Le bilan de la présidence française du Conseil de l’Union européenne

Yann Caradec via Wikimedia Commons

Conformément au calendrier de l’Union européenne, la France a exercé, du 1er janvier au 30 juin 2022, la présidence du Conseil de l’UE. Cette 13ème présidence est intervenue 14 ans après la précédente. Elle a succèdè à celle de la Slovénie et devance celles de la République tchèque et de la Suède.

Le programme de la présidence française, intitulé « Relance, puissance, appartenance », s’était fixé trois ambitions :

  • un nouveau modèle européen de croissance pour faire de l’Europe un grand continent de production, de création d’emplois, d’innovation et d’excellence technologique conciliant développement économique et ambition climatique ; un continent qui soutienne l’innovation et la croissance des acteurs européens du numérique tout en définissant ses propres règles pour le monde numérique ; un continent qui propose aux travailleurs des emplois de qualité, qualifiés et mieux rémunérés.
  • une Europe plus souveraine par le renforcement de l’espace Schengen, la protection de ses frontières, la maîtrise des migrations et une politique d’asile améliorée dans le respect de ses valeurs et de ses engagements internationaux ; par une Europe plus forte et capable d’agir en matière de sécurité et de défense ; par son action pour la prospérité et la stabilité de son voisinage, en particulier par son engagement dans les Balkans occidentaux et la refondation de sa relation avec l’Afrique ; enfin par sa contribution à la réponse aux enjeux globaux.
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  • une Europe à taille humaine à l’écoute des préoccupations de ses citoyens dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe ; une Europe qui défende l’État de droit et soit fidèle à ses valeurs ; une Europe fière de sa culture, confiante dans la science et le savoir, déterminée à combattre les discriminations et engagée pour l’avenir de sa jeunesse.

Cette présidence du Conseil de l’Union européenne a dû tenir compte des échéances électorales en France avec l’élection présidentielle des 10 et 24 avril, et elle a surtout été bouleversée par la guerre en Ukraine, déclenchée par l’agression russe du 24 février.

La réponse européenne à l’agression russe en Ukraine

Le souhait du président Emmanuel Macron de construire « une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin » s’est trouvé brutalement d’actualité avec le retour de la guerre en Europe. Une réponse rapide, unie et forte a été mise en place avec l’adoption de sanctions sans précédent à l’encontre des responsables russes et de leur capacité à financer le conflit et avec des mesures d’urgence en soutien à l’Ukraine, à travers un appui militaire inédit, l’activation de la protection temporaire pour les réfugiés, une assistance financière directe et indirecte, la synchronisation du réseau électrique ukrainien au réseau européen. Au Sommet de Versailles, les 10 et 11 mars, un travail urgent a été mené pour accélérer la réduction des dépendances européennes, en particulier dans le domaine de l’énergie (gaz, pétrole), dépendances qui sont très fortes dans certains États membres (Allemagne). La Commission a fait au mois de mai des propositions concrètes visant à réduire de deux tiers cette dépendance énergétique d’ici la fin de l’année 2022. De même, un effort de rattrapage des investissements dans le domaine de la défense a été décidé, généralisant ainsi les décisions prises en ce sens dans plusieurs États membres. Au-delà du conflit en Ukraine, le projet de boussole stratégique qui vise à définir les grandes orientations de sécurité et de défense européennes jusqu’en 2030, a été adopté le 25 mars lors du Conseil européen réuni à Bruxelles.

Un agenda ayant permis des avancées en matière commerciale, climatique et numérique

Des instruments législatifs majeurs ont été adoptés dans trois domaines :

  • En matière commerciale, l’instrument de réciprocité dans l’accès aux marchés publics a fait l’objet d’un accord complet le 14 mars 2022, après 10 ans de négociations. Il permettra de limiter l’accès aux appels d’offres européens pour les entreprises de pays hors-UE n’offrant pas aux entreprises européennes des conditions similaires d’accès à leurs marchés publics.
  • En matière de transition écologique, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières proposé par la Commission européenne en 2019, a fait l’objet d’un accord politique le 15 mars 2022. Son principe est celui d’une « taxe carbone » qui impose un surcoût aux marchandises extérieures qui ne respectent pas les mêmes normes que dans l’UE. Ainsi, Il garantira des règles du jeu loyales entre toutes les entreprises qui commercent sur le marché intérieur, et il incitera les États non-européens à mener une politique climatique plus ambitieuse. En outre, un accord au Conseil le 17 mars a acté la constitution d’une filière européenne de production de batteries, qui renforce la dynamique en faveur de l’économie circulaire, de l’excellence technologique et de la réindustrialisation de l’Union.
  • En matière numérique, la législation sur les marchés numériques (le « Digital Markets Act ») a fait l’objet d’un accord complet le 24 mars : c’est le premier cadre de régulation de ces marchés au monde, qui va permettre de mettre fin aux pratiques déloyales de certaines entreprises numériques qui imposent leurs propres règles. La présidence française a par ailleurs poursuivi ses efforts sur le deuxième grand chantier législatif relatif aux services numériques (le « Digital Services Act »), qui doit assurer une meilleure responsabilisation des grandes plateformes numériques concernant les contenus qu’elles diffusent (harcèlement, pédopornographie, vente de produits interdits…). La propagande autour de la guerre en Ukraine démontre que c’est aussi une nécessité démocratique et stratégique.

