La Suède : encore un modèle ?

 

 

Accroissement des inégalités, chasse aux sans-papiers, prise de la présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) sans enthousiasme, sortie de la neutralité : le « modèle » suédois est-il en déclin ?

A l’intérieur, le modèle est mis à l’épreuve des réformes libérales. L’héritage d’une superstructure culturelle et administrative, à l’époque où la Suède était une grande puissance européenne, est aux racines de la réussite du pays. Dans les années 1930, la social-démocratie suédoise aurait inventé l’Etat-providence et créé un modèle social parmi les plus favorables au monde : démocratie, intégration, équité sociale sont au cœur du système qui atteint son apogée dans les années 1960.

Intégration sociale et intégration territoriale sont imbriquées. Une politique régionale de transferts permet d’égaliser les niveaux de vie ; les services publics sont développés partout. L’intégration par les infrastructures joue un rôle essentiel : le développement du chemin de fer, par exemple, a permis de « resserrer » un territoire allongé du nord au sud. L’intégration passe aussi par la formation, la culture, la tradition de la vie associative.

Mais la crise économique des années 1990 favorise le néolibéralisme et une critique agressive de l’Etat social nourrie par un sentiment accru de précarité dans des groupes importants de la population. L’Etat se désengage des domaines de la santé, des écoles. L’extrême droite accuse les sociaux-démocrates d’avoir trahi le peuple suédois en détruisant le modèle social et en favorisant le multiculturalisme qui privilégierait les nouveaux arrivants, réfugiés de l’ex Yougoslavie, du Kurdistan et de Somalie. La droite populiste reprend alors le concept de « foyer du peuple » comme modèle social universel et juste, respectueux des droits et des besoins des citoyens.

La Suède, fondée par les Vikings à partir de 800, a connu son apogée sous le règne de Gustave II Adolphe au début du XVIIe siècle. Le territoire (447 424  km2, 10,4 Mh) est réduit par la perte de la Finlande (passée à la Russie en 1809) et de la Norvège (indépendante en 1905).

Le régime politique est une monarchie parlementaire, avec, aujourd’hui, à sa tête le roi Charles VI Gustave. L’unique chambre du Parlement (Riksdag) est une assemblée de 349 députés élus pour quatre ans. Le Premier ministre, Ulf Kristensson, leader du parti de centre droit des Modérés, a été élu le 17 octobre 2022 par le Parlement ; il dirige un gouvernement composé de ministres issus d’une coalition de trois partis, Modérés, Conservateurs et Libéraux. Il s‘appuie sur le parti d’extrême droite « Démocrates de Suède » qui, sans participer au gouvernement, impose sa politique migratoire : des quotas de 900 réfugiés par an, un revenu minimum nécessaire pour obtenir un permis de travail…

L’UE s’inquiète des racines nazies de l’extrême droite suédoise. Héritier d’un groupe néonazi fondé en 1988, le parti des Démocrates suédois s’est imposé dans le paysage politique du pays, entrant au Parlement en 2010 avec 5,7 % des voix, et progressant ensuite à chaque élection.

La Suède a pris, au premier semestre 2023, la Présidence du Conseil de l’UE pour la troisième fois depuis son adhésion. En Europe, cette présidence est accueillie sans enthousiasme  de peur que le leader d’extrême droite Jimmie Akesson dirige la ligne suédoise pendant la présidence. Cette inquiétude est-elle fondée ?

Le programme suédois reprend celui du « trio » que le pays forme avec la France et la République tchèque depuis janvier 2022. Sur ces bases, la Suède affiche quatre priorités, sans faire de grandes annonces :

  • la défense des valeurs démocratiques et de l’Etat de droit doit rassurer les partenaires européens. Mais l’UE a besoin d’un système de migration et d’asile efficace ; la Suède veut faire avancer les négociations relatives au pacte sur la migration et l’asile, encourager le retour au pays des migrants en coopération avec les pays tiers ;
  • la compétitivité économique est mise au premier plan car la force de l’UE dépend de sa production liée au marché unique et au commerce mondial ;
  • l’UE, chef de file de la transition écologique, doit montrer l’exemple avec des objectifs climatiques ambitieux. La Suède propose une réforme à long terme du marché de l’énergie, le développement des investissements dans les industries innovantes et la mise en œuvre de l’initiative « Ajustement à l’objectif de 55 % » ;
  • la sécurité de l’UE nécessite la poursuite de l’aide économique et militaire à l’Ukraine, son soutien au statut de pays candidat à l’UE. La Suède souhaite favoriser un consensus en faveur d’une politique européenne de défense et de sécurité.

Sur le plan extérieur, le contexte international fait évoluer le modèle suédois. Neutre depuis les guerres napoléoniennes, ayant adopté le positionnement plus flexible de « non alignement » avec la guerre froide, la Suède se rapproche de l’OTAN en 2014. L’annexion de la Crimée et l’invasion russe de l’Ukraine inquiètent Stockholm.

La mer Baltique est une zone de tensions géopolitiques. La Russie dispose d’un double accès sur cette mer, à Saint-Pétersbourg et à Kaliningrad, principale base russe sur la Baltique après la perte des Pays baltes. Depuis 2014, les violations par la Russie des espaces aériens et maritimes se sont multipliées. L’île de Gotland, au rôle stratégique, a été remilitarisée par la Suède. Après l’invasion russe de l’Ukraine, la Suède a remis sa lettre officielle de demande d’adhésion à l’OTAN en mai 2022. Le 5 juillet 2022, les Alliés ont signé le protocole d’accession de la Suède, devenu un « pays invité » », autorisé à assister aux réunions de l’OTAN.

Mais l’adhésion de la Suède se heurte pour l’instant au blocage imposé par Ankara ; or l’unanimité des membres est nécessaire pour valider l’entrée d’un nouvel Etat au sein de l’organisation. La Turquie réclame l’extradition de ressortissants kurdes membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), réfugiés en Suède, qu’elle accuse de terrorisme. Début décembre 2022, la Suède a expulsé Mahmut Tat, condamné en Turquie à 6 ans et 10 mois de prison ; un geste jugé insuffisant par la Turquie. Après l’autodafé du Coran devant l’ambassade de Turquie à Stockholm le 21 janvier 2023, Erdogan maintient son veto tant que la Suède permettra que le livre saint des musulmans soit « brulé et déchiré ».

Par ailleurs la Hongrie, soucieuse de ménager la Russie, repousse au début 2023 l’examen de la demande d’adhésion suédoise par son Parlement.

Mis à l’épreuve de la mondialisation et des pratiques néolibérales, le modèle suédois n’en est plus vraiment un. S’ils s’opposent à plus d’intégration, les Suédois restent majoritairement favorables à l’UE, pourtant souvent absente de leur débat national.

Crédits photo: © Flickr @Sweden2023EU – Johannes Frandsen/Government Offices of Sweden