L’Union européenne n’agit pas pour un salaire minimum européen. Vraiment ?


Le principe d’un salaire minimum garanti est inscrit dans le socle européen des droits sociaux élaboré par la Commission Juncker, adopté en avril 2017 par le Parlement européen et le Conseil et entériné en novembre 2017 par le Conseil européen lors du Sommet social de Göteborg. Pourtant le projet de directive annoncé n’a pas abouti sous Juncker. Dans son discours d’investiture de décembre 2019, Mme von der Leyen a repris l’idée et, en janvier 2020, elle a lancé le processus pour instaurer « un cadre légal pour les salaires minimum dans l’Union européenne ». La crise sanitaire a freiné les ardeurs. Pourtant, en octobre 2020, la Commission a proposé un projet de directive « relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne”. Cette proposition a été saluée par le Parlement européen le 25 novembre et, le 7 décembre, le Conseil en formation ministres des affaires sociales a adopté une position commune sur des règles visant à augmenter les bas salaires et par là même à lutter contre le dumping social dans l’Union. Les discussions au sein de chaque institution ont alors commencé sur un projet dont les enjeux sociaux et politiques sont importants.

En matière de salaire minimum, la diversité règne en Europe. Qu’on en juge !

Sur les 27 Etats membres, 6 ne possèdent pas de salaire minimum national : le Danemark, la Finlande et la Suède auxquels s’ajoutent l’Italie, l’Autriche et Chypre. Dans ces pays, les salaires et, dans certains cas, les salaires minimaux, sont déterminés par des conventions collectives entre syndicats et employeurs. Dans ces pays, les partenaires sociaux et la classe politique à l’unisson refusent toute idée de smic défini par la loi.

Parmi les 21 Etats membres à salaire minimal national, les différences de niveau sont très fortes. En janvier 2021, selon Eurostat, dans dix pays tous entrés en 2004 et après, le salaire minimum brut mensuel est inférieur à 650 €, de 332 en Bulgarie à 642 en Lituanie. Dans un deuxième groupe constitué de 5 pays méditerranéens, la fourchette mensuelle va de 700 € (Grèce) à 1 100 € (Espagne). Les 6 pays restants sont au-delà de 1 500 € bruts mensuels, de la France avec 1 555 € au Luxembourg à 2 202 €. Notons cependant que si l’on prend en compte le niveau de vie dans les pays, la comparaison est un peu moins défavorable : ainsi, en Bulgarie, le salaire minimum en parité pouvoir d’achat s’établit à 623 €, au Luxembourg à 1 668 €.

Si l’on considère le taux du salaire minimum par rapport au salaire médian (qui divise la population en 2 groupes égaux), la situation varie beaucoup d’un pays à l’autre : dans 4 Etats membres seulement dont la France, le ratio est supérieur à 60 %, la majorité des pays se situant au-dessous de 50 %.

Une telle diversité rend difficilement envisageable l’instauration d’un smic européen d’autant que la création d’un salaire minimum européen unique est exclue. L’Union n’en a juridiquement pas le droit comme le stipule le traité de Lisbonne (art 153 alinéa 5) : « Les dispositions du présent article ne s’appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock-out ». Par ailleurs, l’économie des pays les plus pauvres n’y résisterait pas. Enfin cela imposerait aux pays sans salaire minimum d’en adopter un. Or la Commission a bien pris soin de rappeler que « son but est d’assurer un niveau de vie décent à tous les travailleurs européens ». Et promouvoir des salaires planchers suffisants n’implique pas d’imposer l’adoption d’un salaire minimal national aux pays qui n’en ont pas.

En octobre 2020, la Commission présente aux colégislateurs Parlement et Conseil, « une proposition relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne »

C’est donc à obtenir l’augmentation des salaires minimaux dans les pays que la Commission consacre ses efforts.

D’une part, elle encourage les Etats à favoriser la négociation collective, le dialogue social, afin d’obtenir un accroissement du taux de couverture des salariés par les conventions collectives. Le Parlement souhaite un taux de 80 %, le Conseil, 70 %.   La Commission sans se prononcer sur le taux, entend mettre sous pression les Etats   à faible taux de couverture par l’obligation d’élaborer un plan d’action et de rendre  au Parlement européen et au Conseil des rapports annuels sur la fixation des salaires.

D’autre part, elle invite les Etats à hausser le ratio salaire minimum/salaire médian  sans plus de précision sur le niveau : 60 %, 70 %. Il faut dire que la Commission doit tenir compte des fortes réticences des pays de l’Europe orientale qui craignent qu’un rattrapage rapide les prive du seul avantage comparatif qu’ils possèdent : les salaires.

A l’automne 2021, après que le Parlement et le Conseil ont arrêté leur position respective, les discussions en trilogue, Commission, Parlement et Conseil débutent. Les négociations sont difficiles et le risque est grand de braquer des Etats membres jaloux de leur modèle social. Dans cette partie, la Commission bénéficie de l’engagement fort de la France qui a fait de ce dossier une priorité de sa présidence du Conseil de l’Union de janvier à juin 2022. Ainsi, avant même le début de sa présidence, durant l’été 2021, les ministres français des affaires européennes et du travail ont fait le tour des capitales notamment scandinaves afin de convaincre de la nécessité de « renforcer l’Europe sociale » mais aussi pour rassurer.

Le 19 octobre 2022, la directive européenne relative aux salaires minimums est adoptée par l’Union européenne avec un délai de transposition par les Etats de 2 ans. Sans établir un « smic européen », elle constitue, n’en déplaise aux eurosceptiques, un jalon supplémentaire dans la construction de l’Europe sociale.

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