L’Union européenne et la Russie

© Christian Dorn de Pixabay

Depuis le XVIIIe siècle et la fixation de la limite symbolique entre Europe et Asie sur le fleuve Oural par Tatichtchev, géographe de Pierre le Grand, la Russie affirme son européanité sans cesser cependant de s’interroger sur son rapport à l’Europe.

Dès ses débuts, la construction européenne est combattue par l’URSS et ses satellites, pays et partis frères dont le Parti Communiste Français (PCF). En 1951, la naissance de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) est condamnée au nom du refus de toute idée d’intégration européenne. En 1957, la Communauté économique européenne (CEE) est présentée comme étant une courroie de transmission du grand capital au service de l’exploitation de la classe ouvrière et dans l’affrontement politique et militaire de la Guerre froide comme un instrument complémentaire de l’OTAN au service de l’impérialisme américain.

Pourtant, avec la détente, des années 1960 jusqu’au début des années 1980, des relations épisodiques et bilatérales sans implication de la CEE en tant que telle,  s’établissent entre pays de l’ouest européen et pays du bloc soviétique. L’idée d’un partenariat entre CEE et URSS se développe. Il faut cependant attendre l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev en 1985 pour que des relations officielles débutent entre la CEE et le CAEM (Conseil d’assistance économique mutuelle) en 1988 et pour que, l’année suivante, soit signé entre la CEE et l’URSS, un Accord de commerce et de coopération.

L’URSS cesse d’exister fin décembre 1991. L’Union européenne développe alors une stratégie visant à proposer aux États post-soviétiques un contrat implicite : en échange de l’adhésion aux valeurs européennes et de réformes économiques libérales, les États européens accorderont une forme d’association accompagnée d’une assistance économique dans le cadre d’accords de partenariat et de coopération (APC).

Le partenariat avec la Russie discuté à partir de 1992 comporte un volet politique avec référence à des valeurs communes et un volet économique sous la forme d’un programme d’assistance. Conclu en 1994, l’accord n’entre en application que fin 1997 en raison de divergences sur les valeurs démocratiques.

La première guerre de Tchétchénie en décembre 1994, malgré une réaction bien timorée des Européens, aboutit à une mise à l’écart de l’UE par la Russie. L’impuissance de la Russie dans les Balkans et plus précisément au Kosovo convainc les autorités du  pays de la nécessité de restaurer un Etat fort et respecté et, pour « ne pas mettre tous les œufs dans le seul panier occidental », de se tourner vers l’Asie et la Chine.

La deuxième guerre de Tchétchénie, d’août 1999 à juin 2000, avec Poutine aux commandes, confirme l’incapacité occidentale à européaniser la Russie, qui, dans sa « Stratégie à moyen terme pour le développement des relations entre la Fédération   de Russie et l’UE (2000-2010) », ne fait plus aucune référence aux valeurs communes.

Néanmoins, au début des années 2000, Russie et UE ne se tournent pas vraiment le dos. Pendant plus d’une décennie, en dépit de son élargissement en 2004, 2007 et 2013 à 11 pays ex-communistes, l’UE n’est pas considérée par Moscou comme une menace pour les intérêts russes, à la différence de l’OTAN élargi.  Mieux, UE et Russie mettent en place un partenariat stratégique dans plusieurs domaines : le commerce, l’économie, l’énergie, le changement climatique, la recherche, l’éducation, la culture, la sécurité, y compris la lutte contre le terrorisme, la non-prolifération nucléaire et la résolution des conflits au Proche-Orient. Par ailleurs, l’Union européenne pousse pour l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) achevée en 2012. Malgré des moments de tensions, en 2000, suite aux bombardements en Tchétchénie et en 2008, avec la guerre en Géorgie, le partenariat tient. Mais un dossier va changer la donne : le dossier ukrainien.

