L’Union européenne, une communauté de valeurs

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Au nom de quoi, la Russie poutinienne agresse-t-elle l’Ukraine ? La dénonciation du capitalisme financier et monopolistique, le combat contre les inégalités sociales mondiales qui se creusent ? Non ! au nom de la défense des « vraies valeurs » face à une Europe dont la propagande russe ne cesse de dénoncer le caractère « dégénéré ». Au nom de quoi la jeunesse iranienne brave-t-elle le régime des mollahs qui fait tirer sur elle ? Au nom de la liberté pour tous et en particulier pour les femmes. Et que dire de la Chine où l’utilisation des technologies de surveillance les plus sophistiquées étouffent les libertés fondamentales dont Pékin ne cesse de proclamer, bien avant Xi Jinping qu’elles ne sont pas asiatiques. Les dirigeants de ces trois Etats et de beaucoup d’autres sur la planète soit plus de la moitié des 193 membres onusiens, frappés d’amnésie, oublient qu’en leur temps, leurs pays respectifs ont apposé leur signature au bas de deux textes qui les engagent : la Charte des Nations Unies adoptée à San Francisco en juin1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à Paris, le 10 décembre 1948.

L’Union européenne, en matière de valeurs développe auprès des 27 Etats membres  une forte exigence car, contrairement à ce qui l’on entend encore trop fréquemment, l’Union européenne est une communauté de valeurs et ne se réduit pas à un projet économique de marché unique.

Art 3 alinéa 1 du traité sur l’Union européenne (TUE) : « L’Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples ».

Les valeurs sont donc, à la fois un fondement et une finalité du projet européen.

Pourtant ces valeurs de l’Union, ont mis du temps à émerger. Leur définition et leur adoption ont été tardives.  Jusqu’en 1992, la Communauté européenne s’est appuyée sur le Conseil de l’Europe et ses valeurs inscrites dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ou Convention européenne des droits de l’homme CEDH) de 1950. Si ces valeurs transparaissaient dans la législation UE mais aussi, dans la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, elles n’étaient pas officiellement proclamées. Avec les traités de Maastricht (1992) et d’Amsterdam (1997), l’UE devient une communauté de valeurs et de principes intégrés dans l’acquis communautaire. En 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne égrène les 6 valeurs universelles qui constituent le socle de la construction européenne : dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice.

Les valeurs de l’Union européenne figurent à l’art 2 titre I du TUE : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Ces valeurs se déclinent en droits fondamentaux du citoyen inscrits depuis 2000, dans une déclaration des droits : la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette charte constitue un apport majeur pour les citoyens européens :

– elle rassemble en un texte clair et compréhensible les droits existants mais jusqu’ici disséminés dans différents textes ;

– elle enrichit la liste des droits de l’homme en Europe dans des domaines nouveaux (bioéthique ou protection des données à caractère personnel) ;

– elle améliore la protection des droits fondamentaux par une énumération détaillée de ces droits ;

– enfin, la Charte, bien qu’annexe du traité de Lisbonne a force juridique contraignante et peut être invoquée par le citoyen devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Cependant la Charte des droits fondamentaux présente des limites et ne constitue pas une garantie de respect absolu des droits fondamentaux du citoyen de l’UE ;

– sa portée juridique est strictement encadrée.  Les dispositions ne concernent que les institutions et organes de l’Union, ainsi que les États membres mais uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ;

– des pays, Pologne et République tchèque, ont demandé et obtenu un régime dérogatoire à son application ;

– enfin, si l’Agence européenne des droits fondamentaux créée en 2007 (siège à Vienne), travaille à protéger et à promouvoir les droits fondamentaux, elle n’est pas habilitée à traiter des plaintes individuelles, ni à prendre de décisions règlementaires, ni à surveiller la situation des droit fondamentaux dans les Etats membres.

Si les valeurs de l’Union et les droits afférents n’ont, durant deux décennies, fait l’objet d’aucune contestation interne, la situation change au début des années 2010 avec le retour au pouvoir en Hongrie du Fidesz, parti conservateur et populiste dirigé par Orban et quelques années plus tard, en 2015, en Pologne le retour au pouvoir, du parti Droit et justice (PiS) de Kaczyński. Se fait alors entendre crescendo, la musique de l’illibéralisme : remise en cause de l’Etat de droit, restriction des libertés fondamentales, réduction des contre-pouvoirs  et  mesures discriminatoires, autant de violations du droit européen  assumées et validées majoritairement par les deux peuples.

Aux deux gouvernements en infraction avec les engagements pris lors de leur adhésion, l’UE oppose le texte des traités qu’ils ont signés. Ainsi l’article 7 du TUE stipule que, sur proposition de la Commission, du Parlement ou d’un tiers des Etats membres, le Conseil statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres, peut constater qu’il existe un  risque clair de violation grave. Puis, à l’unanimité, il peut constater l’existence d’une violation grave et persistante et, étape suivante, il peut décider, à la majorité qualifiée, de suspendre certains droits du pays concerné, « y compris les droits de vote » au sein du Conseil. On le voit, avec une telle procédure, la probabilité de sanction effective est pratiquement  nulle[1]1.

Pour échapper à l’inefficience des procédures juridiques, l’Union a adopté en 2021 un règlement sur la conditionnalité liée à l’Etat de droit. Au motif que les violations des principes de l’Etat de droit peuvent porter atteinte aux intérêts financiers européens, l’Union, par «  le règlement  relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union », se donne la possibilité de suspendre, de réduire ou d’interdire l’accès d’un État membre aux financements de l’UE.  Avec un tel instrument, on  quitte le terrain politique et moral de la défense des valeurs pour celui financier du versement des fonds européens. Sur demande de la Commission faite en avril 2022, le mécanisme a été activé pour la première fois en décembre 2022 contre la Hongrie qui se trouve ainsi privée de 6,3 milliards d’euros gelés dans l’attente de mesures correctives. En février 2024, la Commission a annoncé que « les efforts déployés par la Pologne pour rétablir l’état de droit ouvrent l’accès à des fonds de l’UE pouvant atteindre 137 milliards d’euros ».

 

[1] Le vote du constat de l’existence de l’infraction à l’unanimité du Conseil moins le pays incriminé, assure au couple polono-hongrois une quasi impunité par protection réciproque. Cela explique que les procédures engagées contre la Pologne en 2017et la Hongrie en 2018 n’aient toujours pas abouti.