« Rêver l’Europe », un hors-série de la revue Zadig

La parution, en avril dernier, à deux mois du scrutin européen du 9 juin 2024, « scrutin majeur pour l’avenir du continent européen », d’un hors-série d’un magazine français consacré à l’Europe ne constitue pas en soi une surprise. Et pourtant, le titre choisi par la revue Zadig et la chaîne de télévision Arte avec qui elle a collaboré, « Rêver l’Europe », peut apparaître comme quelque peu provocateur dans une ambiance européenne morose et dans un débat pré-électoral français qui a laissé bien peu de place aux enjeux réellement européens.

L’initiative toutefois ne surprend pas de la part de deux médias dont les choix éditoriaux ont toujours affirmé une ouverture d’esprit et une attention particulière à « ce qui rapproche », selon le mot des deux éditorialistes, Eric Fotorino, fondateur et directeur de Zadig et Bruno Patino, président d’Arte. Ce numéro est donc né de leur volonté commune de contribuer au débat et d’offrir, citons-les encore, « une vision ouverte et désirable de ce cher et vieux continent ». De « rêver » l’Europe en quelque sorte.

Ce numéro de Zadig, est, à l’évidence, un numéro éclectique et « pluriel », d’abord par les thèmes abordés, essentiellement culturels et politiques, dans les quatre parties de l’ouvrage.

Le sujet de la guerre et de ses conséquences sur l’avenir du continent européen, bien sûr, dont l’actualité fournit à l’écrivain ukrainien Andreï Kourkov l’occasion de réaffirmer la nécessité pour son pays d’intégrer à terme l’Union européenne, et à l’historien Xavier Mauduit, de retracer le long cheminement, depuis l’Abbé de Saint-Pierre [1] jusqu’au discours de Louise Weiss devant l’assemblée de Strasbourg en 1979, de l’idée que la paix ne peut advenir que par un rapprochement entre les peuples ; le sujet également de l’avenir politique de la construction européenne : Emily Aubry y aborde, dans l’esprit de son émission Le dessous des cartes, la question des frontières de l’Europe et de ses élargissements éventuels, et l’écrivain autrichien Robert Ménasse y développe, lui, la crainte d’un effondrement de l’Union européenne du fait de la montée des populismes ; la question du Brexit est abordée dans un article intitulé « La vie après la PAC » et l’écologie y est présente dans les clichés de la photographe polonaise Andrea Olga Mantovani de la dernière forêt primaire d’Europe… Un numéro par ailleurs agrémenté de nombreux dessins et illustrations.

Une pluralité qui se décline aussi dans la variété des approches journalistiques : des interviews de personnalités et de citoyens européens notamment sur leur sentiment d’appartenance et sur leur identité, identité souvent «  façonnée par l’Europe » ; des récits et reportages également confiés à des journalistes ou des écrivains comme celui écrit par François-Henri Désérable sur les traces du Brave Soldat Švejk de Jaroslav Hašek dans la République Tchèque d’aujourd’hui, ou celui de Sylvie Dauvillier dans les pas de l’écrivain Javier Carceras en Catalogne…

Une approche qui ne laisse de côté aucun des grands domaines de la culture européenne, vécus comme autant de points d’ancrage de l’identité européenne : on y va au cinéma avec Wim Wenders ou le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako qui invite l’Europe à « mieux reconnaître le monde autour d’elle » ; on y visionne des séries européennes, témoignages de premier plan sur l’état des sociétés de notre continent ; on y écoute aussi les tubes du Concours de l’Eurovision et ses désormais habituelles dissonances géopolitiques…

Une approche des plus européennes, enfin, tant le chœur de cet ensemble est composé, outre celles connues des journalistes d’Arte notamment, de voix venues de tous les pays du continent. Ce rêve d’une Europe de la culture sans frontières était d’ailleurs celui de l’écrivain autrichien Stefan Zweig qui, dans les années 30 déjà, imaginait, « que des conventions internationales seraient nécessaires qui permettraient aux étudiants d’obtenir la reconnaissance d’un semestre ou d’une année d’étude dans une université étrangère » [2]… Une vision prémonitoire du programme Erasmus de la part d’un intellectuel qui rêvait aussi d’une « revue européenne » !

Un rêve que réalise avec brio ce hors-série de Zadig

 

 

[1] Auteur de Projet pour la paix perpétuelle en Europe en 1713.

[2] Texte d’une conférence de 1932 dont un extrait est cité dans la revue.