La relation franco-allemande, « moteur » de l’Union européenne

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Si la construction européenne débute dans les années 1950, le socle du projet est posé à la fin de la décennie 1940 : il s’agit de la réconciliation de la France et de l’Allemagne. Chimérique au lendemain de la guerre, elle devient évidente quand la politique de fermeté pratiquée par la France dans la zone d’occupation que lui ont concédée les Anglo-saxons en 1945, montre ses limites. Conçue pour empêcher la renaissance de la puissance allemande, outre qu’elle provoque des tensions avec les « occupés », cette politique froisse les Américains attachés à favoriser le relèvement économique allemand d’autant plus que les relations se dégradent avec l’URSS à partir de 1947. Le blocus de Berlin (juin 1948-mai 1949) condamne la politique française à l’impasse : la menace n’est plus allemande mais soviétique, elle concerne l’Allemagne occidentale qu’il convient de faire renaître politiquement, – création de la RFA le 24 mai 1949 – et dont il faut accélérer la reconstruction économique. Pour la France, il s’agit d’intégrer l’Allemagne dans une organisation de solidarité européenne politique et économique. Ce tournant de la politique française s’inscrit dans une offre célèbre de « main tendue à l’Allemagne » : la déclaration Schuman du 9 mai 1950, acte de réconciliation et de naissance de la Communauté européenne.

Lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir en mai 1958, compte tenu de l’opposition gaulliste virulente à la CECA, à la CED bien sûr, et à la CEE, l’incertitude est grande quant à l’avenir de l’Europe communautaire. Mais dès septembre, le chancelier Adenauer en visite à Colombey-les-Deux-Eglises reçoit l’assurance de la poursuite de l’engagement français dans le projet européen et noue avec son hôte une relation personnelle forte. Dans les mois et années qui suivent, de Gaulle multiplie les gestes appréciés en Allemagne notamment en 1962 lors d’un voyage au cours duquel il prononce un fameux discours à la jeunesse allemande. Pourtant, sur le projet européen, la mésentente est réelle : si de Gaulle admet que les institutions européennes ont un intérêt technique certain, il refuse toute idée de supranationalité considérant que « l’Europe supranationale c’est l’Europe sous commandement américain ». La proposition française d’une politique étrangère et d’une défense communes sur une base de coopération intergouvernementale portée par les plans Fouchet en 1961 et 1962, est retoquée. Après le départ d’Adenauer, les divergences s’accentuent avec les successeurs : veto français à la candidature britannique (en 1963 et 1967) et surtout crise de la chaise vide en 1965.

Pourtant paradoxalement, cette mésentente sur l’Europe provoque une intensification de la relation franco-allemande. Le 22 janvier 1963 la signature du traité de coopération franco-allemand, Traité de l’Elysée ou encore « traité d’amitié » ouvre une ère de coopération large et approfondie dont l’un des symboles forts s’appelle l’OFAJ (Office franco-allemand de la jeunesse).

Bien que conscient de la nécessité de relancer le projet européen, le rapport à l’Allemagne de G. Pompidou,  successeur du général de Gaulle, est plus distant.  La politique allemande d’ouverture vers l’est (Ostpolitik) du chancelier social-démocrate W. Brandt et le différentiel de puissance économique entre les deux pays, inquiètent. Néanmoins la coopération notamment culturelle, s’approfondit et face aux crises du début des années 1970 (dévaluation du dollar, guerre du Kippour et 1er choc pétrolier), la France et l’Allemagne montrent une solidarité européenne qui infirme la thèse longtemps répandue d’une crise du couple franco-allemand.

Durant les vingt années qui suivent les présidences « gaullistes », la relation franco-allemande s’incarne dans deux « couples » au service de l’intégration européenne.

Le premier couple est formé du Français V. Giscard d’Estaing, élu président de la République en mai 1974 et d’H. Schmidt qui succède à W. Brandt à la Chancellerie. Les deux hommes, l’un de droite, l’autre de gauche ont, en tant que ministres des finances de leur pays, travaillé ensemble notamment pour créer en 1972 le serpent monétaire européen.  La compréhension et la concertation entre eux sont totales : « Jamais rien sans la France » déclare le chancelier allemand. « Correction absolue » répond en écho le président français. Durant ces 7 années, des décisions majeures sont prises : en 1975, le FEDER (Fonds européen de développement régional), principal instrument financier de la solidarité régionale voit le jour ; en 1979 après de longues négociations est créé le SME (Système monétaire européen avec l’ECU pour unité de compte européenne). Dans le domaine politique, en 1974, sur proposition française, la création du Conseil européen soit la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement et, en 1976, l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct.

