Institué en 1988, le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit est remis chaque année par le Parlement européen à des personnes, des associations ou des organisations en lutte contre l’oppression, l’intolérance et l’injustice. Il tient son nom du scientifique russe Andreï Sakharov, l’un des inventeurs de la bombe soviétique mais aussi militant de la Paix et des Droits de l’Homme et l’un des principaux dissidents du régime communiste.
Après le Peuple ukrainien l’année dernière, Alexandre Navalny en 2021, l’opposition biélorusse en 2020 et le dissident ouïgour Ilham Tohti en 2019, c’est encore dans l’actualité dramatique du non respect des Droits de l’Homme dans le monde que le Parlement européen est allé chercher le lauréat de cette édition 2023. Une lauréate en l’occurrence. Et, pour la deuxième fois dans l’histoire du Prix [1], c’est à titre posthume que ce dernier a été décerné cette année à Mahsa Amini et, à travers elle, au mouvement iranien Femme Vie Liberté.
Jina Mahsa Amini, jeune femme iranienne de 22 ans, est en effet décédée le 13 septembre 2022 des suites des violences qu’elle avait subies à l’issue de son arrestation dans une rue de Téhéran pour ne pas avoir respecté correctement les conditions du port du voile imposées par le régime islamique.
Cette mort a déclenché immédiatement et pendant de longues semaines des manifestations massives dans le pays, jusqu’à semer le trouble chez un pouvoir iranien surpris de l’ampleur de la protestation. Une protestation qui s’est vite répandue dans de nombreux pays et qui, si elle émanait des femmes iraniennes, a été suivie par une grande partie de la population contre les règles imposées par les autorités politiques et religieuses encadrant le port du voile et sous le slogan de « Femme, Vie, Liberté », donnant à ce mouvement le caractère beaucoup plus large d’une révolte démocratique. Cette dimension a été rapidement perçue par le pouvoir de Téhéran qui a aussitôt engagé contre les manifestantes et manifestants une répression des plus féroces.
Le 12 décembre dernier, c’est dans l’hémicycle du Parlement européen de Strasbourg que la Présidente Roberta Metsola a décerné le Prix Sakharov, non à la famille de la défunte lauréate qui, comme cela s’était produit deux jours plus tôt avec le refus de laisser Narges Mohammadi se rendre à Oslo pour y recevoir son Prix Nobel de la Paix, n’a pas été autorisée à quitter le territoire iranien.
Ce sont donc un proche de la famille de Mahsa Amini, en l’occurrence son avocat Saleh Nikbakht, ainsi que Afsoon Najafi et Mersedeh Shahinkar, militantes iraniennes représentant le mouvement Femmes Vie Liberté, qui étaient présents à la remise du prix et à l’hommage qui a été rendu à Mahsa et aux femmes iraniennes victimes de l’obscurantisme des mollahs. Un hommage qui, selon Roberta Metsola va « à toutes les femmes, tous les hommes et tous les jeunes gens courageux qui osent défier le régime iranien et qui, malgré une pression croissante, continuent à lutter pour leurs droits et à pousser pour des changements ».
Cette condamnation de la situation des droits de l’homme en Iran n’est d’ailleurs pas une nouveauté de la part d’un Parlement européen qui dès octobre 2022, et à plusieurs reprises depuis, demande des sanctions contre les responsables iraniens impliqués dans la mort de Jina Mahsa Amini et dans la répression des manifestations.
Les demandes de sanction et l’attribution de prix internationaux à des opposants semblent toutefois n’avoir que bien peu de prise sur l’inflexible régime théocratique de Téhéran.
[1] En 1988 le Prix Sakharov avait été décerné à titre posthume à Anatoli Martchenko, dissident soviétique.
Crédits photo: © European Union 2023 – Source : EP – Mathieu CUGNOT