Autres avancées : Europe sociale, relations internationales, Europe citoyenne et état de droit 

Le « nouveau modèle de croissance » repose en partie sur la qualité des emplois et des salaires proposés aux Européens. Un accord entre le Conseil et le Parlement a été trouvé le 6 juin sur la directive relative aux salaires minimums. Elle invite les États membres à favoriser les mécanismes d’indexation et les négociations collectives afin d’atteindre un niveau « adéquat » garantissant « une vie décente ». Une autre avancée majeure en matière d’égalité entre les femmes et les hommes a été obtenue avec l’approbation par le Conseil le 14 mars de la proposition de directive, bloquée depuis 10 ans, visant à assurer une meilleure participation des femmes dans les conseils d’administration des entreprises. En revanche, les discussions sur la proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs de plateformes n’ont pas encore abouti.

Au niveau des relations avec le continent africain, un sommet réunissant les dirigeants de l’Union européenne et de l’Union africaine s’est tenu à Bruxelles les 17 et 18 février. Il a permis d’avancer sur plusieurs sujets comme la stratégie vaccinale contre le Covid-19 en Afrique, le déploiement d’un plan d’investissement de 150 milliards d’euros et la mise en place d’une coopération en matière de sécurité. Il a été suivi le 22 février par le premier Forum entre l’Union européenne et les pays de l’Indopacifique, afin de structurer les actions dans cet autre espace stratégique.

Dossier bloqué depuis la crise de 2015, le pacte migratoire européen a connu une avancée avec les ministres de l’Intérieur de l’UE qui ont approuvé le 10 juin à Luxembourg un « mécanisme volontaire de solidarité » avec les pays dits de première entrée (Italie, Grèce) permettant 10.000 relocalisations de demandeurs d’asile dans sa première année. La présidence tchèque doit faire avancer d’autres textes sur le sujet au second semestre. Le Conseil a également approuvé les mandats de négociation avec le Parlement européen sur deux règlements : le règlement Screening qui introduit un filtrage aux frontières extérieures afin de procéder rapidement à des vérifications d’identité, de sécurité et de vulnérabilité sanitaire et le règlement Eurodac qui permet d’ajouter aux prises d’empreintes les paramètres biométriques de tout demandeur d’asile de manière à détecter les demandes multiples d’un État membre à l’autre.

Concernant l’élargissement de l’UE, le discours d’Emmanuel Macron devant le Parlement européen à Strasbourg le 9 mai 2022, proposant aux pays non-membres de s’unir dans le cadre d’une « communauté politique européenne », a refroidi les rêves d’adhésion de l’Ukraine et des pays des Balkans occidentaux. Ces derniers sont largement influencés par l’action de puissances étrangères (Russie, Chine, Turquie).

L’ambition d’une « Europe à taille humaine » s’est concrétisée lors de la conclusion le 9 mai de la Conférence sur l’avenir de l’Europe par la remise d’un rapport articulé autour de 49 propositions visant à réformer l’UE, propositions qui s’appuient sur des recommandations formulées par des citoyens. En décembre dernier, Emmanuel Macron avait estimé que cet exercice de consultation citoyenne devait être « le début d’un élan refondateur », n’excluant pas une possible “refonte des traités”. L’ « humanisme européen » passe aussi par la défense de l’Etat de droit. Le nouveau mécanisme conditionnant le versement des fonds de l’Union européenne au respect de ses valeurs, adopté en décembre 2020, a été validé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 16 février dernier. Son déclenchement contre la Pologne a cependant été mis en veille suite à l’accueil par ce pays de plusieurs millions de réfugiés ukrainiens

Avec l’éclatement de la guerre en Ukraine, la PFUE a été une présidence de crise, réactive et solidaire. La vision française d’un renforcement de la souveraineté européenne en sort confortée, mais au niveau de la défense de l’Europe, le rôle de l’Otan demeure incontournable.

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