Le projet de nouveau pacte sur la migration et l’asile

© EC – Service audiovisuel Margaritis Schinas, Ylva Johansson

Évoqué, il y a un an, plusieurs fois reporté depuis, le projet européen d’un nouveau pacte migratoire a été présenté le 23 septembre par le vice-président en charge des migrations Margaritis Schinas et par la commissaire européenne chargée des Affaires intérieures Ylva Johansson. Une semaine plus tôt, lors de son discours sur l’état de l’Union, dans un contexte de forte émotion médiatique consécutive à l’incendie le 9 septembre du camp de Moria sur l’île grecque de  Lesbos, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen avait annoncé une réforme du système de l’asile reposant sur « un nouveau mécanisme fort de solidarité », sans entrer dans les détails.

Dans l’ambiance pesante de crise sanitaire et de crise économique et sociale, le nouveau pacte sur la migration et l’asile est passé un peu inaperçu. Il mérite pourtant une analyse afin d’en identifier les nouveautés.

Rappelons que ce nouveau pacte fait suite à l’échec du « plan » élaboré par la Commission Juncker et adopté à l’automne 2015, dont la mesure phare, un mécanisme contraignant de relocalisation, a été refusée par plusieurs États membres[1]. Par la suite, la baisse du nombre d’arrivées liée entre autres à l’accord avec la Turquie en mars 2016, a quelque peu dégonflé le dossier migratoire sans toutefois soulager les pays d’entrée autant que souhaité.

Par rapport à la réforme précédente avortée, plusieurs changements interviennent.

  • Le principe de solidarité est réaffirmé mais face au refus catégorique de certains pays d’exprimer cette solidarité par l’accueil, le projet prévoit de laisser chaque État membre choisir entre l’accueil avec soutien financier de l’UE de demandeurs d’asile en attente dans leur pays d’entrée et l’organisation du retour des migrants en situation irrégulière dans leur pays d’origine, assortie de la prise en charge financière partielle de ce retour pour le pays de départ. La reconduite doit s’effectuer dans un délai de huit mois et, s’il y a dépassement, le pays doit relocaliser les migrants sur son sol. En cas de forte pression migratoire dans un État membre, la solidarité devra jouer obligatoirement sous la forme d’une relocalisation effectuée selon une clé de répartition (PIB, population, effort consenti antérieurement). Mais, contrairement à ce que la présidente avait laissé entendre à l’issue de son discours sur l’état de l’Union, le règlement de Dublin n’est pas aboli[2] même si de nouveaux critères d’exception pour son application sont introduits comme la maladie, l’intérêt des enfants.
  • Les contrôles seront renforcés aux frontières de l’Union. Les données biométriques recueillies par Eurodac[3]  seront complétées par des contrôles de santé et de sécurité à réaliser dans un délai court (5 jours). En outre, les demandes des migrants « peu susceptibles » d’obtenir une protection internationale parce que venant de pays dont le taux de réponse positive est inférieur à 20 %, seront traitées selon un processus accéléré dans un délai de 12 semaines. Enfin, la Commission souhaite développer la collaboration avec les pays d’origine des migrants. Pour inciter ces pays à accepter leurs ressortissants reconduits, elle propose diverses mesures : délivrance de visas, facilité commerciale… Par ailleurs, elle s’engage à fournir une aide financière conséquente aux pays tiers en lutte contre les réseaux de passeurs.
  • Des dispositifs de protection des migrants sont avancés. Pour prévenir les refoulements abusifs aux frontières, un nouveau mécanisme de surveillance serait activé par l’Agence européenne des droits fondamentaux basée à Vienne. Un mécanisme de solidarité est établi qui concerne les sauvetages en mer effectués par les navires humanitaires. Il s’agit de décriminaliser ces sauvetages en protégeant les ONG contre les poursuites judiciaires. Enfin, la Commission souhaite réduire les délais de traitement des demandes afin de permettre aux demandeurs d’asile d’accéder au marché du travail 6 mois après le dépôt de de leur dossier.

Au total, pas de bouleversement majeur mais des inflexions en apparence contradictoires : liberté de choix laissée aux États mais mécanisme de solidarité obligatoire ; demandes d’asile traitées dans un délai plus court mais renvoi plus rapide des migrants refusés…

Au lendemain de la présentation du pacte, la presse a souligné combien le projet relevait d’un compromis difficile et même « périlleux ».

Sous prétexte de leur faire accepter l’effort de solidarité obligatoire, le projet permet aux pays hostiles à l’accueil, de s’en exonérer : pour Jean Quatremer (Libération), c’est offrir « une belle victoire pour Viktor Orbán (…) et ses partenaires d’Europe centrale et orientale ». C’est aussi accepter un respect très élastique des valeurs de l’UE.

Plusieurs journaux soulignent aussi à l’instar des Échos qu’avec la procédure accélérée du traitement des demandes « les grands perdants de la nouvelle approche européenne seront pourtant moins les pays de première ligne, comme la Grèce et l’Italie, que les demandeurs d’asile et les candidats à une vie meilleure en Europe« . Cette analyse est partagée par plusieurs ONG, qui, tout en se félicitant de la décriminalisation des sauvetages en mer, craignent un affaiblissement des « garanties en matière d’asile et de droits de l’homme, mettant en péril le principe de ‘non-refoulement– selon lequel tout nouvel arrivant devrait avoir le droit de demander l’asile et ne pas être immédiatement refoulé d’Europe ».

Compte tenu des tensions, des divisions et du blocage entre États sur le dossier migratoire, la Commission von der Leyen en cherchant à combiner solidarité, renforcement des frontières et protection des migrants, s’attendait à « décevoir » les différentes sensibilités. Mais la présidente de la Commission, ses commissaires et les services concernés, ont-ils, un seul instant, pensé que ce compromis longuement négocié serait présenté par la présidente du Rassemblement national, comme « un véritable pacte avec le diable », visant « à prévoir, organiser et imposer les plus grandes migrations humaines que l’humanité ait connues » [4] !

Plus sérieusement, le nouveau pacte sur la migration et l’asile, projet complexe, lourd, mais humainement essentiel, doit être examiné et discuté par les  deux colégislateurs, le Conseil et le Parlement afin qu’ils élaborent les actes législatifs indispensables pour son application. L’entrée en vigueur pourrait avoir lieu en 2022.


[1] Voir Lettre d’information N°13, janvier-février 2016, Réfugiés : le difficile partage des responsabilités.

[2] Le règlement de Dublin (Dublin III) stipule que le pays d’entrée des migrants a seul la charge de l’instruction de leurs demandes d’asile.

[3] Eurodac est un système d’information à grande échelle contenant les empreintes digitales des demandeurs d’asile et de protection subsidiaire et immigrants illégaux se trouvant sur le territoire de l’UE. (CNIL).

[4] Le Monde, 11-12 octobre 2020.

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