La lutte contre la pollution des sols, une préoccupation seconde de l’UE ! Vraiment ?

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La pollution des sols est en effet moins médiatisée que celles de l’air et de l’eau. Cela tient peut-être à ses manifestations moins directement observables et à ses effets moins spectaculaires bien que pourtant très réels en termes de qualité de l’eau, de santé humaine et de biodiversité. Cependant l’explication principale est autre : alors que l’air et l’eau sont considérés comme des biens naturels et communs et, à ce titre, présents dans les débats publics, le sol est appréhendé comme un bien privé relevant du droit de propriété et à vocation utilitariste et économique appuyée sur la liberté d’entreprendre.

Or cette approche juridico-utilitariste débouche sur un bilan inquiétant pour l’Union. Qu’on en juge :

  • chaque année, dans l’Union, environ 1 milliard de tonnes de terres sont emportées par l’érosion, soit l’équivalent d’un mètre de profondeur sur une surface correspondant à la superficie de Berlin. Le drainage d’environ 50 000 kmde tourbières à des fins agricoles, provoque une diminution des stocks de carbone présents dans les sols et libère du carbone dans l’atmosphère. Près de 3 millions de sites sont potentiellement pollués par des activités comportant un risque industriel ;
  • chaque année, plus de 400 km² de terres principalement agricoles sont transformées en zones urbaines et en infrastructures. La gestion intensive et les changements d’affectation des terres ont une incidence négative sur la biodiversité des sols, tels que les vers de terre, les collemboles et les acariens. La salinisation d’origine humaine touche 3,8 millions d’hectares dans l’UE, avec une salinité des sols élevée le long des littoraux, en particulier en Méditerranée. En Europe méridionale, centrale et orientale, 25 % des sols présentent un risque élevé ou très élevé de désertification, soit  411 000 km², une surface supérieure à la superficie de l’Allemagne.  

Au total, en 2020, 60 à 70 % des sols de l’UE sont considérés comme en mauvaise santé et environ 70 % des terres agricoles de l’UE présentent des niveaux excessifs de nutriments.

Cette situation ne date pas d’aujourd’hui. Pourtant, l’Union a, semble-t-il, peu agi comme le montre l’absence de législation spécifique. En réalité, l’Union a essayé mais elle a échoué. Dans le cadre du 6eme programme d’action pour l’environnement de 2002-2012 et sur la base de la dégradation intense des sols, la Commission Barroso, en septembre 2006, a présenté une stratégie et une directive-cadre sur la protection des sols. La directive sols définissait un cadre et des objectifs communs aux Etats membres : répertorier les sites contaminés dans un délai de six ans, lister les zones prioritaires de protection spéciale contre l’érosion, la salinisation, l’acidification, la perte de la matière organique, les glissements de terrain, les affaissements notamment miniers,  la désertification, l’appauvrissement de la biodiversité du sol dans un délai de cinq ans. Des stratégies réparatrices des sols pollués ou dégradés devaient être élaborées dans un délai de sept ans. Principe de subsidiarité aidant, une flexibilité était laissée aux Etats. Adoptée par le Parlement européen en novembre 2007, la directive a été rejetée en décembre au Conseil par l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France.

Une décennie plus tard, face au constat scientifique d’une situation accablante, 2,8 millions de sites potentiellement pollués par des activités comportant un risque industriel, 25 % des sols présentant un risque de désertification et forte de l’ambition du cadre du Pacte vert,  la Commission appuyée par des Etats notamment du sud et de l’est de l’Europe a proposé en novembre 2021, une stratégie en faveur des sols. Poursuivant certains des objectifs du Green Deal, elle prend place dans une série de stratégies et de politiques déjà décidées par la Commission européenne : cela va de « De la ferme à la fourchette » au « Plan d’action pour une pollution zéro », de la « Stratégie pour la biodiversité » à la nouvelle PAC. D’ici 2023, la Commission présentera une proposition législative pour parvenir à une bonne santé des sols, restaurés, résilients et protégés dans l’ensemble de l’UE d’ici 2050.

Quelques exemples d’actions importantes que la Commission s’est engagée à prendre :

  • définir des objectifs juridiquement contraignants, pour limiter le drainage des zones humides et des sols organiques et restaurer les tourbières gérées et drainées ;
  • élaborer, en consultation avec les États membres et les parties prenantes, un ensemble de pratiques de « gestion durable des sols » ;
  • aider les États membres à mettre en place, par le biais de fonds nationaux et à destination des agriculteurs, le programme « Testez votre sol gratuitement » ;
  • présenter l’initiative agriculture du carbone pour des pratiques agricoles vertueuses avec une proposition législative sur la certification de l’élimination du carbone en 2022 ;
  • financer les projets de recherche dans le cadre d’Horizon Europe sur les plastiques dans le sol ;
  • enfin continuer à soutenir l’initiative de la grande muraille verte (Regreening Africa), pour prévenir la désertification en Afrique.

Longtemps oubliés du droit européen, les sols bénéficient aujourd’hui de l’attention de la Commission, mais les réticences anciennes de plusieurs Etats dont la France à laisser l’Union légiférer en la matière restent fortes. Aujourd’hui la guerre en Ukraine menace l’entrée en application des mesures de protection des sols agricoles inscrites  dans le Pacte vert.

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