L’Europe de la culture en souffrance

© Pixabay – Hermann Trau

 

Il n’y a pas eu de festival de Cannes comme chaque année au mois de mai ; les festivals de Salzbourg en Autriche ou de Bayreuth en Allemagne, comme celui d’Avignon en France, ont dû être annulés.
Ce ne sont là que quelques-uns, parmi les plus prestigieux, de ces nombreux événements culturels qui ne pourront se tenir en Europe, au moins dans leur forme habituelle, en cette année et surtout en cet été 2020.
La crise sanitaire a imposé également la fermeture des salles de spectacle, de concert ou de cinéma pour une période plus ou moins longue. Pendant le confinement les musées européens ont enregistré, quant à eux, une baisse moyenne de 80 % des revenus générés par les entrées.

Le secteur culturel, que l’on désigne parfois sous le vocable peu amène « d’industrie culturelle », et qui représente 4,2 % du PIB du continent européen et plus de 7 millions d’emplois [1], a ainsi été l’un des secteurs économiques les plus touchés. L’OCDE a constaté une baisse de 5 à 7 % de la consommation culturelle des ménages, estimée par beaucoup d’entre eux comme non prioritaire pendant les périodes de confinement, même si celle-ci s’est tournée vers les « produits culturels » accessibles en ligne ou sur le petit écran. Beaucoup de structures du secteur de la culture se sentent désormais menacées dans leur proche avenir et les personnels qu’elles font vivre habituellement (auteurs, artistes, intermittents, etc.), vont se trouver rapidement, si ce n’est déjà le cas, en situation de précarité.

On peut avoir, en particulier, une pensée pour les deux villes qui avaient été choisies pour être les Capitales européennes de la culture en 2020, Galway en Irlande et Rijeka en Croatie, dont tous les projets et actions de promotion envisagés ont dû être annulés ou reportés à cause d’une crise aussi inattendue que soudaine. La déception doit y être à la hauteur de l’espoir que la distinction européenne suscite généralement dans les villes lauréates qui en attendent des retombées en termes de notoriété comme de ressources touristiques et économiques.

Si l’état des lieux de la vie culturelle est assez sombre en ces temps de sortie de crise sanitaire, force est de constater que les différents pays de l’Union européenne, pour ne retenir qu’eux, n’ont pas été touchés de la même façon et que les autorités de chacun d’entre eux n’ont pas déployé le même arsenal pour y faire face.
Car le premier constat qui s’impose, c’est que faute d’une prise en charge communautaire de la politique culturelle qui n’est, en l’occurrence, qu’une compétence d’appui de l’Union européenne, ce sont les États eux-mêmes qui ont dû, dans ce domaine comme dans bien d’autres (et au premier rang desquels celui de la santé), mettre en place les mesures de soutien à leur économie de la culture. Quelques exemples …
Parmi les pays qui ont le plus souffert de la crise de Covid-19, l’Italie, qui en a, de plus, été la première victime sur le territoire européen, a mis en place rapidement des contre-feux en matière économique et sociale. Le gouvernement italien, contrairement à son homologue espagnol dont la lenteur de réaction a été critiquée par les acteurs de la culture, a notamment accordé une aide de 130 millions d’euros au titre de fonds d’urgence pour aider au sauvetage du secteur audio-visuel, incluant une suspension du paiement des impôts pour les entreprises culturelles. Un autre fonds est chargé de soutenir les auteurs et les artistes et une allocation de 600 euros a été mise en place pour l’ensemble des travailleurs du divertissement.
En Allemagne, pour laquelle les conséquences de la crise sanitaire ont été moindres que pour plusieurs de ses voisins, la position des autorités fédérales en faveur du secteur culturel a été rapidement et fortement affirmée : « La culture n’est pas un luxe, qu’on ne se permet qu’en période faste » a déclaré la ministre allemande de la culture. Des fonds importants (autour de 50 millions d’euros) ont été débloqués en direction des PME du secteur, et des facilités de crédit ont été accordées aux entreprises et aux travailleurs indépendants d’un secteur jugé comme indispensable à l’équilibre de la vie sociale.
En France, les conséquences de la crise se sont révélées également lourdes pour un secteur qui compte pour plus de 2 % de son PIB. Un premier volet d’aides d’urgence avait été  annoncé au moment du confinement, suivi d’un plan d’aide, début mai, en direction du monde de la culture et du spectacle : ce dernier prévoit notamment la prolongation des droits des intermittents à l’assurance chômage jusqu’en août 2021, ainsi que des mesures d’indemnisation, en particulier en faveur des tournages de films annulés.

L’Union européenne a, en plus des mesures générales prises pour soutenir les plans de relance nationaux (avec notamment la suspension de l’application des règles régissant les aides d’État aux secteurs économiques les plus durement touchés par la crise en matière d’emploi), décidé de mesures spécifiques en faveur du secteur de la culture. Ainsi, à l’issue de deux réunions des ministres européens de la culture, en avril et en mai, une demande a été adressée à l’UE afin qu’elle complète les mesures nationales prises par les États, dans « une approche européenne conjointe » pour répondre aux besoins du secteur et donner « un maximum de flexibilité à la réalisation du programme Créative Europe et à son avenir pour les sept prochaines années … « .
Dans le même esprit, la commission de la culture du Parlement européen veut que l’Union européenne s’accorde sur une aide spécifique pour soutenir le secteur face à la crise. Lors d’une discussion avec la Commission de la culture le 4 mai, Mariya Gabriel, commissaire européenne à  l’innovation, la recherche, la culture, l’éducation et la jeunesse, et Thierry Breton, commissaire au marché intérieur, ont déclaré aux députés qu’un plan de soutien de l’UE aux secteurs culturel et créatif était en cours d’élaboration, dans le cadre du plan de relance plus large de l’UE.
La Commission a également soutenu le lancement d’une nouvelle plateforme (Creatives Unite) permettant au secteur culturel et créatif de partager des informations sur les initiatives visant à répondre à la crise des coronavirus.

La culture est bel et bien en souffrance dans les pays de l’Union comme dans le reste du monde mais la crise sanitaire a, peut-être, permis de montrer que ce secteur d’activité, pas tout à fait « comme les autres », était essentiel à la vie sociale. Comme l’a rappelé récemment Deeyah Khan, ambassadrice de l’UNESCO : « Dans cette période, l’art est garant de notre santé émotionnelle ».
L’art et la culture qui doivent, encore plus qu’avant, être au cœur du projet européen.



[1] Chiffres de 2017.

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