L’Initiative des Trois Mers

L’Initiative des Trois Mers (ITM) est un forum qui réunit douze pays européens formant un triangle entre les mers Baltique, Adriatique et Noire.

© JayCoop — Travail personnel, CC BY-SA 4.0,

La Pologne et la Croatie lancent l’Initiative, en 2016[1], qui repose sur une volonté d’émancipation vis-à-vis de la Russie, certains observateurs estimant même qu’il s’agit d’un nouveau terrain d’affrontement majeur russo-américain. Elle veut surtout renforcer la coopération entre ces douze Etats, la plupart de l’ancien Bloc de l’Est : la Pologne, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, l’Autriche, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, la Slovaquie, la Croatie et la République Tchèque.

Objectifs de l’ITM

  • favoriser, dans la région, la connectivité dans l’énergie, les infrastructures de transport, l’environnement et la communication numérique ;
  • stimuler le développement économique, contribuant à la cohésion Est-Ouest et Nord-Sud au sein de l’Union européenne ;
  • faciliter une véritable convergence entre les États membres de l’Union et renforcer l’Union européenne dans son ensemble.

Premier sommet à Dubrovnik en 2016 

A plusieurs reprises, les dirigeants croates et polonais ont rappelé que l’Initiative des Trois Mers s’inscrivait dans le cadre de l’Union européenne, signe de renforcement de son unité et de sa cohésion. La Commission européenne contribue d’ailleurs aux investissements et Jean-Claude Juncker était présent à deux sommets[2].

Deux raisons principales motivent les pays de l’ITM : s’éloigner historiquement d’une Russie trop conflictuelle et insuffisamment tournée vers l’Europe ; se détacher d’une économie trop liée aux énergies russes.

Vers un nouveau pôle d’attraction de l’Union européenne ?

L’initiative peut également être perçue comme une volonté de la part des douze de concurrencer les autres Etats de l’Union européenne. Ce projet traduirait, peut-être, une fracture de plus en plus grande au sein de l’Union européenne entre l’Ouest et l’Est.

D’après certains observateurs, l’ITM n’aurait jamais vu le jour si l’UE avait eu une vraie politique énergétique commune dotée d’une vision stratégique, destinée à garantir la sécurité des approvisionnements des nouveaux entrants d’Europe centrale, libres de toute fourniture en gaz et en pétrole venue de Russie.

Dans le cadre de l’ITM, la Pologne se meut en plateforme de redistribution de gaz naturel en Europe orientale, à partir du gaz de schiste massivement importé d’outre-Atlantique. Mais les douze pays n’ont pas la même position, certains ne voulant pas se mettre totalement à dos la Russie[3]. De plus, la volonté d’isoler la Russie s’oppose aux intérêts directs de l’Allemagne, cette dernière important du gaz russe via le gazoduc Nord Stream ; ce gaz est crucial puisqu’il lui permet de pallier son abandon définitif du nucléaire civil en 2022.  Cependant, dans l’esprit des pays de l’ITM, réduire les revenus russes tirés des richesses énergétiques serait aussi limiter la capacité de la Russie de moderniser son arsenal militaire.

En 2019, un fond d’investissement pour l’ITM a été créé. Le but est de collecter 3 à 5 milliards d’euros pour financer les différents projets énergétiques. La Pologne et la Roumanie ont promis de financer le projet du gazoduc pour 500 millions d’euros chacune.

L’ITM peut aussi être considérée comme un moyen, pour les douze pays, de reprendre en main leur destin politique et de peser collectivement face à l’Allemagne, mais aussi à la France, qu’ils estiment trop éloignées de leurs souhaits fondamentaux de se protéger des Russes jugés expansionnistes, notamment au vu de leur présence militaire subie et menaçante sur plusieurs territoires proches[4].

Enjeu géopolitique majeur 

A son début, l’ITM n’est pas apparue en pleine lumière ; mais, très vite, les États-Unis ont vu une opportunité de concurrencer la Russie en Europe, en ne cachant d’ailleurs pas leur soutien à l’initiative[5] ; Donald Trump était même présent au deuxième sommet, en 2017 à Varsovie[6].

