La nouvelle politique agricole commune, « un désastre » ! Vraiment ?

©EC – Audiovisual Service – Etienne Ansotte

La nouvelle PAC, fruit d’un compromis difficile à forger, fait l’objet, en France notamment, de critiques sévères,  parfois outrancières[1]. Dossier complexe car  multidimensionnel, la nouvelle politique agricole commune mérite  l’attention des citoyens.

Fin novembre 2021, le Parlement européen a validé à une large majorité la réforme de la PAC dont la négociation entamée en 2018,  a été rendue difficile par l’importance des enjeux : économique, le tiers du budget communautaire ; social , 70 % de l’enveloppe en aides directes aux agricultures ; environnemental,  fin décembre 2019,  l’annonce du Green deal de la nouvelle commission von der Leyen. Cette nouvelle PAC, fruit d’un compromis entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil, condamnée violemment par certains, mérite analyse.

La PAC 2023-2027 est présentée par les institutions comme devant être « plus verte, plus juste et davantage fondée sur les résultats ».

« Plus verte » : c’est la dimension écologique. Deux nouveautés sont censées répondre aux exigences du Pacte vert :

  • d’une part, un renforcement de la conditionnalité pour les aides directes par des exigences accrues au titre des bonnes pratiques agricoles et environnementales comme par exemple la rotation des cultures désormais obligatoire pour les exploitations d’au moins 10 hectares avec des exceptions (prairies, agriculture biologique). Autre exemple, l’obligation pour les exploitations de consacrer au moins 4 % de leurs terres à des surfaces non productives d’intérêt écologique, comme les haies, les mares ou la jachère. Ce seuil est abaissé à 3 % pour les exploitations qui consacrent d’importantes surfaces aux cultures de plantes fixatrices d’azote comme les légumineuses ;
  • d’autre part, des programmes écologiques, dénommés « éco-régimes », en soutien des pratiques agricoles respectueuses du climat et de l’environnement, comme l’agriculture biologique, l’agroforesterie ou l’agriculture de précision, ainsi que l’amélioration du bien-être animal. Un quart des paiements directs qui relèvent du 1er pilier de la PAC sera alloué à ces éco-régimes dont l’enveloppe sera complétée par des crédits du 2eme pilier de la PAC, le développement rural et cofinanceront ainsi des mesures agroenvironnementales et climatiques. Les objectifs environnementaux pour 2030, sont inscrits dans 2 « stratégies » : le programme « De la ferme à la table » (Farm to fork)[2] vise à réduire l’utilisation de pesticides, d’engrais, d’antibiotiques pour l’élevage… et le programme pour la biodiversité préconise un gel de 10 % des terres à la production.

« Plus juste », c’est la dimension sociale. Cette dimension n’est pas évidente si  l’on en juge par l’inégale répartition des aides directes au profit des grandes exploitations maintenue par le refus du Conseil de rendre obligatoires le plafonnement et la dégressivité des aides directes.  Par ailleurs, malgré l’augmentation à 3 % du budget de la part d’aides directes réservées aux jeunes agriculteurs,  la concentration des terres et l’agrandissement des grandes exploitations risquent de se poursuivre. Cependant, il faut noter que pour la première fois, la PAC s’attaque aux abus constatés dans des exploitations employant une importante main d’œuvre, surtout saisonnière.

« Davantage fondée sur les résultats », c’est la dimension économique. Pour  gagner en efficacité et en simplification, une plus grande marge de manœuvre est rendue aux Etats membres  comme étant les mieux à même d’adapter les mesures aux conditions locales. C’est une réactivation du principe de subsidiarité pour une politique agricole qui a cessé d’être, depuis le traité de Lisbonne, une compétence exclusive de l’Union. Chaque Etat membre élabore un plan stratégique national dans lequel il renseigne sur l’utilisation qu’il fait des fonds européens pour remplir les objectifs de l’Union notamment en termes de revenus des agriculteurs, de sécurité alimentaire et bien entendu, de développement durable. Cette responsabilité conférée aux Etats que certains assimilent à une « renationalisation » laisse craindre une remise en cause du caractère communautaire de la PAC.

S’agissant des marchés, après deux décennies de dérégulation et alors que la volatilité des prix agricoles reste grande, plusieurs décisions renforcent l’organisation commune de marché :

  • face aux crises, activation simplifiée des mesures de gestion de crise, suivi de tous les secteurs par les observatoires européens  des marchés  agricoles, supervision des marchés  vis-à-vis  de  la spéculation  financière  et  création  d’une  réserve de crise dotée d’au moins 450 millions d’euros par an ;
  • par ailleurs, extension à l’ensemble des produits bénéficiant d’une AOP (Appellation d’origine protégée, l’équivalent de l’AOC – Appellation d’origine contrôlée française-) ou d’une IGP (Indication géographique protégée) de la possibilité de gérer collectivement une production via un organisme chargé de la définition, de la protection et du contrôle, possibilité actuellement limitée à quelques produits sous AOP ;
  • enfin élargissement à tous les secteurs agricoles du soutien aux organisations de producteurs, qui a fait la preuve de son efficacité pour les fruits et légumes.

Comme les précédentes, la PAC 2023-2027 n’échappe pas à la controverse : deux points font débat. Les opposants, écologistes et gauche parlementaire déplorent le refus des Etats de prendre en compte des objectifs environnementaux proposés par la Commission comme la baisse de 50 % des pesticides ou la mise en bio d’un quart des terres. Ils dénoncent un verdissement en trompe l’œil, un greenwashing ou éco-blanchiment obtenu selon eux par le lobbying forcené du comité des organisations professionnelles agricoles européennes (COPA-cogeca) et des industriels de l’agrochimie. Pour la droite et le centre parlementaire, un équilibre plutôt satisfaisant entre l’économique et l’environnemental a été trouvé.

Par ailleurs, certaines voix s’inquiètent de la latitude laissée aux Etats dont les plans stratégiques nationaux risquent de faire de la PAC, une politique qui n’aura de commune que le nom. Ce que réfutent d’autres qui soulignent qu’il s’agit de prendre en compte les spécificités physiques, historiques des terroirs mais en maintenant un cadre européen.

Alors, la nouvelle PAC, « un désastre », non ! Un défi pour les agriculteurs assurément.


[1] M. Bompard, eurodéputé Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL) (LFI), 19 novembre 2021, dans Reporterre,

[2] La traduction littérale de Farm to fork, « De la ferme à la fourchette », est aujourd’hui le plus souvent remplacée par De la ferme à la table.

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