Le Pacte vert de la Commission von der Leyen

Le 11 décembre 2019, dix jours seulement après l’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne, sa présidente a présenté le Pacte vert pour l’Europe ou Green deal. Pendant deux heures, Mme Ursula von der Leyen a exposé sa vision de l’avenir et le programme écologique qu’elle entend suivre pendant les cinq années de son mandat. « Aujourd’hui, il s’agit de réconcilier l’économie avec la planète » a-t-elle déclaré.

L’objectif est de faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone en 2050. A cette fin, la présidente a avancé « 50 actions à horizon 2050 » pour la transition écologique. Les propositions législatives, plans d’actions, stratégies, orientations, concerneront des secteurs variés : l’énergie, l’industrie, les transports, l’agriculture, les sols, l’eau, la recherche, le commerce, etc. La présidente a annoncé que l’Union consacrera, à terme, le quart du budget à la transition écologique. L’objectif sera inscrit dans la loi climat en mars 2020 et d’ici octobre, la Commission sous le pilotage du premier vice-président Frans Timmermans, proposera une trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pour atteindre cette neutralité en trois décennies. Cela implique de réduire les émissions de carbone d’ici 2030 de 50 à 55 % au lieu des 40 % prévus.

Mme von der Leyen a fait du Pacte vert, « la stratégie de croissance de l’UE ». A ce titre, toutes les législations européennes devront intégrer désormais les objectifs du pacte.

Pour la mise en œuvre du Green deal, l’Union peut actionner plusieurs leviers :

  • le premier consiste en une réforme de la fiscalité énergétique européenne annoncée pour la mi-année 2021. Il s’agira d’étendre le marché européen du carbone avec échange de quotas à de nouveaux secteurs tels le transport maritime et peut-être le transport aérien mais on ne parle plus d’une taxe sur le kérosène !
  • un deuxième levier réside dans la lutte contre le dumping environnemental de pays extracommunautaires ne respectant pas l’accord de Paris. Si l’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’UE paraît abandonnée, la Commission propose d’inscrire les futurs accords de libre-échange dans le cadre du green deal.
  • enfin, dernier levier, les politiques sectorielles devront intégrer le Pacte vert. Ce sera le cas de la PAC. Bien que l’on ne connaisse pas encore les moyens budgétaires qui seront alloués à l’agriculture, pour la période 2021-2027, la Commission a fait savoir que 40 % du budget de la PAC devra contribuer à l’action climatique. Seront aussi concernés les transports avec l’objectif d’une réduction de 90 % des émissions de GES en 2050 ; le secteur de la construction avec une nouvelle proposition en matière de rénovation des logements pour une plus grande efficacité énergétique des bâtiments. Enfin dans le domaine de l’industrie qui représente près de 20 % des émissions totales, la Commission veut décarboner les secteurs énergivores (sidérurgie textile..) et lutter contre l’utilisation massive de microplastiques.

La mise en œuvre du Pacte vert doit surmonter plusieurs difficultés.

  • La première difficulté est technique. Il convient de déterminer ce qu’est une activité durable ou verte ou éco activité.  En matière énergétique, par exemple, il est évident que le charbon n’est pas une « activité » verte à l’inverse des énergies renouvelables ! Mais pour d’autres énergies, comme le gaz ou le nucléaire, c’est moins évident ! Pour fonctionner, le Pacte vert a donc besoin de s’appuyer sur  un langage et un référentiel communs des éco activités. Il faut opérer une classification ou taxonomie des activités durables qui apporte clarté et transparence. Cet outil est indispensable pour la suite à plusieurs tires : il rendra plus aisée la mise en place dans les Etats membres d’une fiscalité verte ; en favorisant la transparence, au moins pour les grandes entreprises, il limitera les possibilités de « green washing » dit aussi  « éco blanchiment »[1] ;  mais, surtout, cette classification permettra d’orienter les investissements qu’ils soient privés ou publics  au profit d’activités vertes. Le 16 décembre, les Etats membres ont adopté le projet de classification présenté par la Commission : les éco activités seront réparties en 3 catégories : les purement vertes neutres en carbone, les activités en transition et celles qui rendent possible la transition[2].
  • La deuxième difficulté est financière. Il va falloir trouver entre 260 et 300 milliards € annuels publics et surtout privés pour financer les deux volets de la transition : l’ajustement et l’investissement. Afin de ne  « laisser personne derrière », la Commission  a décidé la création d’un Fonds pour une transition juste qui permettra d’aider les régions dont l’économie est la plus dépendante du carbone. Cela concerne 41 régions situées dans 12 États membres et cela représente près de 450 000 emplois directs[3]. Le Fonds pour la transition juste sera doté de 100 milliards € pour la période 2021-2027. Mais  il n’y a pas accord sur la manière d’abonder ce fonds : certains pays comme l’Allemagne souhaitent que les 8 à 10 milliards annuels soient pris sur les fonds de cohésion ce que d’autres pays, grands bénéficiaires de ces fonds, comme la Hongrie ou la Pologne refusent catégoriquement. S’agissant du financement du plan d’action en tant que tel, la Commission propose un plan d’investissement de 1 000 milliards € sur 10 ans. Il devrait combiner plusieurs approches : un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui pourra prendre la forme d’une taxe carbone sur les produits importés dans l’Union ;  une mobilisation de la finance publique avec à terme  25 % du  budget total européen dédié au climat et à l’environnement et une implication  forte  d’acteurs publics,  notamment la Banque européenne d’investissement reconvertie pour partie en banque européenne du climat ; enfin, grâce à un environnement réglementaire rendu plus favorable, une incitation forte aux entreprises à investir dans les technologies et des activités vertes.
  • Une dernière difficulté, politique celle-là, tient à la résistance active que ne manqueront pas d’opposer les acteurs des secteurs économiques touchés mais aussi des responsables politiques. Car si cette ambition de neutralité carbone en 2050 est appuyée par les parlementaires européens, à l’exception des députés d’extrême-droite, elle ne fait pas consensus parmi les Etats. Ainsi, au lendemain de l’annonce du plan, trois pays, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie ont exprimé leur désaccord avec un objectif qu’ils jugent inatteignable dans les régions d’extraction du charbon sauf à obtenir des garanties sur le recours au nucléaire. Mais au sein de l’Union, d’autres Etats, comme l’Autriche, le Luxembourg sans oublier l’Allemagne prônent l’abandon du nucléaire. En décembre 2019, après deux jours d’intenses négociations, les trois pays réfractaires ont adopté l’accord : sans restriction pour la République tchèque et la Hongrie ; avec une réserve pour la Pologne qui « à ce stade, n’a pas pu s’engager sur la mise en œuvre de l’objectif ».

Axe prioritaire de son programme, la transition écologique doit permettre à l’Union européenne « de prendre le leadership sur la scène mondiale ». A la condition d’obtenir l’adhésion de tous les Européens. A cet égard, les années 2020 et 2021 seront déterminantes.


[1] Une pratique qui consiste pour l’entreprise, à faire du marketing et de la communication à partir d’arguments écologiques dans le but de se donner une image éco-responsable, souvent très éloignée de la réalité.

[2] Il reste maintenant  au collège d’experts désignés à établir les listes d’ici à la fin 2021 ce qui compte tenu des intérêts nationaux ne sera pas facile notamment pour l’industrie.

[3] La Pologne est l’Etat membre qui compte le plus grand nombre de mines de charbon (35) et ce charbon compte pour 84 % du mix énergétique national. Le coût de la transition pour ce pays est estimé à 80 milliards € d’ici à 2030.

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