Trois élections récentes dans des Etats européens : des résultats contrastés mais inquiétants

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L’automne politique européen 2023, le dernier prévu avant les élections au Parlement européen de juin 2024, a été le cadre de trois faits majeurs. Les électeurs de trois Etats membres de l’Union européenne étaient appelés, en effet, à se rendre aux urnes pour y renouveler leurs parlements nationaux et, de ce fait, définir les bases démocratiques de leurs futurs gouvernements.

Le 1er octobre, c’est la Slovaquie qui a entamé cette série de renouvellements politiques, suivie, le 15, de la Pologne et, le 19 novembre dernier, des Pays-Bas.

Alors que l’inquiétude s’accroît, en Europe mais également dans l’ensemble du monde, devant l’indéniable poussée des mouvements nationalistes ou populistes, ces élections à l’intérieur de l’Union européenne ont suscité, chez les partisans d’une Europe démocratique, un légitime regain d’appréhension. Si les résultats de deux de ces échéances ont confirmé ces craintes, ceux de la troisième, au contraire, ont résonné, sinon comme une divine surprise, tout au moins comme un fort sentiment de soulagement.

C’est de la Pologne en effet qu’est venue la « bonne nouvelle » de cette série électorale. Il s’agissait d’élire les 460 députés de la Diète, la chambre basse de la république de Pologne, ainsi que les 100 membres du Sénat. Un pouvoir législatif détenu, depuis 2015, par le parti conservateur, eurosceptique et nationaliste Droit et Justice (PIS) dont est également membre le Président de la République élu la même année, Andrzej Duda. Le gouvernement sortant de Mateusz Morawiecki disposait, lors de législature précédente de la majorité absolue à la Diète avec ses alliés de la coalition Droite Unie. Leur principal adversaire, jusque-là dans l’opposition, la Plateforme Civique (PO), de centre droit, libérale et pro-européenne, était conduite par l’ancien Premier ministre et ancien Président du Conseil européen Donald Tusk (2014-2019).

Bien qu’arrivé en tête, avec près de 37 % des voix, et environ 200 sièges de députés, le PIS ne peut envisager de conserver la majorité, celle-ci devant revenir aux trois partis réunis dans la Coalition Civique qui a recueilli autour de 54 % des suffrages : la Plateforme Civique de Donald Tusk (31,6 %), les centristes de Troisième Voie (14 %) et la Gauche (8,6 %). Dans un scrutin qui a vu la participation augmenter de 13 % par rapport à 2019, le PIS et ses alliés ont reculé de façon significative jusque dans les zones rurales qui leur étaient traditionnellement favorables. Ces élections marquent ainsi un net rejet de la politique ultraconservatrice menée jusqu’ici par le PIS, avec le soutien explicite de l’Eglise polonaise et que les jeunes et les femmes en particulier ont voulu sanctionner, dont, en premier lieu, les mesures anti-avortement, anti-LGBT et les atteintes aux libertés publiques. Une sanction confirmée par le rejet de la série de référendums qui étaient soumis, le même jour, aux électeurs polonais.

Ce sont également les positions de méfiance, voire d’hostilité vis-à-vis de l’Union européenne, que ces derniers ont récusées, ce qui devrait permettre, à terme, le déblocage du financement qui avait été retenu en raison de ce que l’UE considérait comme une érosion démocratique.

Les résultats des élections du 15 octobre viennent récemment de déboucher sur la formation du cabinet Tusk attendu, le Président Duda ayant fait le choix de la retarder en profitant de cette période de transition pour renforcer le camp nationaliste et entraver l’exercice du futur gouvernement.

Les moins bonnes nouvelles sont venues, d’abord, de la Slovaquie, dont les 4 millions d’électeurs étaient appelés à se rendre aux urnes le dimanche 30 septembre 2023, lors d’un scrutin anticipé provoqué par le vote d’une motion de censure à l’encontre du gouvernement de coalition minoritaire du conservateur Eduard Heger. L’enjeu était le renouvellement, au scrutin proportionnel, du Conseil National, l’unique chambre parlementaire slovaque, composé de 150 députés.

Ce sont sept listes nationales qui étaient en lice pour cette élection, dont celle conduite par Robert Fico, qui avait déjà à deux reprises exercé la fonction de Président du gouvernement slovaque. Lui qui, naguère, se définissait comme social-démocrate pro-européen et atlantiste, s’est présenté à ces élections à la tête du SMR-SSD, parti de centre-gauche devenu sous sa houlette nationaliste, populiste et très proche du Fidesz de son voisin hongrois Victor Orban. Fico partage d’ailleurs les postures anti-immigration, anti-LGBT et les convictions pro-russes de ce dernier, jusqu’à accuser l’Ukraine d’être responsable de la guerre qui l’oppose à la Russie et déclarer que la Slovaquie « n’enverrait plus une seule balle de munition à l’Ukraine ».

En face de lui, Michal Šimečka, leader du parti Slovaquie progressiste (PS) et par ailleurs vice-président centriste du Parlement européen, défendait des positions diamétralement opposées, réaffirmant son positionnement pro-européen et son soutien à l’Ukraine, des positions qui ont déclenché contre lui une violente campagne de désinformation.