Le deuxième couple est constitué de F. Mitterrand, socialiste élu à la présidence de la République en 1981, réélu en 1988 et d’H. Kohl, conservateur qui succède à H. Schmidt en 1982 et reste à la chancellerie jusqu’en 1998. Treize ans de complicité parfois de forte intensité politique comme lorsqu’en 1983,  le président français devant le Bundestag en soutien du chancelier plaide pour le déploiement de missiles américains sur le territoire allemand. Plus encore, le 22 septembre en 1984, lors de la cérémonie pour les victimes de guerre, à l’ossuaire de Douaumont, lorsque les 2 hommes main dans la main réalisent le geste de Verdun devenu iconique. Treize ans durant lesquels, si des désaccords existent comme sur la guerre en ex-Yougoslavie, les deux hommes œuvrent au service de l’intégration européenne : 1986 avec J. Delors, l’Acte unique ; 1992, l’Union européenne avec le traité de Maastricht et à terme la monnaie unique ; 1987, Erasmus ; 1988, le Haut Conseil culturel franco-allemand, 1989, la création de la Brigade franco-allemande sans oublier 1992, Arte.

Après le départ de F. Mitterrand, plus que de couples, il s’agit de binômes de durée limitée. De 1995 à 1998, date de la défaite électorale de H. Kohl, la relation est moins fluide notamment en raison de la cohabitation Chirac-Jospin. De 1999 à 2005, J. Chirac et G. Schröder (SPD) affichent des divergences d’appréciation sur plusieurs dossiers comme le grand élargissement ou la PAC. Pourtant, ils se retrouvent pour refuser la guerre américaine en Irak en 2003.

A partir de 2005 et jusqu’en 2021, la chancelière Merkel a affaire à 4 présidents français successifs de tempérament fort différent. De 2005 à 2007, avec J. Chirac très affaibli en Europe par le ‘non’ français au traité constitutionnel, si les rapports sont chaleureux, l’ambition européenne est limitée.

A partir de 2007 et jusqu’en 2012, avec N. Sarkozy, c’est le choc permanent des styles : « Elle pense, j’agis ».  Et les critiques et les désaccords sont souvent bruyants : refus allemand de participer à l’intervention militaire en Libye en 2011, décision allemande unilatérale de sortie du nucléaire. Pourtant, face à la panne politique européenne, entente sur le traité de Lisbonne ; face à la crise économique et financière, entente sur le Pacte budgétaire européen : et, bientôt, la presse parle de Merkozy.

En 2012, l’arrivée au pouvoir de F. Hollande, un socialiste aux propositions iconoclastes comme la révision du Pacte budgétaire ne soulève pas l’enthousiasme en Allemagne. Et pourtant, une fois la méfiance initiale surmontée, des compromis sont trouvés comme sur le dossier grec, la collaboration opère comme sur le dossier ukrainien et la solidarité s’exprime au lendemain des attentats à Paris.

En 2017, avec l’élection d’E. Macron, la chancelière est confrontée au volontarisme européen du nouveau président : discours de la Sorbonne en 2017, projets multiples comme un budget spécifique pour la zone euro, taxe sur les GAFAM. Affaiblie politiquement, elle répond par un attentisme prudent. Pourtant  elle accepte de réitérer le geste d’amitié de janvier 1963 en signant 56 ans plus tard le traité d’Aix-la-Chapelle. Surtout, face à la crise sanitaire, elle se rallie à l’idée d’un emprunt européen au service de la relance et, ce faisant, elle redonne au moteur franco-allemand toute sa puissance d’entraînement.

Depuis un an, un nouveau binôme franco-allemand est aux affaires. Sauf à surinterpréter, il paraît difficile, à ce jour, de douter de la volonté d’E. Macron et d’O. Scholz d’assumer ensemble le rôle de moteur européen.

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