
© Sofia CORRADI
Nous avons appris, le 17 octobre dernier, la mort de Sofia Corradi. Le nom de cette Italienne n’est probablement pas un de ceux qui nous sont les plus familiers, même pour les passionnés que nous sommes d’histoire de la construction européenne. Les « Pères de l’Europe » étaient tous des hommes [1] et Sofia Corradi n’est pas non plus une de ces femmes qui ont joué un rôle politique majeur au sein du Parlement européen comme ont pu le faire Simone Veil ou Nicole Fontaine. C’est par une voie quelque peu détournée que cette juriste et enseignante est entrée dans le cercle restreint des personnalités qui ont inspiré les politiques européennes. Le domaine dans lequel elle s’est imposée n’est pourtant pas un des moindres puisqu’il s’agit de celui de l’éducation.
Une entrée qui tient pour une part au hasard de son destin personnel et pour beaucoup à sa détermination.
Comment Sofia Corradi est-elle devenue « Mamma Erasmus » ?
A la fin des années 50, cette brillante étudiante en droit est partie, grâce à une bourse américaine, compléter sa formation dans l’université Columbia de New-York. A son retour, et à sa grande déception, elle a dû recommencer son année d’étude car son université romaine ne lui reconnaissait ni l’équivalence de cette formation ni la validité de son diplôme américain. Sofia Corradi a pris conscience à ce moment-là que si elle avait eu, elle, la possibilité matérielle d’étudier à l’étranger, ce n’était pas du tout le cas pour des étudiants et étudiantes moins favorisés. Cela a été le point de départ d’un long combat.
Devenue par la suite, en Italie, une universitaire de renom dans le domaine des sciences de l’éducation, elle militera en effet pour faciliter les échanges entre étudiants de pays européens différents. Pour cela, avec l’aide précieuse de Franck Biancheri qui, à la tête du Bureau des élèves de Sciences-Po Paris, avait créé, en 1984, la première association d’étudiants européens, AEGEE-Europe (Association des Etats Généraux des Etudiants Européens), elle parviendra à convaincre François Mitterrand (contre l’avis de son premier ministre d’alors, Jacques Chirac) de proposer au Comité de l’Europe des Citoyens le programme d’échanges qui, en 1987, deviendra Erasmus. Celui-ci dispose d’un budget de 85 millions d’écus pour la période 1987-1989 (il avoisine aujourd’hui les 5 milliards d’euros). L’action de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, a été elle aussi déterminante.
Erasmus [2], devenu en 2021 Erasmus +, est considéré aujourd’hui par une large majorité de l’opinion européenne comme une des plus grandes réussites de l’UE.
Une occasion de dire une nouvelle fois merci, au nom des milliers d’étudiants européens qui ont pu bénéficier non seulement de la reconnaissance de leurs séjours de formation et de leurs diplômes obtenus hors de leur pays d’origine, mais de cette mobilité, source d’enrichissements culturels inestimables, à celle qui en a été l’initiatrice.
[1] Nous invitons nos lecteurs à se reporter à la récente série d’émissions de la Maison de l’Europe – Europe direct Limousin consacrée, sur l’antenne de RTF, aux grandes figures de la construction européenne, dont les figures féminines, et accessible en podcast sur notre site.
[2] Il n’est pas inutile de rappeler que ce programme, qui fait évidemment référence à l’humaniste néerlandais du XVème siècle, Erasme, est un acronyme : « EuRopean Community Action Scheme for the Mobility of University Students ».