En novembre 2017, la question des migrants a conduit la France, l’Allemagne, la Finlande, la Suède, la Belgique et les Pays-Bas à vouloir conditionner l’allocation de fonds destinés aux pays les plus pauvres de l’Union au respect des valeurs démocratiques fondamentales, en pointant du doigt la Pologne et la Hongrie : un tel fait encourageait plus que jamais l’avancée de l’ITM.

150 milliards d’euros de l’UE ont été investis dans les pays des Trois mers ; ils proviennent du Fonds de développement régional et du Fonds de cohésion, un tiers étant destiné aux projets de connectivité dont 2,5 milliards d’euros pour développer des infrastructures numériques à haut débit dans les zones rurales. La Commission européenne s’avère être un contributeur majeur pour un certain nombre d’investissements.

En février 2020, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, le secrétaire d’américain Mike Pompeo a annoncé le financement de l’ITM à hauteur de 1 milliard de dollars ; il a légitimé cette décision pour “protéger la liberté et la démocratie dans le monde” et en “signe de soutien à la souveraineté, la prospérité et l’indépendance énergétique de nos amis européens”. Le président Trump s’est prononcé contre le projet du gazoduc russe Nord Stream 2 (doublement des quantités de gaz russe exportées vers l’Europe) ; Washington a même pris des sanctions contre les entreprises qui participent à sa construction.

Le 19 octobre dernier, à Tallinn, pour la cinquième année consécutive, les pays de l’ITM se sont retrouvés, en présence de Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne. Trois grands dossiers était en discussion : l’avenir de la région, la pandémie avec ses conséquences économiques et le futur cadre financier de l’UE.

Un levier économique d’envergure a vu le jour dans cette partie de l’Europe, comme en Estonie avec son modèle numérique entièrement dématérialisé, et en Bulgarie, à la pointe des mathématiques, qui a su appâter les grandes entreprises en électronique.

Selon certains observateurs, une politique étrangère bien spécifique serait en train de naître dans les pays de l’ITM : l’Union européenne pour l’économie, l’OTAN (et les États-Unis) pour la sécurité, l’élargissement européen vers les pays des Balkans occidentaux, de l’Europe de l’Est et le Caucase et un nouvel axe entre le Nord et le Sud.

En 2021 la Bulgarie pourrait devenir hôte de l’Initiative des Trois Mers ; le chef de l’Etat bulgare a appelé tous les pays de l’ITM à œuvrer en vue d’amender davantage le Fonds d’investissements et à financer des projets régionaux conjoints.

Sources :


[1] Le projet politique « Intermarium » (« Miedzymorze » en polonais) de Jozef Pilsudski (1867-1935, Chef d’Etat et Premier ministre polonais) est né dans l’entre-deux-guerres et prévoyait de fédérer les pays d’Europe centrale et orientale dans l’espace s’étendant entre ces trois mers. Une telle fédération devait permettre à l’Europe centrale de faire contrepoids à la suprématie de l’URSS et de l’Allemagne et de sécuriser l’indépendance nouvellement acquise par certains pays, face à la menace qui se profilait tant à l’Est qu’à l’Ouest.

[2] En 2018 à Bucarest et en 2019 à Ljubljana. A la fin du sommet slovène, les participants ont adopté une déclaration commune qui reconfirme les objectifs de l’Initiative, le développement économique et le renforcement de la cohésion, de l’unité au niveau d’une future UE égalitaire.

[3] Le gouvernement polonais, dès 2006, en appelait à la création d’une OTAN de l’énergie.

[4] La Serbie, proche de la Russie et candidate à l’intégration européenne, verrait d’un mauvais œil les projets de l’ITM.

[5] La présence continue de forces militaires européennes pour protéger ces pays d’une éventuelle agression russe semble être de peu de poids face aux promesses d’engagement américain massif.

[6] La préférence marquée de la Pologne pour l’achat de matériels militaires américains plutôt qu’européens a été perçue par certains membres de l’UE comme inamicale et profondément anti-européenne.

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