A la fin de l’année 2013, suite au refus du gouvernent ukrainien de signer l’accord d’association avec l’UE au profit d’un accord avec la Russie, débute Euromaïdan, des manifestations proeuropéennes à Kiev. Le mouvement de protestation émaillé en février 2014 de violences avec plusieurs dizaines de morts à la clé, débouche le 22 février 2014 sur la révolution de Maïdan ou révolution de la Dignité et sur la chute du président ukrainien prorusse. Convaincu que la révolution de Maïdan est orchestrée par les Occidentaux, le président russe, en plus de soutenir les séparatistes de la région du Donbass à l’est du pays, procède en mai 2014 à l’invasion et bientôt à l’annexion de la Crimée. En réponse, l’UE s’associe aux sanctions internationales qui frappent alors la Russie : ces sanctions économiques et financières qui ciblent des personnalités et des entreprises sont reconduites sans discontinuer tous les six mois d’autant que les tentatives d’accord négocié entre la Russie et l’Ukraine par l’entremise de la France et de l’Allemagne (format Normandie) échouent à installer la paix.

Pour Poutine, l’UE devenue un adversaire doit être affaiblie. Il convient d’encourager les forces centrifuges qui la travaillent en jouant d’une panoplie d’outils :

  • l’arme énergétique avec le projet de North Stream 2 en coopération avec l’Allemagne au détriment des Etats Baltes et de la Pologne ;
  • les relais d’influence à l’étranger : jusqu’en 2012 plutôt en Europe occidentale via d’anciens responsables politiques (Schröder) puis, et de plus en plus, par l’intermédiaire de dirigeants en poste dans les pays d’Europe centrale et orientale (Orban en Hongrie, Zeman en Tchéquie..) avec l’espoir que ces pays travailleront à gripper la machine institutionnelle européenne.
  • la propagande au travers de campagnes de désinformation (télévision Russia Today depuis 2005) notamment en direction des populations russophones, de relations publiques avec le relais de forces politiques bénéficiant de financement russe et, bien sûr, avec les réseaux sociaux.
  • la pression militaire principalement sur le théâtre baltique : à coups de manœuvres militaires en périphérie des Etats baltes qu’il s’agit de démoraliser et d’isoler de leurs alliés européens.

Quelque huit ans plus tard, alors que les relations russo-ukrainiennes n’ont pas cessé de se dégrader, la Russie, au printemps 2021, place l’Ukraine sous pression et, après des semaines de tensions extrêmes, le 24 février 2022, les troupes russes envahissent l’Ukraine sans déclaration de guerre. A cette agression d’un pays indépendant par un des membres permanents du Conseil de sécurité, à ce titre garant de l’intégrité des Etats membres de l’ONU, les pays occidentaux dont les 27 pays de l’Union unanimes répondent par de nouvelles sanctions visant à affaiblir la base économique de la Russie[1]. Par ailleurs, l’UE finance pour partie l’effort de guerre ukrainien et des Etats membres fournissent de l’armement au pays en évitant la situation de cobelligérance.

Si, parmi ses buts de guerre en Ukraine, la Russie cherchait à désunir l’Union européenne, force est de constater qu’à ce jour elle a échoué. Mais il n’est pas dit que, jouant  sur un éventuel affaiblissement du soutien des opinions publiques au sein de l’Union européenne lié aux difficultés économiques engendrées par la guerre, le calcul soit définitivement ruiné. N’entend-on pas des forces politiques en France réclamer l’abandon des sanctions ?[2].

Alors que la guerre russe se poursuit avec son cortège d’atrocités, de violation des droits humains et de négation des valeurs européennes, il faudra beaucoup de temps et d’efforts pour reconstruire un partenariat entre la Russie et l’Union européenne au sein de laquelle aura pris place l’Ukraine.


[1] Du 23 février à la fin juillet 2022, sept trains de sanctions ont été adoptés www.consilium.europa.eu

[2] Marine Le Pen, le 2 août,  « Ces sanctions ne servent strictement à rien, si ce n’est de faire souffrir les peuples européens et accessoirement le peuple français » Le Monde, 4 août 2022.

Répondre