L’initiative citoyenne européenne (ICE), un gadget démocratique ?

© Maison de l’Europe en Limousin

Conçue pour enrichir la démocratie européenne, l’initiative citoyenne européenne (ICE), une décennie après sa création, reste largement ignorée des citoyens. Est-ce à dire qu’elle ne sert à rien, qu’elle n’est qu’un « gadget », un « os à ronger » comme on l’entend souvent ?

L’ICE est l’une des principales innovations introduites par le traité de Lisbonne signé en 2007 et entré en application en 2009. Proposée sans succès par plusieurs États-membres dès 1996 dans la perspective du traité d’Amsterdam, reprise mais non retenue dans le projet de traité constitutionnel de 2004, l’ICE a été intégrée dans le traité sous la pression d’organisations de la société civile. Adopté en 2011 par le Conseil et le Parlement, le règlement qui en définit les modalités est entré en vigueur en 2012.

L’ICE permet à des citoyens européens d’inviter la Commission à présenter une proposition d’acte législatif qu’ils jugent nécessaire pour mettre en œuvre les traités de l’Union. Elle constitue un appel direct à la seule institution ayant le pouvoir de proposition législative. A ce titre, elle obéit à des règles strictes.

  • Pour être recevable, l’ICE doit être lancée par un comité composé d’au moins sept citoyens résidant dans au moins sept États différents de l’UE. Le Comité doit procéder à l’enregistrement auprès de la Commission. Cette dernière statue alors sur l’enregistrement, dans les deux mois après vérification, que l’initiative citoyenne européenne concerne bien un domaine relevant de sa compétence et pour lequel elle a le droit d’initiative mais aussi qu’elle porte sur une question pour laquelle les signataires estiment qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités. Cela exclut les propositions « manifestement » abusives, fantaisistes, vexatoires ou contraires aux valeurs de l’Union (égalité femmes/hommes etc.).
  • Une fois enregistrée, l’ICE doit recueillir, dans l’année qui suit la confirmation de sa recevabilité par la Commission, au moins un million de signatures de ressortissants provenant d’au moins un quart des États membres. Seuls les citoyens européens sont comptabilisés et chaque pays, pour être pris en compte, doit fournir un nombre minimum de signataires fixé au prorata de sa population (pour la France 54 000, l’Allemagne 72 000, Malte 4 500).

Instrument sans conteste de démocratie participative, l’ICE remplit-t-elle son rôle ? Depuis 2012, 74 ICE ont vu le jour parmi lesquelles 9 sont en cours[1]. La très grande majorité ont échoué en raison d’une collecte de soutiens insuffisante. Parmi les 5 ayant obtenu le million de signatures, « Stop TTIP » lancée en 2014 a été refusée pour des raisons juridiques. Les 4 autres ont été soumises à la Commission : en 2012, « L’eau, un droit humain », « Un de nous », « Stop vivisection », et, en 2017,  « Interdire le glyphosate ».

Lancée par des militants anti-avortement, l’ICE « Un de nous » qui demandait l’arrêt des crédits européens finançant le recours à l’avortement dans les pays en développement, a été rejetée par la Commission. Les 3 ICE restantes ont reçu une réponse perçue comme minimale et décevante : ainsi à l’initiative « Interdire le glyphosate« ,signée par plus d’1,3 million de citoyens provenant de 22 États membres qui réclamaient l’interdiction du pesticide au nom de la protection de la population et de l’environnement, la Commission a répondu par un renforcement du système d’évaluation des pesticides avec l’obligation faite aux industriels d’enregistrer et de mettre à disposition du grand public les études scientifiques produites en soutien à leur demande d’autorisation. Mais elle a aussi renouvelé l’autorisation de l’homologation du pesticide pour cinq ans. A l’occasion de cette ICE, les citoyens européens ont d’ailleurs pu « apprécier » la puissance du lobby agro-chimique notamment auprès de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA).

Face à ce maigre bilan, tant quantitatif (10 millions de citoyens sur la durée et une baisse d’année en année du nombre d’initiatives) que qualitatif (aucune suite véritable aux demandes), des propositions de réforme ont surgi. Dès 2015, et encore en 2017, le Parlement européen a demandé que soit révisé le règlement de l’ICE aux fins de simplification et de soutien financier à l’organisation des initiatives. En septembre 2017, prenant en compte les demandes du Parlement et celles issues d’une consultation publique, la Commission a proposé un nouveau règlement finalement adopté par le Parlement européen et le Conseil au printemps 2019. Entré en application le 1er janvier 2020, le nouveau règlement introduit davantage de souplesse dans l’organisation de la campagne (choix de date, allongement de la période d’examen de l’initiative), de simplification et d’harmonisation pour la collecte de données à caractère personnel (formulaire de collecte), de soutien technique  (plate-forme collaborative), de facilité d’accès (abaissement possible de l’âge du signataire à 16 ans).

Comme en atteste l’enregistrement de trois nouvelles ICE en 2019, l’initiative citoyenne européenne, malgré ses limites, ne peut pas être considérée comme un gadget. Pourtant, il n’est pas certain que sa réforme indispensable mais peu ambitieuse quant à sa portée politique, suffise à faire de l’ICE l’outil qui « rapproche l’Union des citoyens ».


[1] En cours de collecte parmi lesquelles, « Sauvons les abeilles et les agriculteurs. Vers une agriculture respectueuse des abeilles pour un environnement sain ». L’ICE la plus récente enregistrée en mars 2020 s’intitule : « ELECTEURS SANS FRONTIERES – Des droits politiques pleins et entiers  pour les citoyens de l’Union ».  https://europa.eu/citizens-initiative/_fr

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