La régulation des géants du numérique, ça marche !

© Tracy Le Blanc via Pexels

Le 15 décembre 2020, la Commission européenne par les voix de Margrethe Vestager, la vice-présidente de la Commission chargée de la concurrence et de Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur, a présenté un plan visant à réguler les  géants du numérique, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). A partir du constat que « l’Internet ne peut rester un Far West », la Commission avance deux projets de règlement qui révisent la « directive e-commerce » de 2000 1.

Le premier projet, le règlement sur les services numériques ou Digital Services Act (DSA) concerne la régulation des contenus en ligne, images, textes ou vidéos.

Le deuxième projet, le règlement sur les marchés numériques ou Digital Markets Act (DMA), concerne la régulation en matière de  concurrence.

Depuis un an, les co-législateurs, Parlement et Conseil, se sont emparés des deux propositions sur fond de lobbying intense des géants du numérique et, fin décembre 2021, les négociations en trilogue (Parlement, Conseil et Commission) ont débuté, fortement encouragées par la France dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union.

Si les discussions achoppent encore sur le DSA, le 24 mars 2022, un accord a été  trouvé sur le DMA présenté par le secrétaire d’Etat français au numérique, Cédric O, comme  « la régulation économique la plus importante de ces dernières décennies ».  

Le Digital Markets Act (DMA), porte sur la concurrence dont le libre-jeu est menacé par une dizaine d’entreprises parmi lesquelles les GAFAM. Jusqu’à aujourd’hui, l’Union intervient a posteriori, en aval des pratiques anticoncurrentielles, par l’imposition de sanctions d’efficacité limitée. Avec le DMA, la garantie de l’ouverture du marché doit être assurée, ex ante, en amont, par l’instauration de règles de marché. Parmi ces règles, la portabilité des données doit permettre aux utilisateurs de changer de plateforme et l’interopérabilité doit rendre les services des plateformes compatibles avec ceux d’autres firmes. Par ailleurs, la Commission souhaite imposer aux plateformes des règles spécifiques en termes de transparence de leurs algorithmes et d’utilisation des données privées qu’ils recueillent. L’objectif est d’interdire certaines pratiques telle la pré-installation de certaines applications ou services comme chez Apple ou le fait d’avantager sur le marché ses propres produits créant des situations de monopole comme chez Amazon.  Il s’agit aussi, sans remettre en cause la puissance des platesformes, de veiller au respect des règles du jeu concurrentiel en Europe, par exemple en supervisant les acquisitions de firmes en Europe. Ces nouvelles règles sont assorties de sanctions :  jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires pour de graves infractions à la concurrence et, dans les cas extrêmes, un démantèlement se traduisant par l’obligation de céder des activités en Europe. Les obligations et interdictions qui découlent du  DMA concernent les plateformes incontournables pour accéder à un marché (moteur de recherche, services de réseau social, entreprises de vente en ligne, intermédiation…) : ce sont les gatekeepers ou « contrôleurs d’accès ». Bien que la Commission n’ait pas voulu dresser une liste nominative et s’en soit tenue à donner les critères de qualification2, il est déjà possible d’identifier une vingtaine de plateformes « structurantes » : en font partie  les Gafam américains, mais aussi des entreprises chinoises Alibaba ou ByteDance (TikTok).

L’accord du 24 mars 2022 reprend pour l’essentiel le projet de la Commission avec toutefois deux nouveautés obtenues par le Parlement européen. Une plateforme ne pourra utiliser les données personnelles à des fins de publicité ciblée qu’avec le consentement de l’utilisateur et les services de messagerie (Messenger, Instagram, WhatsApp, et iMessage et leurs concurrents moins puissants), devront assurer l’interopérabilité des services c’est-à-dire permettre aux utilisateurs d’envoyer des messages, fichiers… d’une application vers une autre. Autre changement, le critère financier de qualification de «contrôleur d’accès » passe de 6,5 à 7,5 milliards de chiffre d’affaires ou 75 milliards de valorisation boursière.  

L’accord trouvé doit maintenant être adopté formellement par le Parlement et le Conseil avant d’entrer en vigueur quelque six mois plus tard soit à l’automne 2022. D’ici là, les GAFAM vont œuvrer pour atténuer les effets de l’application de ce premier texte de régulation de leur activité dans l’Union européenne.

 


  1. Un règlement européen est un acte juridique de portée générale et obligatoire dans tous ses éléments. Les États membres sont tenus d’appliquer ses dispositions de manière directe et immédiate.
  2. L’entreprise a un impact significatif sur le marché intérieur dans 3 Etats membres au moins, dépasse 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires au cours des trois dernières années ou de 65 milliards de valorisation boursière, exploite une plateforme passerelle importante (45 millions d’utilisateurs actifs/mois dans l’UE et 10 000 utilisateurs professionnels par an) et bénéficie d’une position bien établie et durable sur le marché.

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