L’Europe n’est pas sociale ! Vraiment ?

© Gerd Altmann de Pixabay

Depuis quelques années,  la thématique de l’Europe antisociale s’est estompée au profit de celle, à peine moins outrancière, d’une Europe sans ambition sociale. Au rejet europhobe du projet politique européen, s’est substitué,  un procès eurosceptique en carence sociale. Si l’on en croit les sondages, de nombreux europhiles partagent, peu ou prou, le constat d’une Europe insuffisamment sociale et sont dans l’attente  impatiente d’un approfondissement dans ce domaine.

Mais que faut-il entendre par Europe sociale ?

Interrogée, Mme Merkel, alors chancelière répondait par la définition suivante : « L’Europe, c’est 5 % de la population mondiale, 20 % du PIB mondial et 55 % des dépenses publiques, y compris les dépenses sociales ».

En somme une économie efficace au service des individus. C’est ce que le traité de Lisbonne traduit sous l’expression « économie sociale de marché », à savoir un système fondé sur la compatibilité, mieux encore, la combinaison nécessaire de l’efficacité économique et de la cohésion sociale ou, dit autrement, un équilibre entre prospérité économique et bien-être social.

S’agissant du pilier social, les discours institutionnels mais aussi les analyses universitaires,  avancent la notion de modèle social européen ou encore de modèle de société européenne soulignant par là même une spécificité sociale européenne. Et il est vrai que cette spécificité sociale européenne est vite et, en général, favorablement perçue par les étrangers lorsqu’ils voyagent ou s’installent dans l’Union.

Le « modèle social européen » repose sur plusieurs fondements.

Outre le postulat de base déjà évoqué de l’articulation bénéfique entre économie et société, le modèle social européen repose sur un ensemble de valeurs sociales inscrites dans un texte solennel et possédant force juridique : la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : dignité humaine, liberté, égalité, solidarité, justice, Etat de droit, Droits de l’Homme, démocratie.

Par ailleurs, le modèle se construit sur un ensemble de pratiques qui dictent des comportements :

  • respect des droits sociaux fondamentaux (par exemple le droit de grève) ;
  • protection sociale assurée par des systèmes universels très développés et des mesures de redistribution de la richesse telles que le revenu minimum ou la taxation progressive ;
  • dialogue social avec droit de conclure des conventions collectives ;
  • réglementation du travail par les plafonds en matière d’heures de travail ;
  • responsabilité de l’Etat : avec, par exemple, la prestation de services d’intérêt général et de cohésion sociale et économique.

Enfin, le modèle social européen c’est aussi un cadre législatif communautaire de près de 120 textes juridiques (directives, règlements…) qui constituent l’acquis social communautaire. Cet acquis s’organise en trois grands thèmes : la liberté de circulation des travailleurs, l’emploi et le travail à travers les conditions de travail, l’information et la consultation des travailleurs, la santé et la sécurité au travail et sur l’égalité et l’inclusion  sociale.

Mais si ces composantes du modèle social européen se retrouvent dans tous les pays membres, du fait de l’histoire, de la culture, des traditions nationales mais aussi de niveaux de développement différents, leur traduction varie d’un Etat membre à l’autre, créant des ambiances singulières : ainsi en matière de dialogue social, de recours à la grève, de temps de travail, d’âge légal de départ à la retraite, que de différences, par exemple, entre la France et l’Allemagne. Modèle social européen il y a,  mais décliné nationalement, ce que les spécialistes traduisent par « modèle hybride »,  partiellement européen et partiellement national.

L’Union a défini dans ses traités d’ambitieux objectifs sociaux : amélioration des conditions de vie et de travail, protection sociale adéquate, dialogue social, développement des ressources humaines pour un niveau d’emploi élevé et durable, lutte contre l’exclusion.

Plusieurs acteurs institutionnels œuvrent au service de ces objectifs :

  • la Commission avec en son sein le Commissaire à l’emploi et aux droits sociaux appuyée par la direction générale DG emploi en charge de la politique de l’UE dans les domaines de l’emploi, des affaires sociales, des compétences, de la mobilité des travailleurs et des programmes de financement correspondants de l’UE ;
  • le Conseil (de l’Union) en formation sociale (ministres de l’emploi, de la protection sociale…) ;
  • le Parlement européen avec notamment la Commission emploi et affaires sociales.

Pour atteindre ces objectifs, l’Union intervient dans le champ social selon 4 modes :

  • la règlementation (la législation) dans 3 domaines : la libre circulation des travailleurs, l’emploi et le droit du travail et l’égalité et l’inclusion sociale ;
  • la coordination en facilitant la coopération entre les Etats par le recours à la MOC (Méthode ouverte de coordination) ;
  • la redistribution financière assurée par les Fonds structurels dont le FSE+ ;
  • le dialogue social en encourageant la négociation entre partenaires sociaux au niveau européen.

Cependant cette intervention communautaire est bridée car le social reste principalement une compétence des Etats qui, depuis le début de la construction européenne se montrent fort jaloux de leur souveraineté en matière sociale.

Depuis quelques années, le modèle social européen bénéficie d’une promotion  bienvenue. En novembre 1997, il a été consacré par l’adoption en novembre 1997 par le Conseil européen, du Socle européen des droits sociaux  proposé quelques mois plus tôt par la Commission Juncker. Quatre ans plus tard, en mai 2021, lors du Sommet de Porto, a été validé le plan d’action pour l’application du Socle européen des droits sociaux. La pandémie de Covi-19, en soulignant la pertinence d’une protection sociale appuyée sur la solidarité entre Etats membres fait de l’application du Socle un enjeu européen majeur.

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