La République tchèque : un petit pays, une grande culture

Tête pivotante de Kafka – Prague

C’est un paradoxe qui s’impose lorsque l’on s’intéresse à la culture tchèque : la République tchèque, pays d’une dizaine de millions d’habitants seulement, enserré dans cette Europe centrale déchirée entre Occident et monde slave, peut se prévaloir d’une des cultures européennes les plus riches et les plus connues en Europe.

Côté patrimoine, ce pays dont le nombre de châteaux par habitant est le plus élevé au monde et qui ne compte pas moins de huit cents musées, est d’une richesse confondante. Sa capitale, Prague, avec ses nombreux ponts qui enjambent la Vtlava, cette rivière que le compositeur Bedřich Smetana a chantée dans un poème symphonique qui porte pour titre son nom allemand, la Moldau, est l’une des plus belles villes du continent européen. Elle est d’ailleurs la 5ème ville la plus visitée d’Europe.

Une culture marquée par un passé tourmenté et par les tensions qui ont agité au cours des siècles les deux principales provinces de Bohême et de Moravie, tiraillées entre diverses influences, entre catholicisme et protestantisme, entre monde slave et monde occidental. Des régions soumises au cours de leur histoire, et particulièrement des deux derniers siècles, à de puissantes dominations étrangères : celle de l’Empire austro-hongrois jusqu’à la première Guerre mondiale, puis après l’occupation et le démantèlement en 1939, celle de l’Allemagne nazie ; celle enfin du bloc soviétique suite au Coup de Prague de 1948.

Ces situations de soumission ont beaucoup influé sur la création artistique et intellectuelle. En littérature c’est d’abord le choix de la langue qui ne va pas de soi : des écrivains de renom au premier rang desquels l’auteur de La Métamorphose et du Procès, Franz Kafka, qui, s’il parle tchèque, écrit ses livres en allemand, sa langue natale. Ce sera en allemand que seront aussi publiés les poèmes de Rainer Maria Rilke, lui aussi pragois de naissance, et qui deviendra l’un des poètes majeurs du début du XXe siècle.

La langue tchèque sera, par contre, celle qu’utiliseront deux écrivains importants de la même période : le premier, Jaroslav Hašek, est le créateur d’un personnage devenu mythique dans son pays et qui s’est fait une réputation internationale, le Brave Soldat Chveik, sorte d’anti-héros candide qui porte sur la société tchèque soumise aux autorités austro-hongroises au moment de la première Guerre mondiale un regard faussement naïf ; le second, Karel Čapek, est surtout un auteur de science-fiction et lui aussi un observateur critique et ironique qui n’hésite pas à tourner en dérision l’intolérance religieuse ou le national-socialisme dont son pays sera victime en 1938, après que les accords tristement célèbres de Munich ont donné à Hitler la possibilité de conquérir tout le pays sans tirer un coup de feu. Čapek a eu à ce propos cette phrase terrible : « Les Tchèques n’ont pas été vendus, ils ont été donnés pour rien. »

Sous l’ère communiste, ce seront deux écrivains qui subiront les pressions du régime. Milan Kundera, d’abord membre du parti, en sera chassé du fait de ses prises de position et choisira finalement de s’exiler en France où il vit depuis 1975. Le romancier à la veine elle aussi noire et ironique de L’Insoutenable légèreté de l’être et de La Valse aux adieux, est également l’auteur, en 1983, d’un texte intitulé L’Occident kidnappé dans lequel il affirme l’occidentalité de la culture tchèque accaparée par le pouvoir communiste. Václav Havel, lui, auteur reconnu de pièces de théâtre, s’est forgé la réputation d’un intellectuel militant contestataire du régime en participant activement au Printemps de Prague, brutalement réprimé en 1968. Il occupera, après la chute du bloc soviétique, le poste de président de la Tchécoslovaquie puis de la République tchèque.

Ce sont les mêmes tracasseries et censures qui pousseront un cinéaste majeur à fuir son pays natal pour trouver refuge aux Etats-Unis et y poursuivre une brillante carrière. Il s’agit de Milos Forman, le réalisateur de Vol au-dessus d’un nid de coucou et d’Amadeus.

Un cinéma tchèque, qui paradoxalement, connaîtra son heure de gloire après-guerre dans un genre inattendu, le cinéma d’animation, auquel il apportera une créativité et une intelligence qui en font encore la renommée.

L’autre grand domaine de la culture tchèque, c’est évidemment celui de la musique dans lequel se sont illustrés de nombreux compositeurs, au premier rang desquels Antonín Dvořák, l’auteur de la célèbre Symphonie du Nouveau Monde qu’il crée lors d’un séjour aux Etats-Unis dans les années 1890, intégrant dans sa musique les influences qu’il a recueillies lors de son voyage, comme il avait intégré dans d’autres de ses œuvres, dont l’opéra Rusalka, celles de sa propre culture. Comme Bedřich Smetana avant lui et comme le feront, au XXe siècle, les compositeurs Leoš Janáček ou Bohuslav Martinů, Dvořák s’inspire beaucoup de la musique populaire et du folklore tchèques.

Ces compositeurs, très imprégnés de leur culture nationale, connaîtront néanmoins, comme l’ont aussi connu les artistes, écrivains ou cinéastes dont nous avons parlé, une réelle notoriété et pour certains une authentique gloire dans cette Europe dont ils se revendiquent et qui, selon les mots de Kundera, représente pour eux « non un phénomène géographique, mais une notion spirituelle, synonyme du mot Occident ».

 

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