkel de la mutualisation des dettes publiques européennes refusée par l’Allemagne jusque-là, qui a changé la donne. En se ralliant à l’idée de transferts budgétaires entre États, la chancelière a quitté le camp des « frugaux » à la grande satisfaction des pays du sud.

Mais unanimité oblige, la Commission va devoir convaincre les pays hostiles aux transferts massifs (Autriche, Pays-Bas, Danemark et Suède) et rassurer les pays inquiets, notamment d’Europe centrale et orientale quant au maintien des fonds de cohésion. Le plan de relance européenne y travaille. Comme le réclament les premiers, les transferts aux pays bénéficiaires seraient assortis de conditions : plan d’investissements et de réformes compatible avec les priorités de la Commission européenne en terme de transition écologique et numérique et prise en compte des recommandations annuelles de la Commission en terme de réformes structurelles visant à améliorer la compétitivité de ces pays. Pour satisfaire les seconds, le maintien et même une augmentation des fonds de cohésion de quelque 55 milliards € entre aujourd’hui et 2022 sont envisagés.

Moyennant quoi, les pays les plus affectés par la pandémie, pourront prétendre à l’enveloppe de subventions octroyées : pour l’Italie, 82 milliards €, l’Espagne 77 milliards €, la France 39 milliards, la Pologne 38, l’Allemagne 29 et à celle des prêts pré-alloués dont 91 milliards pour l’Italie, 63 pour l’Espagne, 26 milliards pour la Pologne etc.[3]

Pour ce plan de relance et de solidarité, la messe n’est pas encore dite et nous saurons dans quelques semaines (mi-juillet) si la crise du Covid-19 a, comme l’annoncent certains analystes, provoqué un tournant fédéraliste de l’Union.

 


[1] L’Union européenne à l’épreuve de l’épidémie du coronavirus, lettre d’information n° 38, avril 2020.

[2] Près de 80 % des financements du plan de relance leur seront consacrés.

[3] Pour une répartition par pays exhaustive des montants pré-alloués estimés,  voir Le Monde, 16 juin 2020.

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