Avec 23 % des suffrages contre 18 % à son principal adversaire, Robert Fico est l’incontestable vainqueur de ces législatives et les 42 sièges de son parti, gonflés de l’apport de ceux de HLAS-Social démocratie de l’ex-président du gouvernement Peter Pellegrini ainsi que de ceux du Parti national slovaque (SNS) d’extrême-droite, lui assurent une majorité qui lui permet d’accepter le poste de Président du gouvernement. A l’issue du scrutin, la présidente de la République Slovaque, Zuzana Caputova, ancienne membre de Slovaquie progressiste et adversaire de toujours de M. Fico, l’a chargé de former le nouvel exécutif. M. Fico, a, depuis, été exclu du Parti Socialiste européen.

Le second scrutin récent qui vient confirmer la poussée nationaliste et populiste au sein de l’Union européenne est celui du 22 novembre dernier qui a vu, aux Pays-Bas, la victoire inattendue du leader d’extrême-droite néerlandais Geert Wilders. Là aussi, ce sont des élections anticipées qui ont été organisées suite à la rupture entre les partis de la coalition gouvernementale de centre-droit du Premier ministre Mark Rutte provoquée par des désaccords profonds sur la réforme de la politique d’asile.

Et c’est justement la force politique la plus radicale en matière de politique migratoire, le PVV, Parti pour la Liberté de Geert Wilders, qui en a tiré le meilleur bénéfice avec 23,5 % des voix et 37 sièges au Parlement, doublant ainsi largement le précédent effectif de cette formation d’extrême-droite, à la surprise de tous les prévisionnistes. Le discours pourtant très droitier porté par Dilan Yeşilgöz, que le PVV, le parti de Mark Rutte, avait choisie pour succéder à son leader désormais retiré de la vie politique, n’a ainsi pas convaincu l’électorat néerlandais de sa capacité à mettre en œuvre une ligne dure sur l’immigration. Cette femme d’origine turque et qui était jusque-là ministre de la justice n’a, en effet, recueilli qu’un score modeste de 15 % des voix, faisant perdre à sa formation 10 des 34 sièges qu’elle possédait jusque-là.

Le score de 15,75 % des voix obtenu par Frans Timmermans, le leader travailliste bien connu des Néerlandais puisqu’il avait été ministre des Affaires étrangères avant d’occuper le poste de 1er vice-président de la Commission européenne et celui de commissaire chargé du Pacte vert pour l’Europe, apparaît comme tout à fait honorable, en progrès de près de 5 points et procurant 8 nouveaux sièges à la coalition Parti travailliste-Gauche verte qu’il conduisait. Il n’est d’ailleurs pas dit que cette deuxième place obtenue le 22 novembre lui interdise d’accéder au poste de Premier ministre.

Il se trouve en effet que depuis cette date les négociations entreprises par le vainqueur de l’élection, Geert Wilders, afin de former l’indispensable coalition qui lui permette de devenir chef du gouvernement, piétinent [1], tant ses positions extrémistes refreinent l’ardeur d’éventuels partenaires.

Même si les résultats présentés ici sont, de fait, contrastés [2], il n’en demeure pas moins que la tendance générale observée depuis quelques années est indéniablement celle d’une poussée des partis de droite ou d’extrême-droite nationalistes et eurosceptiques, tous surfant sur un rejet de l’immigration partagé par une grande partie des électorats populaires européens. Après l’Italie gagnée en 2022 par le parti post-fasciste de Georgia Meloni, c’est, dans l’Europe du Nord, la participation de partis clairement identifiés à l’extrême-droite à l’exercice du pouvoir aux côtés de partis de droite traditionnels, ce qui a été le cas en Suède dès septembre 2022 et en 2023 en Finlande.

Ainsi, la victoire du centre démocratique et europhile en Pologne (la seule élection dans laquelle le pouvoir sortant était aux mains de la droite nationaliste et anti-européenne) ne doit pas nous masquer le risque d’une contagion lors de prochains scrutins, les résultats des élections slovaques et néerlandaises et, dans une moindre mesure, la montée dans les urnes ou dans les sondages des forces d’extrême-droite en Espagne, en Allemagne ou en France nous en fournissant l’illustration.

Une des leçons que, semble-t-il, on peut tirer de cette actualité politique récente, est que la stratégie des partis de droite ou de centre-droit traditionnels pariant sur un effet pour eux bénéfique d’un alignement sur les thèses extrémistes en matière de politique migratoire, s’avère parfaitement contre productive : selon l’adage revendiqué par les partis de la droite de la droite eux-mêmes, « l’original est préférable à la copie ».

Une inquiétude enfin, celle de voir ces mouvements nationalistes et europhobes gagner du terrain lors des prochaines élections au Parlement européen de juin prochain et, éventuellement, former avec les partis de la droite conservatrice une alliance qui remettrait en cause les équilibres européens installés depuis la création de l’Union européenne.


[1] Tout au moins à l’heure où paraît cet article.

[2] On pourrait leur ajouter le scrutin législatif récent en Espagne, qui, s’il a confirmé une réelle poussée des formations de droite et d’extrême-droite, n’a pas engendré le changement de gouvernement que ces dernières attendaient.

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