La « taxe carbone » aux frontières de l’Union européenne

© Hans de Pixabay

Le 15 mars, les ministres de l’Economie et des Finances “sont parvenus à un accord sur le projet de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières” (MACF ou CBAM en anglais) ou encore taxe carbone aux frontières. Le 22 juin, les eurodéputés ont arrêté leur position : la négociation institutionnelle peut commencer pour une entrée en application le 1er janvier 2023.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a pour objectif de réduire le bilan carbone de l’UE lié aux entreprises qui exportent vers l’Union. Par la taxation aux frontières, il s’agit de soumettre les entreprises situées dans des pays tiers aux mêmes normes environnementales que celles imposées aux entreprises présentes sur le territoire européen dans le double but d’éviter d’importer des biens dont la production accélère le réchauffement climatique et de dissuader des entreprises européennes de transférer leurs émissions en délocalisant leurs activités à l’étranger.

L’idée d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est déjà ancienne.

En 1991, un an avant le Sommet de la Terre de Rio, la Commission européenne avait proposé une « écotaxe européenne » sur l’énergie. Mais devant l’opposition de plusieurs Etats membres, la proposition fut écartée au grand dam du Commissaire européen à l’énergie de l’époque[1]. Dans ces années de libéralisme triomphant la conviction s’imposait que l’autorégulation et la régulation par le marché sont plus efficaces que la coercition et le contrôle étatique.

En 1995, une nouvelle et timide tentative de la Commission échoua et, deux ans plus tard, à Kyoto, l’Union affaiblie accepta les mécanismes de flexibilité imposés par les Etats-Unis et parut renoncer à son ambition de leader climatique mondial.

Prenant en compte les divisions internes, l’UE opta en 2005 pour une solution qui,  tout en respectant ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris à Kyoto, n’entamerait pas la souveraineté fiscale et énergétique des Etats : la création d’un marché d’échange de quotas carbone. Mais cet outil présenté comme l’instrument central de la politique environnementale européenne présentait une limite majeure : il ne concernait que les entreprises implantées dans l’Union européenne.

Malgré l’insistance française permanente depuis 2008, il faut attendre 2014 pour que le thème resurgisse sous impulsion française au Parlement européen. En 2019, la taxe carbone aux frontières s’invite dans la campagne des européennes, du moins en France.

En décembre 2019, à trente ans de distance, c’est le retour et bientôt l’inscription à l’agenda de la nouvelle Commission, de l’écotaxe devenue le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières[2].

En juillet 2021, dans le paquet législatif Fit-for-55 (« Ajustement à l’objectif 55 »), feuille de route climatique de l’Union visant une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 pour une neutralité climatique en 2050, la Commission avance douze propositions parmi lesquelles figure une taxe carbone aux frontières. Au vrai, pour des raisons techniques et juridiques,  la Commission écarte la taxation en tant que telle au profit d’un mécanisme d’ajustement accolé au marché carbone qui fonctionnera donc parallèlement au système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE). Les importateurs de marchandises provenant de pays tiers seront tenus d’acheter auprès des autorités nationales des certificats, à un prix indexé sur celui du CO2 européen. Seront touchés, dans un premier temps, les produits primaires : le fer et l’acier, l’aluminium, le ciment, les engrais et l’électricité.

Pour comptabiliser les émissions de CO2 des entreprises concernées et ainsi déterminer le nombre de certificats à leur attribuer, les exportateurs des pays tiers transmettront les informations requises aux importateurs de l’Union. En cas de défaut d’informations, les importateurs pourront appliquer les référentiels les plus exigeants. Il reste à déterminer qui, de la Commission ou des Etats, gèrera le registre des importateurs déclarants.

Deux questions, à ce jour, sont encore sans réponse et devront être tranchées en trilogue :

  • il s’agit, d’une part, des quotas d’émission carbone gratuits accordés aujourd’hui aux entreprises européennes de secteurs en concurrence vive ou  affrontant une conjoncture difficile pour les dissuader de délocaliser leur production et réduire ainsi les risques de fuite de carbone. Si, à l’exception des industriels des secteurs concernés, les décideurs politiques sont d’accord pour supprimer ces quotas, il y a divergence sur le calendrier : le Parlement européen le souhaite plutôt resserré (entre 2027 et 2032), le Conseil plus lâche (entre 2026 et 2035) ;
  • par ailleurs, la destination de la nouvelle ressource européenne estimée à 1 milliard d’euros annuels n’a pas encore été arrêtée. La Commission a proposé que les ¾ de cette recette nouvelle alimentent le budget européen et servent au financement du plan de relance de 750 milliards d’euros adopté à l’été 2020. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières participerait ainsi à l’autonomisation budgétaire de l’UE.

Une fois le trilogue Parlement, Conseil et Commission achevé, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est censé entrer en application au 1er janvier 2023 avec une période de transition jusqu’à la fin 2025 durant laquelle les importateurs déclareront les émissions importées mais seront exemptés de paiement.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, une des pièces centrales du Pacte vert, inaugure-t-il une nouvelle politique commerciale de l’Union ?

Avec le MACF, l’Union vise à rééquilibrer ses échanges commerciaux et à protéger la compétitivité de ses entreprises. Avec le MACF, l’UE cherche à imposer ses normes environnementales aux entreprises étrangères et à encourager les pays tiers à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Mais, selon ces pays tiers  (Chine, Brésil, Inde…), avec le MACF, l’UE verse dans le protectionnisme et enfreint les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Par là même, elle renonce au libre-échange dont elle a été jusque-là l’un des plus fervents défenseurs.

A ces critiques, l’UE oppose que ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières parce qu’il est au service de la préservation de l’environnement constitue une des exceptions générales prévues dans les règles de l’OMC. Par ailleurs, loin de fausser la concurrence, il la favorise en touchant à égalité l’ensemble des entre- prises opérant sur le marché européen.

« Une révolution idéologique »[3] ? Sans doute pas, mais comme l’a déclaré Ursula von der Leyen, « la fin de l’Europe naïve ».


[1] En signe de protestation, Carlo Ripa di Meana refusa de représenter l’Union à Rio

[2] Porté par le président français, le projet a été repris par la nouvelle Présidente Ursula von der Leyen pourtant originaire d’un pays jusque-là hostile.

[3] Pour l’eurodéputé français PPE F.-X. Bellamy.

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