
© European Union, 2024 – Bogdan Hoyaux
Conçue pour enrichir la démocratie européenne, l’initiative citoyenne européenne (ICE), une décennie après sa création, reste largement ignorée des citoyens. Est-ce à dire qu’elle ne sert à rien, qu’elle n’est qu’un « gadget démocratique » comme on l’entend souvent ?
L’ICE est l’une des principales innovations introduites par le traité de Lisbonne signé en 2007 et entré en application en 2009. Proposée sans succès par plusieurs Etats-membres dès 1996 dans la perspective du traité d’Amsterdam, reprise mais non retenue dans le projet de traité constitutionnel de 2004, l’ICE a été intégrée dans le traité sous l’action d’organisations de la société civile. Adopté en 2011 par le Conseil et le Parlement, le règlement qui en définit les modalités est entré en vigueur en 2012.
L’ICE permet à des citoyens européens d’inviter la Commission à présenter une proposition d’acte législatif qu’ils jugent nécessaire pour mettre en œuvre les traités de l’Union. Elle constitue un appel direct à la seule institution à posséder le pouvoir de proposition législative. A ce titre, elle obéit à des règles strictes.
- Pour être recevable, l’ICE doit être lancée par un comité composé d’au moins sept citoyens résidant dans au moins sept États différents de l’UE. Le Comité doit procéder à l’enregistrement auprès de la Commission. Celle-ci statue alors sur l’enregistrement, dans les deux mois, après vérification que l’initiative citoyenne européenne concerne bien un domaine relevant de sa compétence et qu’elle porte sur une question pour laquelle les signataires estiment qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités. Cela exclut les propositions « manifestement » abusives, fantaisistes, vexatoires ou contraires aux valeurs de l’Union (égalité femmes/hommes par exemple).
- Une fois enregistrée, l’ICE doit recueillir dans l’année qui suit la confirmation de sa recevabilité par la Commission au moins un million de signatures de ressortissants provenant d’au moins un quart des États membres. Seuls les citoyens européens sont comptabilisés et chaque pays, pour être pris en compte, doit fournir un nombre minimal de signataires fixé au prorata de sa population. Suite à une révision adoptée en février 2024, ce nombre s’établit à 69 120 pour l’Allemagne, 58 5200 pour la France, 4 320 Chypre, Malte ou le Luxembourg.
Instrument sans conteste de démocratie participative, l’ICE remplit-t-elle son rôle ? Depuis 2012, 116 ICE ont été enregistrées par la Commission dont 10 sont en cours de collecte[1], 4 autres devant la débuter sous peu[2]. La très grande majorité, 65 des initiatives citoyennes, ont échoué en raison d’une collecte de soutiens insuffisante[3]. Ainsi en 2023-24, l’initiative « Garantir un accueil digne des migrants en Europe » n’a recueilli que 15 364 signatures. 25 ICE ont été retirées par leurs organisateurs et 23 ont été refusées à l’enregistrement par la Commission.
Parmi les ICE ayant recueilli le million de signatures, 10 ont obtenu une réponse de la Commission. Lancée par des militants anti-avortement, l’ICE « Un de nous » qui demandait l’arrêt des crédits européens finançant le recours à l’avortement dans les pays en développement, a été rejetée par la Commission.
Les 9 autres ICE parmi lesquelles, lancées en 2012 « L’eau, un droit humain», « Stop vivisection », en 2019 « Sauvons les abeilles et les agriculteurs, Vers une agriculture respectueuse des abeilles pour un environnement sain » et, en 2022 « Pas de fourrure en Europe » ont reçu une réponse perçue comme minimale et décevante : ainsi à l’initiative « Interdire le glyphosate » lancée en 2017 et signée par plus d’1,3 million citoyens provenant de 22 Etats membres qui, au nom de la protection de la population et de l’environnement, réclamaient l’interdiction du pesticide, la Commission a répondu par un renforcement du système d’évaluation des pesticides à savoir l’obligation faite aux industriels d’enregistrer et de mettre à disposition du grand public les études scientifiques produites en soutien à leur demande d’autorisation. Mais elle a aussi renouvelé l’autorisation de l’homologation du pesticide pour cinq ans. A l’occasion de cette ICE, les citoyens européens ont d’ailleurs pu apprécier la puissance du lobby agro-chimique notamment auprès de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA).
Face à ce maigre bilan, tant quantitatif (10 millions de citoyens sur la durée et une baisse d’année en année du nombre d’initiatives) que qualitatif (aucune suite véritable aux demandes), des propositions de réforme ont surgi. Dès 2015, et encore en 2017, le Parlement européen a demandé que soit révisé le règlement de l’ICE aux fins de simplification et de soutien financier à l’organisation des initiatives. En septembre 2017, prenant en compte les demandes du Parlement et celles issues d’une consultation publique, la Commission a proposé un nouveau règlement finalement adopté par le Parlement européen et le Conseil au printemps 2019. Entré en application au 1er janvier 2020, le nouveau règlement introduit davantage de souplesse dans l’organisation de la campagne (choix de date, allongement de la période d’examen de l’initiative), de simplification et d’harmonisation pour la collecte de données à caractère personnel (formulaire de collecte), de soutien technique (plate-forme collaborative), de facilité d’accès (abaissement possible de l’âge du signataire à 16 ans).
Comme en atteste la quinzaine de collectes de signatures en cours, l’initiative citoyenne européenne, malgré ses limites, ne peut pas être considérée comme un gadget. Son efficacité relative doit plus à la méconnaissance de son existence. Il n’est pas certain que la « journée de l’ICE », le 8 juin, comme rendez-vous annuel organisé par le Comité économique et social européen suffise à « rapprocher l’Union des citoyens ».
[1] Parmi les ICE en cours de collecte, les plus récemment lancées : « Initiative citoyenne européenne pour la défense de l’agriculture et de l’économie rurale en Europe », « L’Interdiction des pratiques de conversion dans l’Union européenne », « Stop à la destruction des jeux vidéo ».
[2] Ce sont : « Air-Quotas », «Sauver la planète en déplaçant la charge fiscale pesant sur le travail vers les émissions de gaz à effet de serre », « En finir avec les fausses denrées alimentaires: l’origine sur l’étiquette », « En finir avec la cruauté et l’abattage »
[3] C’est notamment le cas de « Tax the rich » lancée en juillet 2023 qui, à la clôture de la collecte le 9 octobre 2024, n’a recueilli que 355.832 soutiens.